Katayoun Jalilipour
23 décembre 2022
Traduit de l’anglais par @amessrs
magazine gal-dem
Des centaines de personnes se tiennent debout et lèvent le bras en l’air dans une vidéo prise au coeur des manifestations révolutionnaires iraniennes. La caméra tourne pour montrer une femme portant un bandana vert masquant son visage. Son message : « Je suis une femme trans, j’ai obtenu des chirurgies mais personne ne veut m’employer dans ce pays et l’on refuse de reconnaître ma valeur. Malgré cela, en tant qu’iranienne, je veux me battre pour reprendre mon pays ».
Depuis des mois maintenant, des centaines de milliers de maifestant-e-s descendent dans les rues à travers l’Iran, révoltes déclenchées par le meurtre brutal de Jina Amini, une femme kurde assassinée durant son incarcération par la police des mœurs de la République Islamique. D’après certaines sources, Amini avait été arrêtée pour « port inapproprié du voile en public ». Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi, les deux journalistes qui ont rapporté la nouvelle, sont actuellement détenues à la prison d’Evin à Téhéran et accusées d’espionnage, un crime qui peut leur valoir la peine de mort.
Cette révolution, toutefois, n’est pas seulement à propos du port du voile obligatoire. Ce n’est pas seulement une lutte pour les droits des femmes cisgenre. C’est un combat pour des droits humains essentiels, en particulier pour les droits et la sécurité de la communauté trans et queer, dont les voix ont été étouffées dans un pays qui criminalise les rapports sexuels entre personnes du même sexe, et la non-conformité dans le genre. C’est une lutte contre un régime théocrate et fasciste qui contrôle les faits et gestes de ses citoyens et punit celleux qui le questionnent.
Depuis sa mise en place en 1979, le régime iranien a instauré un contrôle sur le libre-arbitre et le choix de vie de ses citoyens. Cela a particulièrement affecté les populations de genres marginalisés, et a causé de nombreux morts, violences, et lois discriminatoires de la part de l’État comme de la société au grand large.
Comme à travers le reste du monde, les personnes trans font partie des populations les plus marginalisées d’Iran, très souvent rejeté-e-s par leur famille et la société, et faisant face à des lois oppressives : lois dont les effets s’aggravent lorsque l’on prend en compte les problématiques intersectionnelles de classisme, de validisme et de racisme. En 2021, un compte rendu du Health Care For Women International rapportait que 92% des femmes trans iraniennes subissent des violences verbales, et plus de 70% subissent des violences physiques. Les violences homophobes et transphobes continues ont poussé de nombreuses personnes LGBTIA+ iraniennes à migrer vers des pays voisins.
« Les LGBTQ d’Iran sont au cœur de cette révolution. Mais on ne les voit pas autant que les autres » nous explique Säye Skye, un rappeur et activiste iranien vivant à Berlin. Il a été forcé de quitter l’Iran peu après la sortie de son premier morceau en 2009, « Saye Yek Zane Irani » (Ombre d’une femme iranienne), un hit qui déclare haut et fort l’existence de la communauté queer en Iran, et qui a valu de nombreuses menaces de mort à Säye. « Tout le peuple iranien veut le même chose : la liberté », nous dit-il. « [Nous] vivons un moment crucial pendant lequel les gens mettent de côté leurs différence et se battent pour une cause commune ».
Malgré tout, l’image de la présence LGBTQI+ dans la révolution est majoritairement censurée par les médias mainstreams. Par exemple, le 15 octobre des sections de la prison d’Evin ont été incendiées, prison de notoriété publique pour ses prisonnier-e-s politiques et que l’on sait comprendre des sous-sols secrets (les « oubliettes ») utilisées exclusivement pour des prisonnier-e-s trans détenu-e-s dans des conditions inhumaines. Les chiffres exacts sont inconnus, mais au moins huit personnes sont mortes dans les flammes au centre pénitentier, et pourtant, on a très peu parlé de prisonnier-e-s trans et queer mis-e-s en danger.
À peine quelques semaines avant le meurtre de Jina, les activistes LGBTQI+ Sareh Sedighi Hamadani, 31 ans, et Elham Choubdar, 24 ans, étaient condamné-e-s à mort pour avoir pris la parole à propos des droits LGBTQI+. Le crime officiel : « semer la corruption sur terre » — une terminologie religieuse utilisée contre quiconque critique le gouvernement, un acte interprété par celui-ci comme « anti-Islam » et « anti-Dieu ». À part quelques organisations pour les droits de l’homme des personnes LGBTQI+, les médias — et le monde — sont restés silencieux.
En mai 2021, nous étions en deuil après le meurtre d’Alireza Fazeli Monfared, 20 ans, qui s’identifiait comme un homme gay non-binaire. Iel fut assassiné par un groupe d’hommes de sa famille, sur le compte de son orientation sexuelle et de son expression de genre. Les meurtriers sont encore en liberté d’après les dernières informations sur ce sujet.
En septembre, quelques jours après les manifestations qui ont suivi le meurtre de Jina, Nika Shakarami, 16 ans, a disparu alors qu’elle participait à une manifestation. On pense qu’elle a été assassinée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Désormais on scande le nom de Nika avec celui de Jina et d’au moins 63 autres enfants et adolescent-e-s tué-e-s par le CGRI depuis le début des manifestations. « Rien ne nous la ramènera, même si des milliers de gens scandent son nom », a déclaré la partenaire de Nika au magazine allemand Die Zeit dans une interview.
Plus récemment, la nouvelle a circulé que le 17 décembre, Raha Ajodani, une jeune femme transgenre et activiste des droits de l’homme, a été arrêtée pour activisme digital.
