La première audience sera ce mercredi 14 janvier, lors de laquelle un report sera demandé et certainement obtenu.
Ce texte est un récit qui revient sur des moments intéressants ou marquants de la GAV qui s’est déroulée majoritairement dans les locaux de la Sûreté territoriale de Paris. C’est un récit plus ou moins général, qui par moment intègre des bouts de récit plus personnel, écrits à la 1re personne par certain·es inculpé·es. Il comporte aussi des récits des prises d’empreintes de force et des tentatives d’y résister (TW violences des keufs).
Les identités : avantages d’être sous X ou faux nom
Au départ, on est séparé·es dans 2 commissariats, celui du 10e et celui du 20e et chaque groupe d’arrêté·es choisira une technique d’anonymisation différente. Hormis celleux qui avaient des justificatifs d’identité sur elleux au moment de l’interpellation, dans le 20e on choisit la fausse identité tandis que dans le 10e on est sous "X". Au final, sur les 12 inculpé·es, 4 seront sous "X", 5 sous fausse identité et 3 ont leur pièce d’identité.
A posteriori, on se dit que c’était utile de ne pas donner nos véritables identités par nous-mêmes. Car pendant les 48H, les flics ont dû charbonner en priorité là-dessus. Vu le peu d’éléments qui leur ont été donnés au départ, les actes d’enquête pourtant nombreux qu’iels ont fait (et leur volonté de nous charger sur cette affaire) n’ont pas abouti à grand chose (le dossier reste assez vide). Autrement dit retrouver nos identités leur a demandé beaucoup d’énergie qu’iels auraient pu mettre ailleurs.
L’avantage d’être sous fausse identité c’est que les flics peuvent penser que c’est une vraie. Après, c’est quand même assez facilement vérifiable pour elleux par d’autres moyens. Ça dépend un peu du contexte d’interpellation, s’iels se doutent que c’est probable qu’on donne une fausse identité ou pas. En tout cas, s’iels gobent le faux nom et qu’il y a finalement rappel à la loi par exemple, la personne peut sortir sans qu’il n’y ait aucune trace de son passage en GAV. S’il y a convocation pour un procès futur, pareil, la personne est libre de ne pas se présenter à ce procès. Un des inconvénients de la fausse identité c’est que ça peut nous faire un chef d’inculpation en plus (mais pas systématique et mineur), mais aussi ça nous fait beaucoup de récidive si on le fait à chaque fois et on peut se retrouver avec un casier avec plusieurs condamnations pour identité imaginaire.
L’avantage d’être sous X c’est que les flics sont perdu.es dans les papiers, iels ne savent plus qui est qui, ont du mal à différencier les gardé.es-à-vues, ce dont on peut jouer. Après qu’iels soient perdu.es ou pas, dépend aussi pas mal de notre attitude : si c’est pas quelque chose auquel on avait pensé en entrant sous X, on se retrouve souvent malgré soi à leur faciliter le travail, en répondant par réflexe à la dénomination (X1, X2, etc.) qu’iels nous attribuent, ou bien lorsqu’iels viennent demander si oui ou non il s’agit bien de notre fouille, etc. Tout ça pour dire qu’entraver le travail des flics implique quand même une démarche active, autrement on se voit répondre à ces petites questions "anodines" souvent posées en cellule. Enfin, être sous X n’est pas répréhensible par la loi. L’inconvénient c’est que c’est aussi très probable (mais pas certain) qu’iels renouvellent la GAV et nous défèrent car n’ayant aucune identité.
