Faut-il aller prendre l’apéro chez Chalençon ?

Lundi 5 avril. On a la dalle. Qu’est-ce qu’on fait demain ?

Le 2 avril, la chaîne M6 publiait sur son compte Twitter un extrait d’émission consacrée aux restaurants clandestins fréquentés par la haute bourgeoisie parisienne, réalisé pour le journal télévisé de 19h45. La vidéo laissait clairement apparaître les dorures du Palais Vivienne, établissement privé acheté en 2015 par Pierre-Jean Chanlençon, un collectionneur bonapartiste bien connu dans le showbiz qui se vantait publiquement, encore aujourd’hui dans Voici, de compter nombre de politiques et de gouvernants parmi ses amis. Amis avec qui Monsieur Chalençon a visiblement l’habitude de partager des repas coûtant entre 160€ et 490€ dans les beaux quartiers de la capitale, pendant que la population subit de plein fouet la crise sanitaire et ses conséquences économiques, qui viennent s’ajouter à celles de la crise jamais résolue de 2008, et qui n’iront qu’en s’aggravant dans les années à venir.

Interrogé par M6 dans ce même reportage, sa voix anonymisée mais clairement reconnaissable, Monsieur Chalençon s’est défendu en disant : « J’ai dîné cette semaine dans deux ou trois restaurants, qui sont justement d’ailleurs des restaurants soi-disant clandestins avec un certain nombre de ministres, alors ça me fait doucement rigoler. On est encore en démocratie, on fait ce qu’on veut. » Monsieur Chalençon faisait moins le fanfaron à la télévision lorsqu’on lui demandait des comptes au sujet de sa rencontre avec Dieudonné à l’anniversaire de Jean-Marie Le Pen, en juin 2020.

Monsieur Chalençon n’aura certes pas manqué de remarquer que, dans une démocratie bourgeoise, la bourgeoisie peut faire ce qu’elle veut. Mais il semble avoir manqué l’essentiel, à savoir que la démocratie bourgeoise s’impose aux classes populaires comme la dictature policière de la bourgeoisie. Tout cela fait « doucement rigoler » Monsieur Chalençon. Il ne doit pas être le seul, compte tenu du succès de ses petits festins dorés à huis clos. Nous aussi, nous avons fait le choix d’en rigoler : le 4 avril, en réaction au reportage M6, un compte Twitter lançait un appel parodique invitant la population à s’inviter chez Monsieur Chalençon pour prendre l’apéritif. La blague ne manqua pas d’être remarquée, appréciée et diffusée jusqu’à ce que d’autres, remontés contre l’indécence et l’impunité de la bourgeoisie des beaux quartiers, décident de se la réapprorier et de la rendre plus vraisemblable.

Au fil des heures, la blague semblait devenir toujours plus réelle, et avec elle les risques de répression policière et judiciaire. Au point qu’il faille se poser une question brûlante, rarement posée correctement et souvent par les mauvaises personnes, à qui on se permet de l’emprunter un instant : Peut-on encore rire de tout ? On pourrait poser la question différemment : l’État va-t-il envoyer sa police militarisée pour défendre le Palais Vivienne, cette « zone de non-droit » dorée de la haute-bourgeoisie où les dominants se torchent le cul avec les règles sanitaires en toute impunité ? Les forces de l’ordre vont-elles gazer, tabasser et interpeler le peuple venu manifester – s’il vient manifester – en riant sa colère face à l’indignité et à l’injustice de la situation ? Les amis de Monsieur Chalençon se côtiseront-ils pour régler les contraventions que la police infligera à ceux – s’ils viennent – qui ne sont rien mais qui tenteront pour un instant de manger à la table de ceux qui ont tout ? La justice bourgeoise ira-t-elle chercher chez eux les joyeux lurons et charlatans qui auront eu le malheur de rigoler un peu plus fort que Monsieur Chalençon et ses convives ? Seul l’avenir nous le dira.

Des dalleux
Mots-clefs : répression | manifestation | covid

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