« Et maintenant, quoi ? »
Dans les projections étriquées que nous avions faites la veille ne figurait aucunement la possibilité de nous poser une quelconque question. De sorte que cette question nous a conduits à nous en poser d’autres :
Préparer ceux qui suivraient à emprunter le chemin de la mort ?
Former plus de soldats, et qui soient meilleurs ?
Consacrer nos efforts à améliorer notre matériel de guerre en si piteux état ?
Feindre de dialoguer et d’être disposés à signer la paix, tout en se préparant à frapper de nouveaux coups ?
Avoir comme seul destin tuer ou mourir ?
Ou bien devions-nous reconstruire le chemin de la vie, celui-là même que ceux d’en haut avaient brisé, et continuent de briser ?
Pas seulement le chemin des peuples premiers, mais aussi celui des travailleurs, des étudiants, des professeurs, des jeunes et des paysans, sans parler de celui de toutes ces différences que l’on applaudit en haut, mais qu’en bas on persécute et punit.
Devions-nous inscrire notre sang sur le chemin que d’autres conduisent vers le Pouvoir ou devions-nous détourner notre cœur et notre regard vers ceux que nous sommes vers ceux qui sont ce que nous sommes, à savoir, les peuples premiers, gardiens de la terre et de la mémoire ?
Personne n’y a prêté attention à ce moment-là, et pourtant, dans les premiers balbutiements qu’ont été nos paroles d’alors, nous avions signalé que le dilemme auquel nous étions confrontés n’était pas d’avoir à choisir entre négocier ou combattre, mais entre mourir ou vivre.
Quiconque avait saisi à l’époque que ce dilemme des premiers jours n’était pas individuel aurait sans doute mieux compris ce qui a eu lieu dans la réalité zapatiste au cours des vingt dernières années.
Je vous disais donc que nous nous étions heurtés à cette question et à un tel dilemme.
Et nous avons tranché.
Et au lieu de nous consacrer à former des guérilleros, des soldats et des bataillons, nous avons préparé des promoteurs d’éducation et de santé et peu à peu furent érigées les fondations de cette autonomie qui émerveille aujourd’hui le monde.
Au lieu de construire des prisons, d’améliorer notre armement, d’élever des murs et de creuser des tranchées, des écoles ont vu le jour, des hôpitaux et des dispensaires ont été construits ; nous avons amélioré nos conditions de vie.
Au lieu de nous battre pour avoir notre place au Panthéon des morts individualisées d’en bas, nous avons choisi de construire la vie.
Tout cela, au beau milieu d’une guerre qui, bien que sourde, n’en était pas moins létale.
Parce que c’est une chose, compas, de crier « Vous n’êtes pas seuls ! », mais c’en est une autre que d’affronter avec son seul corps une colonne blindée des troupes fédérales, comme c’est arrivé dans la zone des Altos du Chiapas, et que, dans ces cas-là, la seule chose à espérer, c’est : avec un peu de chance, quelqu’un va s’en rendre compte ; et avec un peu plus de chance, ce quelqu’un va s’en rendre compte et aussi s’indigner ; et avec beaucoup de chance, ce quelqu’un va s’indigner et faire quelque chose !
En attendant, ce sont les femmes zapatistes plantées devant elles qui ralentissent les automitrailleuses et, à défaut de machines de guerre, c’est grâce à la bravoure de mères et à des pierres que le serpent d’acier a dû rebrousser chemin.
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