Avocate mystère
La première nuit vers 2 heures du matin, les flics viennent réveiller un camarade dans sa cellule en lui disant que sa commise d’office est là pour lui. Chelou, car il a demandé un avocat choisi... Mais il y va, après tout, ça le fait voir autre chose que les quatre murs gris de sa cellule. La meuf, en pantalon de cuir large et petit pull en laine se présente rapidement, lui pose des questions sur les faits et insiste sur sa grande identité. Elle dit qu’elle en a besoin pour les papiers d’AJ (Aide Juridictionnelle). Le camarade ne répond pas à ses questions, et lui dit qu’aucun de ses avocat·es par le passé n’a eu besoin de ça. Elle rétorque qu’elle doit remplir ce papier avec sa filiation et sa situation de vie, à retourner au tribunal pour être payée. Elle ajoute qu’il ne faut pas s’inquiéter, car c’est différent des papiers qu’elle laissera au comico, sous-entendant que les flics n’auront pas accès à sa grande identité, qu’il n’a pas voulu donner à l’OPJ en arrivant. Après quelques échanges inutiles, où elle refuse de contacter son avocat choisi et de lui faire passer un message, toustes deux se disent au revoir. Quand le camarade ouvre la porte, un flic qui s’est cru au camping est posté là sur une chaise pliante, la tête à 5 cm de la porte, ayant écouté tout le dialogue. En retournant en cellule, les camarades se disent que c’est chelou cette histoire car les commis·es n’ont pas besoin de remplir les papiers d’AJ, en plus il est 2h du mat un 1er janvier. Finalement, après être sortie·s et avoir eu accès au dossier, aucune trace du passage de cette "avocate" dans les procédures. Sûrement une flic un peu zélée qui a tenté au bluff de partir à la pêche aux infos d’identification, du jamais vu par ici !
Sortir les infos : appeler un.e proche
Dès le début de la GAV, l’un·e d’entre nous demande à faire prévenir sa "cousine", en donnant son prénom, son nom de famille écorché et son numéro de téléphone de tête (c’est pas possible de faire appeler quelqu’un·e de son entourage autrement, alors il faut exercer sa mémoire...!) Cette personne est en réalité un·e ami·e qui s’occupe de l’anti-répression dehors, mais parler d’un·e membre de la famille, ça fait en général plus "sérieux" pour les flics.
Ça ne fonctionne pas toujours, mais cette fois iels ont transmis le message au parquet, la "cousine" a été prévenu·e le soir-même, et il lui a été dit dans quel commissariat nous étions.
Ça ne semblait pas évident pourtant, l’OPJ ayant pris note de tout ce qui lui était dit sur une feuille volante à notre arrivée dans le commissariat du 20e. Mais, du coup, ça valait la peine d’essayer !
Plus tard, une fois arrivée à la Sûreté Territoriale (1er arrondissement), sachant qu’il était possible de demander à passer un appel soi-même à un·e proche, la personne demande à l’OPJ qui l’auditionne d’appeler en direct sa "cousine" au téléphone pendant l’audition, ce que l’OPJ accepte (ce ne sera pas le cas pour une autre compagnonne). L’OPJ se permet à ce moment-là une remarque du style "ah c’est votre cousine ? je pensais que c’était votre concubine...?!" alors qu’elle fait face à une personne assignée femme - elle s’imagine sans doute que ça va la déstabiliser.
En tout cas, ce moment aura permis de vérifier que la "cousine" était bien au courant, qu’elle savait où en était notre procédure et que les gens dehors s’occupaient de nos garanties de représentation. Mais aussi de s’assurer qu’elle était bien en contact avec l’avocate qui était venue nous voir en GAV. De même, en arrivant au dépôt du tribunal le soir du déferrement, elle a de nouveau été prévenue (c’est possible de le demander au moment où on nous demande de décliner notre état civil, avant de passer à la fouille).
Arrivée à la Sûreté territoriale
Dans la matinée du 1er on est transféré·es au commissariat de la "Sûreté territoriale de Paris", dans le centre de la capitale, près des Halles. Selon les flics, parce qu’on est dans une "affaire sensible" et que le dossier est "particulièrement suivi". L’année commençait bien pour nous. Là, iels nous font rentrer un·e par un·e et direct, au milieu de ce couloir rempli de flics, on a le droit à un coup de pression sur la prise d’empreintes de force à venir.
« Iels me lancent "alors, prête pour la prise d’empreintes forcée ?". Je flippe mais ne veux pas leur laisser le plaisir de le constater. Alors je rétorque avec provoc "allez, c’est parti." »
Dans ce comico, certain·es keufs nous font comprendre qu’on serait inculpé·es d’association de malfaiteurs. Ça pue. Sans doute pour mettre la pression et faire parler rapidement, puisque la suite montrera que c’était du flan.
