Et, nous n’en pouvions plus de ces tours, qui nous regardent avec suffisance. À croire que le béton contamine les corps, fige et fissure les destins. Nous avons tant regardé l’agrégat, que nos yeux, si joyeux, sont devenus durs et rugueux. Alors nous avons crié et mis le feu à notre côté, pour qu’enfin on le voie. Pour se sentir aussi, faire bouger et vivre ce qui semblait figé et peu importe si cela se produisait en une explosion. La police encore plus armée fut la réponse. Pas seulement, les trafics et l’extrémisme religieux devinrent eux aussi toujours plus prégnants. Deux fleurs sombres, moins antagonistes que l’on pourrait le croire, qui prennent forme là où on laisse un vide. Et comme nous étions l’autre côté, vous êtes encore une fois passés à côté.
Le monde d’à côté, notre monde, c’est celui d’où viennent vos femmes de ménage, qui dès l’aurore s’en vont nettoyer les bureaux parisiens. Les manœuvres, tristes ombres, qui très tôt, sont emportées par des camions pour s’abîmer sur les chantiers. Les petits employés précaires qui s’endorment, morts de fatigue, dans le transilien toujours en retard. Et puis, il y’a ceux qui restent, ceux qui des tours et barres n’ont plus la force de s’arracher et sont absorbés, peu à peu. Quand l’autre côté s’embrase parce qu’il ne veut plus être l’autre côté, la police tire et blesse. De l’autre côté, vous ne voulez pas le voir, viendra aussi l’avenir. Les banlieues sont jeunes dans une France aux provinces et aux centres vieillissants. Cette jeunesse est une chance, un espoir qui ne pardonnera pas qu’on l’enterre, quand elle demande à s’épanouir, à s’émanciper du béton.
La campagne de diabolisation de l’Islam prenant forme actuellement — à laquelle se prêtent avec vice médias oligarchiques et gouvernement — n’a pas d’autre objectif que de créer un clivage entre la France des banlieues et les autres. De créer un « nous les Blancs » contre un « eux les musulmans ». Mais la stratégie est grossière, en plus d’être hors-sol. Elle est celle d’un gouvernement aux abois qui pense encore pouvoir désamorcer une révolution en pointant du doigt un groupe social pouvant former l’un des moteurs de celle-ci. Idiot celui que ces poncifs séduit. Mais ne nous trompons pas : des extrémistes religieux existent bel est bien, ils sont un épouvantail de division que des années de pratiques clientélistes locales ont contribuées à monter. Comment rendre muet un quartier où 80% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté ? Laissez-y des trafiquants y monter un État dans l’État (une mafia), laissez-y des extrémistes religieux y répandre des doctrines. Pourtant, nous sommes plus forts et cela ne suffira pas à nous bâillonner.
Et puis, il y a ces couleurs, ces contours sur nos visages et nos peaux que les autres n’ont pas. Et qui, un ou deux siècles après l’abolition de l’esclavage, sont encore un non-droit. Alors quoi, chercher à s’émanciper seul ? Se conformer à un système responsable de nos souffrances ? Mendier les miettes d’une société endogame avariée ? Cela serait la pire erreur possible. On ne gagne jamais seul contre une oppression générale. Si pour sortir d’une banlieue, vous devez renier ce que vous êtes, arracher de votre être tout ce que l’autre côté a inscrit en vous, alors c’est vous qui vous perdez. La lutte collective, encore et toujours, seule et unique réponse. Mais à côté de qui ? Et pourquoi ?
Nous le savons, un mouvement a pris la rue. Ceux qui y sont se parent de jaunes et n’ont pas de couleur. Ils souhaitent la fin des tyrannies économiques, le pouvoir décisionnel pour tous. Les banlieues, nous ne cessons de le répéter, sont jaunes depuis 40 ans. Et puissamment nombreux et salvateurs sont les banlieusards qui ont pris la rue au cours de cette année et ont soutenu publiquement le mouvement. Les sombres médias oligarchiques, les prismes déroutants, ont voulu faire croire à la masse inerte que les Gilets jaunes étaient tous blancs, de classes moyennes basses et peu sensibles aux luttes intersectionnelles. Mais les Gilets jaunes, plus généralement ceux qui prennent la rue, sont la masse des opprimés qui se bat pour sa dignité. Mais aussi pour récupérer sa souveraineté. Que nous nous entendons là-dessus : dignité et souveraineté n’ont pas d’autre couleur que celles du sang lorsqu’elles sont bafouées. Et l’espoir est en ceux qui battent le pavé et luttent pour un monde meilleur. L’espoir est, rajoutons-le, de toutes les couleurs, de tous les sexes, de toutes les géographies, dans tous les corps, quand la conservation de l’ordre mortifère réside dans les mains moites de quelques-uns.
Un changement aura lieu, c’est désormais une certitude, partout où le capitalisme fou a créé des souffrances dans les âmes, s’est sclérosé dans les corps, partout en ces endroits des masses se lèvent et ont cessé de s’indigner pour se révolter. La lutte sera à mort contre ce système d’oppression : l’édénisation ou l’enfer. Car oui, c’est d’un enfer inégalitaire sous fond de crise écologique qu’il est désormais question. Il est de notre devoir de comprendre que le gouvernent actuel fait tout pour bâillonner ces luttes légitimes, porteuses d’espoirs, et alimente — en contre-feu — les passions les plus sombres pour diviser ce qui fait notre unité. Notre espoir commun.
L’histoire est écrite par ceux qui se soulèvent, il en va de même pour les constitutions et les droits humains. Les banlieues sont l’une des forces décisives, pouvant faire basculer en une issue positive notre combat. Ceux qui prennent la rue aujourd’hui auront leur mot à dire quant au processus constituant de l’après-régime.
Alors que les banlieues prennent feu, mais plutôt que cela se produise sur les territoires où nous vivons. Prenons la rue, avec les autres, ceux qui se parent de jaune, mais n’ont de couleurs autres que l’espoir. Avec ceux qui se rapprochent des lieux de pouvoirs et font trembler les oligarques et leurs valets en tapant à leurs portes. Montrons que plus que jamais nous faisons un « peuple », luttons tous prêts les uns des autres. Ne laissons personne nous diviser et nous faire croire que seule la lutte individuelle et sectaire prévaut sur toutes les autres. Personne ne fait l’histoire seul, l’histoire s’écrit collectivement. Que l’on se souvienne de ceux qui ont lutté anonymement, comme d’une personne morale et grandiose : le peuple uni.
Un manifestant de Mantes-la-Jolie