Dès notre arrivée à Gare du Nord, le ton était donné : des groupes de trois CRS parcouraient la gare et le parvis et effectuaient des contrôles d’identité au faciès sur tout groupe se rendant possiblement au rassemblement. Les sacs étaient également fouillés.
Sur le trajet de la Gare du Nord à la Place de la République un important dispositif était mis en place : 16 camionnettes de CRS en face de la Gare de l’Est, sur le boulevard de Strasbourg et à chaque intersection sur le Boulevard Magenta, qui mène à la Place de la République, il y avait au moins un agent, casque anti-émeute à la ceinture.
Nous arrivons vers 14h30 sur la Place, quelques centaines de personnes sont déjà rassemblées, mais également beaucoup de flics en civil dont certains prenaient en photo le maximum de participants. Toutes les rues donnant sur la place sont également bloquées par des fourgons de gardes mobiles. Les contrôles d’identité se poursuivent aux abords de la place. Nous nous mettons alors à diffuser les tracts avec les conseils juridiques tandis que la place se remplit petit à petit.
Le bilan de cette diffusion est très positif, de nombreuses personnes (y compris celles ayant souhaité organiser le service d’ordre de la manif) ignorent les réflexes de base en cas de tirs de lacrymo et de charges ainsi que leurs droits lors des gardes à vue, notamment sur les questions d’ADN et de comparution immédiate. Cela nous a permis des échanges riches, certains participant pour la première fois à une manifestation.
A 15h30 des manifestant.e.s escaladent la statue centrale et allument des fumigènes et feux de bengales aux couleurs de la Palestine. Un drapeau israélien est également brûlé sous les applaudissements d’une partie de la foule et les sifflets d’une autre. A certains moments, des orateurs haranguent la foule avec des slogans, repris en choeur. L’ambiance est survoltée aussi bien autour de la statue que sous les arbres plus loin, où le NPA s’est regroupé pour les prises de parole (de Besancenot entre autres).
À partir de 15h45, il y a quelques mouvements de foule, le gros rassemblement se transforme alors en plusieurs plus petits. D’un côté les orgas, et les « pacifistes » qui restent sous les arbres, de l’autre des groupes plus agités qui tournent autour de la statue en scandant et agitant des drapeaux palestiniens.
A 16h15 sans aucune explication apparente, la circulation est relancée sur une partie de la place tandis que les camions de GM stationnant rue du Temple se parent de leurs plus belles grilles anti-émeutes. Des gens tentent de prendre la route mais le service d’ordre déploie une corde et prend en charge la circulation sur une voie. Très organisés, avec leurs gilets fluos, talkies, siflets, ils sont bien une quanrantaine déployés tout au long de la route. Lorsque nous leur demandons qui ils sont et comment ils s’organisent, ils nous expliquent que c’est très structuré ; hiérachisé entre les orgas de soutien à la Palestine et qu’ils se mettent en place sur chaque manif Palestine.
Vers 16h50 une mouvement de foule vers la rue du Faubourg du Temple donne lieu à des premiers jets de projectiles. Les gendarmes ne ripostent pas et s’ensuit un long face à face entre manifestant.e.s et service d’ordre, ces derniers n’hésitant pas à essayer d’attraper en l’air les projectiles ou à repousser vigoureusement les émeutier.e.s qui tentent de passer leur cordon. Les camions de flics de toutes les rues et avenues entourant la place installent des grilles anti-émeute.
A 17h un flic tente tant bien que mal de faire les sommations avec son mégaphone. Comme d’habitude personne ne peut les entendre mais cette fois-ci les Gendarmes prennent la peine d’envoyer les fusées rouges valant sommations. Les premières tentatives d’interpellations ont lieu par les BACqueux sur l’arrière de la foule, massée autour des escarmouches de la rue du Faubourg du Temple. Plusieurs fois elles ont été mises à mal par les interventions des manifestants qui crient et se ruent sur les flics en civil.
A 17h15, alors que la tension monte de plus en plus entre le service d’ordre et celles et ceux désirant attaquer la police, la foule fait subitement demi tour pour charger les gendarmes positionnés rue du Temple, là où aucun SO ne les en empêche. Les premières charges policières ont lieu à travers les grilles anti-émeutes de la rue du Temple et des grenades lacrymogènes sont envoyées pour disperser ceux qui tentent d’endiguer la charge. Les affrontements se déplacent vers l’Avenue. Vingt minutes plus tard, les affrontements reviennent vers la rue du Faubourg du Temple, tout en se poursuivant sur l’Avenue de la République.