Les auditions permettront aux prévenu⋅es d’admirer les locaux excentriques à souhait, de la lampe de bureau en forme de gros gun en or, à la vue qui donne sur la cour intérieure de cet ilôt urbain signé Dominique Perrault, mixant espace coworking cosy, hôtel cinq étoiles, restaurant concept et agence de La Poste, tout en écrans géants animés éco friendly.
La perquiz d’un camion
L’un·e des inculpé·es a été emmené·e pour la perquisition d’un véhicule, elle nous en fait ce récit :
« À l’arrivée à la Sûreté, les flics trouvent une clé de véhicule dans ma fouille, iels frétillent, c’est ce qu’iels cherchaient car un camion "louche" a été trouvé dans les parages de l’interpellation. Quelques dizaines de minutes plus tard iels viennent me chercher en cellule pour "une perquisition". Je préviens les autres en criant, quelqu’un·e me répond qu’on est là pour association de malfaiteurs (à moi les flics m’avaient dit groupement). Du coup je pars pour la perquiz’ avec cette info en tête ce qui ne va pas m’aider à bien vivre le moment.
Je suis emmenée en voiture jusque dans l’enceinte du CRA de Vincennes par un commissaire et son adjoint qui le vouvoie. "Comme ça tu vas le voir de l’intérieur haha". Des flics leur indiquent un parking et ils finissent par trouver le camion. Il est dans un périmètre de sécurité balisé par des plots.
Dans un premier temps ils me laissent dans la voiture garée plus loin, porte ouverte. Ils vérifient que la clé correspond, et attendent qu’un "chien explosif" vienne vérifier que le camion n’est pas dangereux. On est arrivé à la bourre du coup le chien était reparti, on attend qu’il revienne, c’est long. L’équipe de déminage est elle déjà présente, j’en entends un qui explique un peu embarrassé au commissaire que faut être précis sur les termes et que "ça c’est pas un véhicule suspect". J’arrive pas à saisir plus car je suis loin, mais en tout cas je vois bien l’absurdité de faire tout le cérémonial de prévention explosif comme si le camion pouvait être piégé alors qu’iels l’ont remorqué pour le mettre de leur plein gré dans l’enceinte d’une taule...
Sans surprise, une fois Kiki le malinois arrivé il ne constate rien de dangereux (le sac poubelle contenant les feux d’artifice a été sorti le temps de son inspection, pour ne pas le perturber j’imagine) et la perquiz peut commencer. Ils me sortent de la voiture et me flanquent debout à côté du camion sous le regard de plein de flics du CRA venu.es voir si c’est bien vrai ce qu’on dit dans les journaux. Une déçue, à un nouvel arrivant : "Y’a pas de cocktails molotovs apparemment". Et toustes de me dévisager comme une bête de foire, peut-être la première fois qu’iels voient une anarchiste de près, si tant est qu’iels sachent ce que ce mot veut dire : "Regarde, c’est la fille à Jean-Luc". Au loin, il y a un monsieur bien habillé, caricature de bourgeois, entouré de sa cour, qui jette également un coup d’œil, je me dis que c’est le directeur du CRA. Bref, la mise en scène est assez désagréable, d’un coup j’ai l’impression d’être Mesrine et je me sens très vulnérable et inquiète. Sans compter que le temps est long et que je suis menottée depuis ma sortie de cellule, ce qui commence à me faire de sérieuses douleurs dans les épaules, et en plus je me caille le cul.