Depuis le début de la révolution, le CGRI a tué au moins 458 personnes : deux manifestants ont été exécutés, tandis que beaucoup d’autres encourent la peine de mort. D’après nos informations, cette violence est liée au genre.
À travers des témoignages anonymes, la CNN a dévoilé comment les forces de sécurité iraniennes utilisent le viol pour briser les manifestations, et l’on a constaté que les autorités « ciblent les hommes et les femmes différemment », tirant volontairement dans le visage, les seins et les parties génitales des femmes avec des flashball, d’après le Guardian.
« En tant que membres de la communauté LGBTQ+ iranienne, nous sommes marginalisées non pas seulement par le gouvernement, mais par la société toute entière et nos familles », nous explique Nima Yajam, une activiste de Toronto, Canada, qui a dû quitter l’école de médecine en Iran, après avoir reçu des menaces des autorités universitaires. C’est maintenant la tâche des militant-e-s à travers le monde, iel nous dit, d’être « la voix des personnes queer d’Iran, qui risquent des poursuites judiciaires voir la mort, pour le simple fait d’arborer leurs drapeaux. »
« C’est une révolution très intersectionnelle, pour la communauté LGBTQ+, les minorités ethniques et religieuses sont toutes concernées par cette lutte », ajoute Nima. « Ce sont des faits qui doivent être reconnus. »
Ces dernières semaines, toutefois, de nombreuses personnes LGBTQI+ iraniennes sont descendu-e-s dans les rues et prennent des photos en arborant des drapeaux des fiertés, des drapeaux trans, et des pancartes qui portent le slogan révolutionnaire : « Woman Life Freedom » ou des alternatives comme « Queer/trans Life Freedom ».
Certain-e-s sont pris-es en photo entrain de s’embrasser dans des lieux publics significatifs, comme le « Freedom Tower » de Téhéran, leurs visages floutés ou couverts par sécurité. Ce genre d’images sont inédites, et pour des iraniennes comme moi, sont des symboles monumentaux. La communauté LGBTQI+ iranienne est en train de définir une toute nouvelle génération de militant-e-s pour la liberté.
« Lorsqu’on parle de droits queer, on nous dit que ce n’est pas le bon moment, mais c’est exactement le moment et l’endroit pour faire nos revendications », nous explique Ozi Ozar, un-e des organisteur-ice de Woman* LIfe Freedom, un collectif berlinois. « Lorsqu’on avance aux côtés des Baloutches, des Azerbaijanais, des Kurdes et des Turcs, on se bat pour les personnes LGBTQIA+ de ces communautés aussi. » Ozi et moi espérons tout-es deux un jour pouvoir s’asseoir librement dans un restaurant en Iran, en tant que deux personnes queer et trans, pour manger des Chelow Kabab vegan.
« Parceque l’Iran est un pays qui était sous le joug d’une dictature qui a maintenu un apartheid basé sur le genre pendant des décennies, cela ne va pas changer d’un jour à l’autre et devenir un espace safe pour les personnes LGBTQ+ », nous dit Ozi. « C’est pour cela qu’il est essentiel que les militant-e-s LGBTQ+ ne cessent pas de lutter, et qu’iels doivent rester au premier plan ».
Pour beaucoup de personnes comme moi, c’était la toute première fois que nous avions réellement assimilé et ressenti la notion « d’espoir » en l’avenir. Pour la première fois depuis toujours, mon fil Instagram est rempli de militant-e-s et d’artistes iranien-ne-s trans et queer qui s’expriment sur nos droits. Je déborde d’espoir face à l’idée d’un futur trans et queer en Iran — pour qu’on puisse un jour retourner dans notre pays et vivre librement, comme on est. Dans toutes les révolutions et les mouvements sociaux menés par le peuple, l’espoir s’est toujours révélé être un outil puissant et la clé de la victoire. Ces manifestations sont pour les droits de l’homme, et incluent, crucialement, les droits LGBTQI+. Cela ne devrait pas être oublié.
Pétitions pour sauver les vies de Sareh et Elham. [29.12.22 La peine de mort a été annulée ! Nous nous battons désormais pour leur libération !].
Vous pouvez soutenir la Marche Internationale pour les Réfugié-e-s Queer du Moyen-Orient.
L’association Galop, basée au Royaume-Uni soutient les survivant-e-s LGBT+ de violences sexuelles, crime haineux, et violence conjugale. Leurs services incluent une ligne d’écoute et un chat en ligne, ainsi que des avocat-es et assistant-es sociales proposant conseils et soutien émotionnel.
NOTES POST-TRADUCTION collectif A MES SOEURS- Traduction queer internationale
- Un MANIFESTE pour les droits à la vie des personnes Queer a été crée par des personnalités d’Iran et Afghanistan. Il se partage en 13 points. Il est en cours de traduction. A voir sur rangallery.com en farsi.
- Armita Abbasi, queer juive, a été libérée de prison le 7/02 après plus d’une centaine de jours d’incarcération et de mobilisation. Alors que son procès s’est tenu le 28 janvier, elle avait participé à la grève de la faim du 2 janvier avec 14 autres personnes à la prison de Katchoï à Karaj, pour protester contre la torture, viols et harcèlements. Elle a été libérée avec plusieurs autres femmes, dont Yasaman Aryani, incarcérée depuis 2019 pour avoir, la tête nue, avoir distribué des fleurs dans le metro.
- Le lien entre le soulèvement iranien et les résistances kurdes féministes est décrit dans l’audioblog L’actu des Oubliés, partie III. La mise en pratique du féminisme dans les luttes des Kurdes au Bajur et au Rojava sont inspirantes et contagieuses.