Deux petits groupes d’une dizaine de GM sont positionnés entre ces deux rues, notamment pour protéger le Crowne Plaza Hotel. Ils vont subir de nombreux et violents assauts : alors que jusqu’ici c’est principalement des boulettes de boue (pas de cailloux dans la nouvelle place rénovée) et quelques canettes qui étaient lancées, certain.e.s vont briser l’abris-bus en face d’eux et se servir du verre brisé comme projectiles. Les GM ne s’en sortent que grâce à une charge latérale et une grande salve de lacrymogène.
En marge des affrontements, des journalistes en mal de sensations fortes se font cogner et péter leur appareil photo en tentant de photographier de trop près les émeutier.e.s. Un appareil photo vole sur un casque de gendarme. Certain.e.s profitent également de l’agitation pour faire les sacs ou chourrer les montres.
La tension monte et peu avant 18h les affrontements s’étendent à toute la moitié est de la place, rue du Temple, Avenue du Temple puis Boulevard Voltaire.
Dix minutes plus tard la place se retrouve noyée sous les lacrymogènes et qu’une bonne partie de la foule s’en va au travers des cordons et se masse avec les curieux derrière les flics.
En peu de temps, la place semble bien vide et les affrontements perdent en intensité. Une partie de de ceux restant tente alors le coup du désespoir :« Tous au marais ! allah akbar ! » et essaie de forcer les grilles du métro. Une petite partie de la foule veut suivre, l’autre se tient à l’écart ou se tire. Un raffut d’enfer monte de la bouche de métro où les grilles et panneaux sont martelés à coups de poing.
Vers 18h30 on observe un important mouvement de CRS depuis le Bd Saint martin, on décide de sortir de la place avant que la nasse se referme. Les CRS s’alignent sur toute la largeur de la place et repoussent petit à petit les manifestant.e.s, brutalement s’ils n’avancent pas assez vite, les braquant aux flashballs. Ceux qui protestent un peu trop énergiquement sont interpellés rudement par les CRS et les BACqueux
On a pu discuter avec quelques un.e.s, a priori pas d’interpellations à ce moment-là, simplement une sortie au compte goutte, sans contrôle d’identité. Une heure plus tard la place était libre et réouverte à la circulation.
Le bilan est mitigé. Tout d’abord la participation a été faible relativement à la manifestation de mercredi dernier, autour de 5000 personnes. Est-ce que les interdictions dissuadent réellement une partie des manifestant.e.s ? Ou est-ce simplement parce qu’on était un samedi de départ et de retour de vacances et donc un jour moins susceptible de mobiliser ? Il faut dire aussi qu’en-dehors du NPA, les autres orgas ont été bien frileuses à appeler au rassemblement malgré tout.
Ou sont-ce les forces policières importantes, massées aux abords de la Place qui en ont dissuadé certain.e.s de pousser jusqu’au rassemblement ?
D’autant que la Place de la République rénovée constitue, à l’image de la Place des Invalides, un endroit facilement maîtrisable et surveillable pour la police (qui n’a qu’à bloquer tous les accès et laisser moisir la situation).
Le pouvoir joue clairement le pourrissement avec son jeu du « j’interdis-j’interdis pas ». De ce fait, la partie des manifestant.e.s s’exprimant par des modes d’actions plus directs, notamment en attaquant les flics, se retrouve confrontée frontalement à l’autre partie désirant un rassemblement dans le calme. Dans ces conditions, impossible de faire coexister la diversité des stratégies et modes d’expression de la colère.
Après cela, les flics n’ont plus qu’à aménager le conflit, c’est à dire provoquer les premiers jets par l’installation de grilles ou une avancée ostensible de leurs lignes de front. On permet aux journalistes de prendre les images-chocs de la dépêche et du 20h puis on noie le tout sous un maximum de gaz lacrymogène afin de vider la place des plus modéré.e.s.
On procède enfin aux interpellations, gardes à vue et condamnations* qui serviront pour l’exemple et à justifier que tout a été mis en oeuvre pour rétablir l’ordre, surveiller et punir. (Il est à noter que le bilan « officiel » est de 70 interpellations pour 41 GAV [1]. La plupart des interpellations ont eu lieu à la fin, parmi ceux qui refusaient de quitter la place, poussés de force vers le métro.
De la sorte, en stigmatisant et criminalisant les manifestations, l’État neutralise la dimension politique du soutien au peuple palestinien en la renvoyant à une question d’identité communautaire. Et les médias contribuent pleinement à cette carricature et stigmatisation du mouvement de soutien.