De leur côté, iels prennent tout leur temps. Le "labo" intervient une première fois pour faire trois relevés d’ADN (sur le volant et des canettes de bières). Ensuite le commissaire et son adjoint font la fouille, ils sortent chaque objet qui les intéresse du véhicule, m’interrogent (sans réponse) et les placent sous scellé. Mis à part le passeport d’une tierce personne qu’ils signalent "écarter pour les besoins de l’enquête", sans aucun statut juridique, et qui a certainement fini à la poubelle après avoir été utilisé durant certaines auditions. Un bout de shit finit lui dans la pelouse du CRA : "On va pas se prendre la tête pour ça hein, je le jette ???". Le "labo" intervient de nouveau pour mettre de la poudre noire sur chaque cm2 de la carrosserie et des vitres du camion et tous les objets qui s’y trouvaient, mais ne trouvent aucune empreinte exploitable (?!). Finalement, iels m’annoncent qu’iels vont remettre le camion dans la rue : "On aurait pu vous faire chier et le laisser ici mais bon ça aurait été aussi chiant pour les collègues du CRA, puis bon on va pas s’amuser à ça".
Suite à ça iels vont toustes nous rajouter "transport d’explosifs" comme chef d’inculpation. »
Presse et avocat·es
Une avocate se pointe au comico, elle remplace un avocat choisi car elle fait partie du même cabinet. Lors de l’entretien avocat, elle nous informe d’un tweet publié par un journaliste de Valeurs Actuelles d’après une source policière qui concerne notre affaire. Ce tweet parle d’un "véhicule fiché" dans lequel sont "retrouvés des mortiers, fusées d’artifices et autres objets pyrotechniques" et fait le lien avec les évasions du 25 décembre et de possibles tentatives d’évasions.
Le lendemain, elle nous dit que tous les médias d’extrême droite comme Valeurs Actuelles, CNews, Europe 1 mais aussi Le Parisien et la presse régionnale ont écrit des articles sur "un projet d’attaque mortelle déjouée au CRA de Vincennes" (CNews) ... la pression monte quelque peu.
RAD
Lors de la totalité des interrogatoires, les 12 inculpé·es n’ont "rien à déclarer", sachant pertinemment que c’est notre droit et que parler revient à remplir inutilement le dossier en se chargeant soi-même ou les autres. Lors des auditions des questions ont été posées sur le véhicule perquisitionné, la présence de feux d’artifice, la personne dont le passeport a été trouvé, nos liens entre nous, etc. Mais aussi si on faisait partie d’un groupe politique défini.
« Iels tentaient des petites manip pour faire réagir et parler en audition, par exemple "Pourquoi gardez-vous le silence si ce n’est pour échapper à vos responsabilités et obéir à vos idéaux anarchistes ?" ou un simple "Vous avez quel âge déjà ?" dans un couloir. »
Se parler entre cellules, se brieffer
Un truc qui était cool c’était que bien qu’on ne pouvait pas se voir entre cellules, on pouvait communiquer en gueulant. De cette manière, on a pu échanger sur la situation, se rassurer, se donner les informations sur ce qui allait se passer ensuite. Ou bien se donner de la force pour essayer de résister à la prise d’empreinte.
Prise d’empreinte (TW violences policières)
Depuis notre arrivée à la Sûreté, les keufs nous mettaient régulièrement la pression pour qu’on donne nos empreintes. La menace de la prise forcée était donc bien présente dans nos esprits. Surtout qu’iels nous avait rajouté le chef d’inculpation de "détention d’explosifs" ce qui leur permettait légalement de le faire.
« Le deuxième jour, l’OPJ est venue me chercher dans ma cellule pour une nouvelle audition, je savais que la prise d’empreinte forcée risquait bientôt d’arriver donc je me méfiais un peu. Surtout qu’une des potes était partie en audition avec cette même OPJ il y a pas longtemps mais n’était pas redescendue... Bizarre. Mais bon je sais pas trop pourquoi, je décide d’y aller quand même.
Il faut savoir que avant ça dans notre cellule (on était 5) on s’était motivé⋅es collectivement pour essayer de résister au moment de la prise d’empreintes. On avait prévu de refuser de sortir de la cellule, de se tenir les un⋅es aux autres et de faire un max de bruit. On en avait parlé entre cellules aussi. On voulait que ça leur prenne un max de temps et que ça leur coûte un peu. On se disait d’essayer de les fatiguer au maximum, que peut-être comme ça iels auraient la flemme pour les derniers. Mais que on faisait aussi ce qu’on se sentait de faire, que si ça nous faisait trop flipper c’était OK de ne pas résister, ou moins, ou d’une autre manière.
