À ceux qui se croient libres

Les mouvements à l’intérieur des prisons dans les années 1980 sont peu connus, contrairement aux révoltes anti-carcérales des années 1970 qui ont été plus médiatisées et portées par le groupe d’information sur les prisons (GIP), puis par le comité d’action des prisonniers (CAP). Mais la critique de la prison ne s’est pas arrêtée à la fin des années 1970. Les deux livres présentés mardi 16 février à la bibliothèque autogérée de Malakoff (BAM), À ceux qui se croient libres (L’Insomniaque, réédité en 2015) de Nadia Ménenger et Beau comme une prison qui brûle de Kyou sont deux récits de prisonniers et de militants anti-carcéraux qui se battent dedans et dehors contre l’enfermement, depuis les années 1980.

À ceux qui se croient libres a pour la première fois été édité en 2009. Il est le fruit du travail d’assemblage de témoignages recueillis par Nadia Ménenger et de textes et dessins de Thierry Chatbi, co-auteur posthume.

Nadia Ménenger est militante anti-carcérale. Elle a très vite remis en question la prison - à qui elle sert, comment elle fonctionne – voyant son jeune frère incarcéré en 1985. Au cours de cette période, elle crée une association de parents-amis de détenus. Elle a participé à la constitution d’un collectif pour l’abolition de l’isolement carcéral (Caic) et au lancement de l’émission de radio hebdomadaire Parloir libre. L’émission a donné la parole aux prisonniers, relayé et soutenu les luttes à l’intérieur des prisons et permis d’informer sur ce qui se passe à l’intérieur, notamment sur le suivi du mouvement. Parloir libre sert alors de caisse de résonance des mouvements qui ont lieu au sein des prisons, diffusant les plates-formes de revendication locale et nationale comme la fermeture des quartiers d’isolement, la fin du mitard, du prétoire, le paiement des prisonniers au smic, les demandes de sortie plus rapide avec les conditionnelles et remises de peine. En 2000, Nadia participe au lancement de l’émission de radio l’Envolée (qui deviendra aussi un journal) qu’elle quitte en 2007, puis reprend quelques années plus tard, avec une émission mensuelle qu’elle anime avec Kyou, un ancien détenu.

À ceux qui se croient libres retrace le parcours d’un prisonnier social – parce qu’issu d’un milieu populaire - Thierry Chatbi. Son enfance permet aussi de comprendre l’origine sociale des prisonniers. On ne peut ignorer que la plupart des prisonniers viennent de quartiers pauvres et représentent le prolétariat ou le lumpenprolétariat rejeté du monde du travail ou assujetti au précariat, ce qui n’est pas sans interroger sur qui va en prison et pourquoi.

Lorsqu’une personne est enfermée jeune, elle se retrouve très vite dans un parcours carcéral. Dès ses 14 ans, Thierry est pris en charge par les institutions, de la maison de correction dès l’enfance aux centres pour jeunes détenus dans son adolescence (le CJD de Fleury) puis en maisons d’arrêt jusqu’aux centrales de haute sécurité. 25 ans de vie derrière les barreaux dont près de 13 ans dans les quartiers d’isolement dont Thierry Chatbi et d’autres n’ont cessé de dénoncer l’existence. Insoumis, il a participé activement aux mouvements qui ont secoué les prisons.

Quand Thierry Chatbi se suicide à sa sortie de prison, en 2007, c’est un vrai choc. Nadia a tenté, avec l’édition de ce livre qui lui est consacré, de comprendre et de témoigner de l’enfermement et de l’isolement (la fin de l’isolement était une des revendications centrales dans les années 1980) qu’a vécu Thierry Chatbi, comme d’autres détenus dans les années 1980. Le livre À ceux qui se croient libres est une critique de la prison, à travers le témoignage de Thierry Chatbi ou d’autres amis à lui, anciens détenus qui l’ont connu.

La réédition de 2015 permet aussi de faire de la prison une question politique, sociale et non pas une question d’individus, comme il est courant de l’entendre actuellement. C’est aussi important de transmettre la mémoire de cette lutte pour les nouvelles générations qui n’ont pas connu ces mobilisations.

Beau comme une prison qui brûle

Le 16 avril 1988, la prison d’Ensisheim flambe. Kyou, ancien détenu et un des principaux acteurs de la révolte, en raconte la genèse. Tout comme Thierry Chatbi dont il était un ami, Kyou est entré très jeune dans un « parcours » carcéral. Comme il le dit lui-même, sa vie a été rythmée par des « petites incarcérations, puis la grande délinquance ». Braqueur multi-récidiviste, il a déjà 11 ans d’incarcération à 30 ans. Mais sans cesse, il cherche à s’évader. Il est vite considéré comme un détenu rebelle. À chaque mouvement en prison, considéré comme meneur, il se voit transférer de taule en taule.

