Même s’il s’inscrit dans le contexte international consécutif à la crise de 2008, le changement qui se produit en Turquie ne se réduit pas à une variante locale du Printemps arabe ou des Occupy occidentaux.
En 2010, s’opposant à la privatisation de leur entreprise de tabac et alcool par le gouvernement AKP [1] au pouvoir depuis 2002, deux mille salarié-e-s de Tekel venant de toute la Turquie, avec leurs familles, se sont réuni-e-s dans la capitale Ankara, afin de construire une résistance contre les politiques du gouvernement.
Pendant 78 jours, les ouvriers de Tekel avaient résisté à des mesures répressives et autoritaires et rassemblé toutes les couches de la société turque au delà des différences ethniques et religieuses, qui ont toujours structuré la politique du pays. J’avais alors évoqué l’hypothèse d’un retour du mouvement ouvrier en Turquie oublié depuis le coup d’état de 1980 ou tout du moins la reconstruction de la conscience de classe au sens social du terme [2].
En tout état de cause, la lutte des ouvriers de Tekel ainsi que d’autres luttes telles que Taris, (dans le secteur de l’huile d’olive) ou Maymara (dans le secteur du textile) ayant eut lieu ces mêmes années, ont montré les failles sociales qui existent au sein des communautés religieuses, ethniques et sociales qui nous semblaient jusqu’à présent comme des groupements homogènes. La révolte de Gezi a vraisemblablement été dans la continuité de cette résistance.
D’une part les luttes intérieures et le climat créé par les ouvrières de Tekel, et d’autre part les politiques néolibérales et dérives dictatoriales du gouvernement ont donné naissance à un mouvement historique que la Turquie n’a pas vu depuis 1968 [3]. Il y a tout juste un an, quelques dizaines de personnes, de divers courants écologiques, ainsi que les habitants et habitantes du quartier de Taksim se sont réunis dans le parc Gezi afin d’empêcher le projet de piétonnisation de la place de Taksim prévoyant la construction d’un centre commercial et d’une caserne militaire ottomane qui avait été démolie au début du XXe siècle.
Malgré la répression, des milliers de personnes ont occupé un centre névralgique d’Istanbul pendant quelques semaines. Plus de trois millions de personnes ont manifesté à travers tout le pays rassemblant comme en 2010 toutes les couches de la société, transformant un mouvement écologique en mouvement social et politique contre le gouvernement AKP et la violence policière.
Après environ un mois d’affrontements directs causant la mort de six jeunes, plusieurs milliers de blessé-e-s et nombreuses arrestations de manifestants et manifestantes (qui pour la plupart n’avaient jamais manifesté), le mouvement s’est perpétué sous d’autres formes, notamment les forums de quartier et de parc. Alors que le mouvement semblait s’essouffler, il rassembla de nouveau des milliers de personnes aux funérailles d’Elvin Berkin, un jeune de 14 ans agressé par la police alors qu’il allait acheter du pain et resté 269 jours dans le coma avant de mourir.
L’une des particularités de la révolte de Gezi est de réussir à fédérer toute une diversité socio-politique (les différentes fractions de classe, formations politiques, les syndicats, groupes féministes, LGBTI, les Kurdes, les Alévis, etc.), ce qui n’était pas le cas dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire d’avant le coup d’État de 1980. L’âme de Gezi peut être définie comme une « unité dans la diversité », qui fonctionne horizontalement en se basant sur la participation de tous et toutes et la reconnaissance de chaque « identité ».
Graffiti à Istanbul en juin 2013. [4]
Cependant, cette unité dans la diversité n’a pas su créer une alternative politique en face du gouvernement d’AKP qui se base sur l’Islam politique, le nationalisme turc et les politiques néolibérales. En effet, l’AKP a remporté largement les élections municipales de mai 2014.
Une des erreurs stratégiques du mouvement de Gezi a été de se mobiliser uniquement contre le gouvernement et de compter sur les partis politiques traditionnels pour effectuer un changement sociopolitique...
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