Aussi on était que des personnes blanches, ce qui participe sûrement au fait que les keufs ne se soient pas trop défoulé⋅es. En vrai, ça arrive souvent que les flics soient bien plus véner à ce moment là, qu’iels utilisent leurs tasers ou tapent même les personnes blanches.
Bref, l’audition se finit. On me sort du bureau et là, en plein milieu d’une sorte d’intersection de couloirs m’attendent une vingtaine de keufs. Je me met à trembler instantanément mais essaie que ça ne se voit pas trop (raté). Je me prépare mentalement, je regarde partout autour de moi. Sur une table les keufs ont ramené la machine à encre et le papier. Je demande un⋅e avocat⋅e. On me dit que c’est mort, que les empreintes c’est maintenant, et que le seul choix qu’il me reste c’est de les donner de moi-même.
Je serre mes poings dans mes poches et refuse. Plusieurs flics m’attrapent alors et essaient de choper mes mains. Je flippe, je hurle. Je refuse de me tenir debout et de marcher moi-même vers la table. Qu’iels me portent. C’est ce qu’iels finiront par faire. Après une petite pause leur permettant de reprendre leur souffle puant, iels me choperont les pieds pour me mettre en lévitation à l’horizontale. Clé de genou, clé de bras, des keufs tenant chaque bout de membre. Je ne peux plus gigoter comme avant, je ne sens plus ma main du tout.
Les empreintes et les photos finies, on me redescend en cellule.
J’ai la rage et crie aux autres que les prises d’empreintes commencent. On tape aux portes des cellules et hurle. Dès que les keufs reviennent choper quelqu’un.e on essaie de résister comme on peut. Je suis claqué mais je donne tout ce que je peux. Ça me défoule. »
« C’était long et fatiguant pour moi aussi. Tout était filmé avec une petite caméra et, bien que j’aie évidemment eu mal, j’aurais dit qu’iels auraient pu se lâcher encore plus. Peut-être que c’est que je me débattais pas tant que ça non plus. Quoiqu’il en soit, je fais ce que je peux pour maintenir mes poings fermés. Iels sont très nombreux⋅ses, une vingtaine autour et sur moi face à ce bout de table posé dans ce bout de couloir. C’était étonnant de voir tous ces nazes en chier autant pour déplier un simple doigt. Ça glissait tellement on transpirait tous. Je revoie le sbire de la scientifique tout rouge, le front qui perle de sueur. Tentant sans doute le tout pour le tout, il y en a un qui a essayé de me déstabiliser en me chatouillant un pied. Malgré mes efforts (chiffonner la feuille etc ;) les traces seront exploitables et inscrites au FAED selon le dossier.
"Si tu craches je vais m’énerver" me lance la capitaine avec son petit appareil photo face à moi. "Arrête de bouger c’est pas de très bonne qualité sinon. On peut pas s’offrir du bon matériel avec les impôts que tu paies pas." Entre la grosse paluche qui me serre les joues et le pouce qui appuie sur ma machoire au niveau de l’oreille, j’essaie de reprendre du souffle et d’articuler que Lumix est une multinationale qui n’a pas besoin de recevoir de fric pour équiper la police, qu’on m’a déjà pris plusieurs fois en photo c’est dommage qu’iels se donnent autant de peine, et bref que c’est tous des nazes. »
Une prise avortée :
« En lisant le dossier plusieurs jours après, je remarque que je m’en suis tirée sans inscription de mes empreintes au FAED malgré la prise forcée. Bonne nouvelle, que me vaut ce petit traitement de faveur ? Le PV décrivant ma prise d’empreinte ne dit quasiment rien, si ce n’est "vu la tentative de relevé d’empreintes digitales concernant [x] dont ce fut un échec au vu de son attitude". Alors que d’autres PV sont plus fournis (coups de pieds, morsures, "[x] se jette à terre"...).