Le 4 janvier 1988, Kyou arrive à la centrale d’Ensisheim, près de Mulhouse, après d’innombrables transferts pour rébellion, tentative d’évasion ou insoumission. Il tente une évasion qui rate (comme il le narre dans la première partie du livre). Mais du mitard où il est enfermé, renaît l’idée de repartir. Car, il ne voudrait manquer pour rien au monde de voir une prison péter. D’ailleurs, lors de la révolte du D4 à Fleury, il se trouvait au D2, il a donc rater cette belle occasion de voir une prison cramer. Idem quand il passe à St-Maur, il monte un mouvement, se fait virer alors que trois mois plus tard, la prison explose ! Autant dire qu’il est dèg, comme il le dit lui-même ! Bref, du mitard où il est enfermé et puisqu’ils ne peuvent pas partir : « on va destroye la taule », dit-il. Lorsque ses complices et lui sortent du mitard, leur énervement, visible, fait fuir les matons. Alors que la prison est normalement plutôt calme, le mouvement de révolte prend. La prison brûle pendant que lui mange des petits gâteaux au milieu de la cour. Au moment où les autorités veulent négocier, Kyou se paye le luxe de leur dire « qu’il prend le goûter ». Mais 24h plus tard, la répression a été très dure. Les mutins verront 4 ans ajoutés à leur peine.

Pour Kyou, la lutte n’est pas dans l’amélioration des conditions de détention. « Je ne suis pas dans des discours humanistes, ça ne sert à rien de ripoliner les murs de prisons, la prison est inutile et néfaste ». La prison est un laboratoire pour voir ce qui peut être pacifié et détruit.

La discussion qui suit la présentation des deux livres donne l’occasion de revenir sur le contexte politique des années 1980, la situation actuelle et sur la difficulté de se révolter pour celles et ceux qui sont dedans. Les années 1980 voit l’arrivée de la « gauche » au pouvoir, dans une période de chômage de plus en plus massif. À son actif, le PS prétend avoir l’abolition de la peine de mort et la fin des QHS. En réalité, il faut souligner le cynisme du PS, très fort dans la subversion des mots. Si la peine de mort est abolie, les peines incompressibles sont créées (en 1994) et ont pour conséquences d’allonger les peines de prison. Les QHS, eux sont remplacés par les QI et beaucoup de prisonniers peuvent témoigner qu’au final, cela revient au même.

La supposée volonté de mettre en place des peines alternatives, dans la loi Taubira, n’est que poudre aux yeux. En réalité, la loi Taubira n’a fait que poursuivre le travail de ces prédécesseurs en mettant en place des peines supplémentaires exécutées à l’extérieur ; la prison hors les murs. Le nombre de prisonniers est toujours plus élevé, les peines sont toujours plus nombreuses et plus longues (à la fin des années 1970, la perpétuité tournait autour de 18 ans. Aujourd’hui, les prisonniers restent enfermés 30 à 40 ans.). De plus en plus de personnes sont écrouées que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur. Les assignations à résidence font partie des contraintes pénales qui permet d’enfermer les gens chez eux.

Si dans les années 1970, on remettait en cause l’existence même de la prison, aujourd’hui, la prison est vue comme un simple outil de gestion de la misère. Dans les QHS géants qui sont construits, les prisonniers sont de plus en plus isolés. La vie à l’extérieur est tellement dure qu’on oublie de regarder la prison alors que c’est un baromètre intéressant pour savoir ce qui se passe dans nos vies. Non seulement les révoltes sont matées très vite, mais il devient facile de faire passer pour juste énervées ou folles des personnes qui se révoltent. La répression, au sein des prisons, est sidérante, avec l’utilisation de grenades de désencerclement, taser, flashball, en cas de mouvement et l’intervention des ERIS (ces milices encagoulées qui interviennent pour mater les détenus). Sur les derniers mouvements, les prisonniers qui ont jeté des bouteilles d’eau se sont vus ajouter des années de prison ferme.

Aujourd’hui, on voit se mettre en place un État autoritaire. À l’intérieur, comme à l’extérieur, on peut se faire gazer, réprimer, enfermer. Et aujourd’hui, on est enfermé dehors, comme en a témoignée une personne assignée à résidence, obligée de pointer plusieurs fois par jour au commissariat. Si dans les années 1980, les révoltes ont été possibles, c’est qu’une communauté d’intérêts s’est rencontrée. Aujourd’hui, c’est encore possible et à construire.

Mots-clefs : anti-carcéral
Localisation : Malakoff

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