Samedi 11 septembre, la répression du mouvement de libération et d’autodétermination zapatiste a atteint un point de non-retour. L’Organisation régionale des producteurs de café d’Ocosingo (ORCAO), véritable milice paramilitaire, a kidnappé et enlevé deux zapatistes (Sebastían Nuñez et Jose Antonio Sanchez Juarez) et les a séquestrés pendant 8 jours. Les camarades n’ont pu être relâchés vivant que grâce à l’intervention des prêtres du diocèse de San Cristobal de las Casas. Après s’être faits dépouiller des 6 000 pesos destinés à leur communauté autonome par l’ORCAO, évidemment. L’État du Chiapas, lui, a tout fait pour saboter les pourparlers et les négociations pacifiques entreprises par l’EZLN. Rien d’étonnant quand on sait que les autorités et leurs partenaires narcotrafiquants travaillent ardemment à isoler, intimider et diviser les communautés autonomes. [1]
De l’institutionnalisation à la paramilitarisation : le zapatisme face à la contre-insurrection au Chiapas
L’ORCAO est née en 1988 avec pour objectif de répondre à l’effondrement des prix du café et au retard agricole dans la municipalité d’Ocosingo. En 1992, l’organisation s’est prononcée en faveur de l’autodétermination des indigènes. Rien ne laissait alors prévoir qu’elle se vautrerait dans la collaboration paramilitaire avec le mauvais gouvernement. En rejoignant l’Union nationale des organisations paysannes autonomes régionales (UNORCA) du Chiapas, où elle tient désormais une place de premier ordre, l’ORCAO a entamé un processus de décomposition semblable à celui qu’ont connu les autres organisations du même type ayant choisi d’intégrer les systèmes de gouvernance municipaux, étatiques et fédéraux. En l’an 2000, elle a soutenu le Parti de la révolution démocratique (PRD), scission de centre-gauche du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), ancien parti progressiste devenu technocrate et néolibéral qui a gouverné le pays sans interruption de 1946 à 2000. L’électoralisme de l’ORCAO a payé, puisque l’organisation a commencé à toucher de l’argent public et s’est vue offrir l’occasion d’accéder à des terres... à condition d’y chasser les zapatistes et leurs bases de soutien ! Ainsi, quand l’EZLN a lancé sa répartition agraire par le bas en décembre 2007, les producteurs de café se sont empressés de louer et de vendre leurs terres afin de les rendre inaccessibles aux zapatistes. [2]
Depuis, l’ORCAO n’a de cesse de menacer et d’attaquer les communautés en rébellion du Chiapas. Passages à tabac, intimidations, vols de bétail, kidnappings, tirs à balle réelle, incendies criminels : tous les moyens sont bons pour l’État et ses laquais plus ou moins paramilitarisés lorsqu’il s’agit de combattre la propriété commune du sol. L’ORCAO est une organisation paramilitaire. Elle est soutenue, financée (donc armée) et protégée à tous les niveaux (municipal, étatique et fédéral) par les institutions. En février 2020, des membres de l’ORCAO appuyés par une autre milice paramilitaire et des militants du parti politique MORENA (dont le candidat étiqueté à gauche et favorable aux mégaprojets a remporté les élections présidentielles en 2018) ont kidnappé et tabassé des membres du Congrès national indigène avec deux de leurs bébés. En août 2020, elle a pillé et incendié des caves à café dans un centre de commerce. En novembre 2020, elle a enlevé et torturé pendant quatre jours un membre des bases de soutien zapatistes de la communauté Moisés Gandhi. Au mois de janvier de notre année, elle a tiré des centaines de coups de feu contre des habitations de cette même communauté à plusieurs reprises pour terroriser la population. [3]
L’impérialisme français en Amérique latine
Ces attaques nous concernent. Elles nous touchent. D’abord, parce que nous ressentons au plus profond de notre cœur chaque injustice, chaque outrage fait à la vie. Puis, parce que l’État qui nous gouverne, ici en France, joue et a toujours joué son rôle dans la répression sanglante des peuples et des communautés en lutte pour leur liberté. Dans ses anciennes et néo-colonies, sur son sol métropolitain, mais aussi là-bas, en Amérique latine, où la bourgeoisie française et son État se sont toujours tenus aux côtés des dictateurs. La France a pris part au boycott du cuivre chilien nationalisé sous le mandat d’Allende, aux côtés des États-Unis et des autres puissances impérialistes, pour déstabiliser le gouvernement d’Union Populaire et provoquer une guerre civile, une intervention militaire étrangère ou un coup d’État.