J’ai quand même ma petite idée, et je ne sais pas si c’est mon interprétation qui biaise mon souvenir mais j’ai le sentiment diffus qu’iels avaient un peu de mal à assumer de s’acharner sur une petite blanche comme moi. Je pèse 42kg, ça se lit bien à la largeur de mes poignets et de mes bras. Qui sait, j’ai peut-être le gabarit de leur adolescente à la maison.
Quand iels m’ont soulevé les jambes, pour me mettre à l’horizontale, dans cette position ô combien humiliante, j’entendais une OPJ derrière avec son air inquiet : "allez-y doucement, elle est toute mince". Avec le haut du corps écrasé contre la table tandis qu’une équipe de 3-4 flics s’occupaient du bras et de la main au bout qui les intéresse, je me suis uniquement acharnée à garder mon (tout petit) poing fermé lol, j’étais pas en train de me débattre de tout mon corps non plus. Ce qui n’aidait pas leur mauvaise conscience je pense.
En tout cas, quand au bout d’un moment le gars de la scientifique, après s’y être repris à deux fois sur la même main, a dit : "pff elle transpire trop [entendre de la main], est-ce qu’on s’arrête là ?", personne autour n’a insisté pour poursuivre. Peut être qu’en fait tout le monde était soulagé (?).
Une fois terminée (empreintes, photos), qu’on te remet en position verticale merci, il y a cette assemblée de gens autour de moi qui me dévisagent longuement, dans le plus grand silence, image vraiment bizarre qui restera gravée dans ma mémoire. »
Une non-prise d’empreintes :
« Vu que j’avais ma carte d’identité sur moi, iels avaient pas le droit de prendre mes empreintes de force, quels que soient les chefs d’accusations. J’ai quand même reçu la réquisition du proc sur laquelle était bien précisé, à tort donc, qu’il n’y avait aucun autre moyen de vérifier mon identité. S’en est donc suivi plusieurs argumentations bruyantes avec divers OPJ afin de faire valoir qu’iels n’avaient pas le droit de faire ça.
On avait un peu préparé notre stratégie pour résister et on se tenait entre nous pour rendre la tâche de nous sortir des cellules plus difficile pour les keufs. C’était hyper impressionnant, iels venaient à une dizaine à chaque fois et les ami⋅x pris⋅es se débattaient et criaient. Nous pendant ce temps on gueulait, on frappait sur les vitres des cellules avec nos poings et nos pieds pour faire un maximum de bruit et leur rendre la tâche plus stressante, et aussi pour donner de la force aux copain.es quand iels étaient emmené⋅es.
Iels sont venu⋅es chercher les compagnon⋅es les un⋅x après les autres, à chaque fois qu’iels revenaient, j’étais sûre que j’allais être la prochaine. À un moment, presque tout le monde était déjà passé, alors je me préparais mentalement et physiquement. J’avais fait un élastique pour mes cheveux avec un des sacs plastique du kit hygiène et un des ami⋅x avait dit qu’attraper le fond de ses poches ou serrer un paquet de mouchoir dans sa poche avait bien marché. Je me souviens plus d’où est sortie l’idée à ce moment hyper chaotique mais je me suis dit qu’il fallait que je me dégueulasse les mains le plus possible. Quelques secondes plus tard j’étais en train de remplir ces fameux kits d’hygiène décidément très multifonctionnels du succulent et graisseux riz méditerranéen qu’on avait pas eu le temps de manger avant le début de la bataille. J’attendais assise dans mon coin de cellule avec les mains plongées dans les sacs plastiques cachés dans mes poches, des poignées de riz bien écrasés dans mes paumes. J’avais hyper peur à ce moment mais je crois que je riais aux larmes tellement la situation était absurde.
Finalement ça y est, la petite armée arrive à quelque un.es dans la cellule et appellent mon nom, moi j’avais déjà commencé à crier que j’avais ma carte d’identité alors j’entendais même pas ce que la flic essayait de me dire. Elle me demande si je veux donner mes empreintes. "Bah non." "Et bah ok !" elle répond agacée avant de tourner les talons et s’en aller avec sa clique. Je reste perplexe.