Par la suite, elle a joué un rôle de premier ordre dans la réalisation et l’exécution du Plan Condor. [4] Elle a collaboré avec les dictatures pro-américaines dans leurs massacres d’opposants, en projetant même sur son sol métropolitain [5]. Et quand les généraux et les juntes ont laissé leur place aux autocrates et aux bureaucraties mafieuses, la France a continué de dispenser son savoir-faire répressif. En 2014, c’est elle (sa gendarmerie plus exactement) qui a aidé le narco-État mexicain à former sa Gendarmeria Nacional, force paramilitaire dépendante de la Police fédérale mexicaine chargée de protéger les activités économiques stratégiques du pays. [6] Les hélicoptères de ces unités, c’est la France qui leur a vendu. Quand les porcs tiraient à balle réelle sur les enseignants et les enseignantes d’Oaxaca, en juin 2016, l’État français avait sa part de responsabilité. Encore une fois. Et d’où sortent, enfin, les technocrates mexicains ? De l’Institut Technologique Autonome de Mexico (ITAM), université privée spécialisée en relations internationales et en économie, élue meilleure faculté d’économie d’Amérique latine, qui compte HEC et Sciences Po dans son réseau.
Frapper l’hydre au cœur
En 2015, EDF a annoncé vouloir construire 115 éoliennes près de la commune d’Union Hidalgo, au Sud du Mexique, dans ce qui devait constituer un projet d’infrastructures éoliennes majeur à l’échelle mondiale. Avec la bénédiction du gouvernement et sans consulter les 12 000 habitantes et les habitants de la commune d’Union Hidalgo, dont 90% sont issues du peuple zapotèque. Face à la contestation des défenseurs et des défenseuses des droits et de l’environnement, le groupe EDF et l’État mexicain ont répondu par des menaces de mort et des enlèvements. Il est important de noter, à ce stade, que 83% du capital appartient à l’État français via l’Agence des participations de l’État (APE). Il va sans dire qu’aucun gouvernement français n’a souhaité commenter la situation au Mexique, ni reconnaître l’implication du pays. [7] Des pratiques courantes qui font écho aux dizaines d’assassinats politiques recensés chaque année chez les opposants et les opposantes aux mégaprojets énergétiques. [8] Derrière chacun de ces mégaprojets, c’est la survie des identités indigènes et la possibilité de faire société hors des rapports sociaux capitalistes qui est en jeu. En ce sens, chacune des luttes et des résistances locales s’entremêlent pour constituer un seul et unique combat pour la vie. Nous pouvons et devons y participer de notre côté de l’Océan. La solidarité est une arme : apprenons à tirer !
D’abord, en refusant de relayer les avancées des communautés en rébellion et les attaques des forces réactionnaires comme des événements isolés : quand l’ORCAO mitraille des maisons dans l’État du Chiapas, nous devons parler des intimidations dans celui d’Oaxaca, et inversement. [9] Puis, en nous montrant capables d’identifier les acteurs responsables du désastre qui se joue là-bas pour pouvoir les frapper ici, au cœur de l’hydre : loin des concepts creux et des postures morales, la solidarité doit se manifester dans des actions tactiques inscrites dans une réflexion stratégiques d’ensemble. Enfin, en démasquant et en combattant les imposteurs et les hypocrites de tous bords : on ne peut pas se déclarer solidaires des zapatistes et des communautés en rébellion au Mexique sans combattre celles et ceux qui soutiennent leurs bourreaux. Encore moins quand des camarades zapatistes entreprennent de traverser l’Océan pour venir à notre rencontre.
Bas les masques
Andrés Manuel López Obrador (AMLO), président « de gauche » élu sur des fausses promesses progressistes peu différentes de celles de nos leaders réformistes, a immédiatement rassuré la classe capitaliste et les paramilitaires en annonçant un mandat de mégaprojets et de modernisation du pays. Le tout sur fond d’intégration et de neutralisation des luttes indigènes, avec la création d’un Institut national des peuples indigènes chargé de saper le Congrès national indigène impulsé par les zapatistes. [10] À gauche de l’échiquier bourgeois, la figure la plus en vue de ce que certaines et certains aiment désigner comme « notre camp » s’est elle aussi empressée d’aller serrer la pince d’AMLO et de saluer sa volonté de « rupture » vis-à-vis du néolibéralisme dont nous commençons sérieusement à ressentir les effets ici. [11] Nous parlons évidemment ici de Jean-Luc Mélenchon, dont le voyage au Mexique a été financé par le parti MORENA. Celui-là même que nous avons évoqué plus haut. De quoi nous rappeler, s’il en était encore besoin, qu’il n’y a pas de « en même temps » qui tienne. Et que les ambiguïtés sur les alliances stratégiques finissent toujours par nous coûter. Quoiqu’il arrive.
Face aux assauts permanents du vieux monde, de ses États et de ses milices, l’autodéfense populaire s’organise. Plus question pour les zapatistes de reculer. Il en va de même pour leurs camarades, partout où ils et elles se trouvent.
¡Abajo el mal gobierno y sus milicias !