La technique avait été transmise à la cellule d’à côté qui a tenté l’expérience comme en atteste cet hilarant passage du dossier :
« Celles-ci ont les mains dans des petits sacs en plastiques (ceux issus du kit d’hygiène) dans lesquels se trouve la nourriture qui leur a été donnée antérieurement. Remarquons que les deux femmes triturent la nourriture tout en nous regardant fixement. »
Les keufs elleux ont cru à une préparation d’attaque de bouffe et sont venu⋅es, armé⋅es, des matelas en guise de bouclier, leur confisquer la totalité des trucs dans leur cellule qui aurait pu servir de projectile.
La résistance remarquable des compagnon⋅nes à la prise d’empreinte forcée aura donc au moins donné la grande flemme aux flics de me les prendre à moi, malgré la réquisition. »
Les keufs finiront par confisquer la nourriture de tout le monde avant qu’on ait le temps d’y toucher, et se vengeront en restreignant au maximum l’accès au toilettes et à l’eau le reste de la GAV.
Une prise d’ADN par la ruse :
« Je n’arrivais plus à respirer à la fin de la prise de signalétique de force du coup les flics ont appelé les pompiers. En les attendant iels me mettent dans une cellule dans l’entrée, porte ouverte, iels sont plusieurs devant la porte et la chef qui a supervisé la prise de force s’assoit à côté de moi à l’intérieur.
Elle fait la gentille, et en chemin elle m’avait proposé un verre d’eau que j’avais accepté. Elle me demande plusieurs fois si je reveux de l’eau et d’un coup je me rends compte que c’est pas une bonne idée que les flics récupèrent ce gobelet. Jusque là j’ai pris soin de jeter mes couverts et gobelets à la poubelle ou de les racler dans les chiottes de la cellule, pour essayer de mélanger d’autres ADN au mien. Le fait d’être deux en cellule aide aussi à ce qu’iels ne puissent pas déterminer quoi appartient à qui. Mais là je me retrouve piégée au milieu d’eux avec mon gobelet. Du coup je réponds non aux propositions de la chef de reremplir le gobelet en espérant trouver un moment pour le jeter dans une poubelle. Elle finit par me le prendre des mains "bon bin si t’en veux plus", le donne à une autre flic devant la cellule en lui glissant un mot à l’oreille, et se casse.
Ça me semble maintenant sûr ce qu’iels ont derrière la tête, je dis à l’autre flic que je reveux bien un peu d’eau finalement, elle le remplit et me le donne direct, je le bois puis le racle au sol. Iels me le reprennent tout de suite donc vraiment pas sûr que j’ai réussi à saboter le truc. »
Douche
Après plusieurs passages aux toilettes, un camarade remarque avec étonnement qu’il y a en fait une douche dans ces chiottes de GAV ! Les flics l’ont sûrement eux-mêmes oubliée !
« Après m’être donné corps et âme pour le raffut des prises d’empreintes forcées, et puant littéralement des aisselles et probablement de partout ailleurs, je me dis qu’une petite douche, ça serait amplement mérité après une si belle rébellion. Me doutant qu’aucun gardé-à-vue ne l’a probablement utilisée depuis des mois (voire des années ?), et que les flics ne verraient pas d’un très bon œil que je me prélasse sous l’eau chaude de la Sûreté, je demande une nouvelle fois naïvement à aller aux toilettes, ayant au préalable fourré les serviettes hygiéniques du kit d’hygiène dans mes poches, en guise de serviette de toilette. Une fois la porte rabattue (elle ne ferme pas), je me désappe ni une ni deux. L’eau est bel et bien chaude ! Quel plaisir ! Et il y a même du savon à l’amande, que j’applique sur mon doux corps, savourant ce moment unique dans l’histoire de mes GAV. Quoi de mieux ? Je me dis que si les flics entrent parce qu’iels se doutent de quelque chose, iels seront plus gêné.es que moi, me sachant sans pudeur aucune. »
Dans le couloir sur le chemin du retour en cellule, il se pavane en caleçon, quand... chouip ! il manque de se casser la gueule, ses pompes étant toutes mouillées, mais les flics ne captent rien, malgré son sourire en coin.
Audition 2 : vous vous reconnaissez sur la photo ?
« Pour m’emmener à ma 2e audition, les flics viennent me chercher en cellule. Et là pour la première fois iels me menottent pour monter. Je trouve ça chelou alors je me méfie. Puis mon OPJ m’appelle pour la première fois par mon vrai blaz, alors que je suis sous faux nom depuis le début. J’essaie de rien laisser transparaître. Elle me demande combien je mesure. Là je me mets à phaser genre "Merde, iels prétextent une audition mais me remmènent pour un 2e tour d’empreintes forcées". La mesure de la taille ayant généralement lieu en même temps que la prise d’empreinte et faisant partie de la signalétique. Du coup, je me remets à me rebeller, je refais le poids mort au sol et gigote dans tous les sens, iels sont obligé⋅es de me re-porter sur 2 étages, à cinq ou six, pour finalement... m’asseoir sur ma chaise d’audition dans le bureau de mon OPJ. Pas de 2e prise d’empreinte de force, ouf ! Mon OPJ, spécialisée dans les cambriolages d’importance, procède à mon audition normalement et à la fin me demande, vous confirmez vous appeler [faux blaze] ? Je confirme. Et là elle me sort une grosse photo de quelqu’un de très bg en me demandant, reconnaissez-vous la personne sur la photo ? Il s’agit de ma photo de passeport. Je n’ai rien à déclarer et fais un petit poker face inutile ; iels ont bel et bien retrouvé mon état civil. »
Les flics retrouveront les identités de toustes les arrêté⋅es sauf une, avant le déferrement.
Déferrement
Au final on est déferré⋅es, et 2 d’entre nous sont orienté⋅es en Comparution immédiate (CI en jargon juridique) tandis que les 10 autres sont orienté⋅es en CPVCJ, aka passer devant le juge des libertés et qu’on nous mette un CJ (Contrôle Judiciaire) jusqu’au procès. La distinction entre qui passe en CI et qui passe en CPVCJ c’est faite sur la base des antécédents judiciaires (TAJ) des inculpé⋅es (précédentes GAV, procès, etc.)
Pour les 10, la proc’ a demandé une interdiction du 12e arrondissement, une interdiction de se voir et un pointage 1 fois par semaine au commissariat. On est 2 CPVCJ à habiter ensemble alors on argumente qu’on peut pas être interdit⋅es de se voir, ce qui marche. Pour l’interdiction du 12e on dit que c’est impossible parce qu’une majorité d’entre nous habite Montreuil et que la ligne du métro de Montreuil pour aller à Paris passe par le 12e,qu’une personne est en formation dans le 12e, la juge propose de nous interdire simplement des abords du CRA (à 200m). Pour le pointage elle a juste dit d’emblée qu’elle comptait pas y donner suite.
Ce qui donne le CJ suivant : interdiction des abords du CRA de Vincennes, (elle avait l’air partie pour s’en tenir là mais elle nous rajoute au dernier moment :) interdiction de se voir sauf pour les gens qui habitent ensemble (au motif que notre accusation c’est groupement) et puis interdiction de port d’arme pour la beauté du CJ.
Pour les 2 qui passent en Comparution immédiate c’est un peu différent. Le risque de détention provisoire est réel. On a le seum, iels nous séparent pour essayer de mettre les 2 en prison (c’est la seule raison logique pour le parquet de faire ça). Dans les cellules, on discute de quelques préparatifs en cas d’incarcération.
Dans la salle d’audience, il y a quelques journalistes.
« Finalement la proc ne demandera pas la DP (détention provisoire), mais un CJ assez similaire aux autres. On sortira libres, avec une interdiction de paraître aux abords du CRA de Vincennes (moins de 200m). La pote a aussi une interdiction de rentrer en contact avec les autres (moi je l’ai pas). »
Finalement les 2 procédures sont jointes à nouveau avec une première date d’audience pour les 12 ce mercredi 14 février à 13h30 au TGI de Paris. On demandera un report qui sera probablement accordé donc le procès aura lieu à une autre date.
Vous serez informé⋅es d’une manière ou d’une autre de la suite !