Paul Signac naît le 11 novembre 1863, à Paris. Fils unique de riches commerçants, il peut donner libre court à sa passion pour la peinture. Sa carrière artistique débute en 1880, mais sa rencontre en 1884 avec Seurat est déterminante pour son orientation artistique. L’école néo-impressionniste vient de naître et il devient rapidement un de ses brillants représentants. Quel lien existe-t-il entre impressionnisme et anarchisme ?
Cette combinaison est d’abord le fait de milieux et de personnalités « en rupture avec la vie bourgeoise » : on pense à des peintres comme Camille Pissaro, Maximilien Luce, Georges Seurat, ou à des critiques d’art comme Félix Fénéon, inculpé lors du procès des 30. Le souvenir de la répression de la Commune de Paris n’est pas éteint. On discute Proudhon et Bakounine, la notion de République sociale agite ardemment les esprits, la question sociale et la réflexion politique hantent tout le pays : portées, entre autres, mais vigoureusement, par les mouvements anarchistes qui sont nombreux, vibrants, et très divisés, en particulier sur la pertinence de la reprise individuelle et du socialisme parlementaire. Les peintres de la Nouvelle-Athènes et les néo-impressionnistes côtoient des personnalités anarchistes comme Émile Pouget, Louise Michel, Jean Grave, etc. Parmi les quelques portraits de Signac, notons ainsi (outre les « Démolisseurs » symbolisant l’assaut contre la société bourgeoise) celui de son ami, le critique d’art anarchiste Félix Fénéon, en magicien de la couleur.
A l’avant-garde des recherches picturales, Paul Signac en vient ainsi à s’intéresser aux idées révolutionnaires de son temps. La lecture de Kropotkine, d’Elisée Reclus lui font découvrir les idées anarchistes. Ami de Jean Grave, il va alors collaborer à partir de 1896 aux Temps Nouveaux, revue qu’il aide également financièrement. Mais l’art purement militant ne l’intéresse guère, il lui préférera une libre expression de l’artiste plus à même de lutter contre les conventions bourgeoises. Cette tension dans la conception de l’art reflète aussi les oppositions internes au mouvement anarchiste, entre individualistes et communistes libertaires. Les néo-impressionnistes semblent plutôt défendre une forme d’autonomie de l’art, ainsi Pissarro écrit-il dans Les temps nouveaux en décembre 1895 :
Y a-t-il un art anarchiste ? Oui ? Décidément, ils ne comprennent pas. Tous les arts sont anarchistes - quand c’est beau et bien ! Voilà ce que j’en pense.
De même, Signac semble s’éloigner des conceptions kropotkiniennes de l’art à tendance sociale : en somme, il ne faut pas trop en demander à l’art, mais celui-ci peut contribuer à la libération du potentiel créatif, à la fois pour l’artiste et pour le spectateur. Pour l’artiste, le néo-impressionnisme est une libération de la vieille façon de peindre, explosion de couleurs et peinture en plein air (quelque chose de comparable à l’explosion du street art dans les années 1970-80). Et pour le spectateur aussi, en un sens, le pointillisme exprime cette autonomie de l’interprète dont le regard seul compose l’image : les petits points de couleur pure juxtaposés scientifiquement sont destinés à se combiner et se mélanger non pas sur la toile mais dans l’œil du spectateur. Nombre des tableaux de Signac représentent ainsi des paysages bucoliques de bord de Seine ou de bord de mer.
Cependant, son chef-d’oeuvre, tant par sa taille (3 mètres sur 4) que par l’idée qu’il exprime, reste le célèbre « Au temps d’harmonie » qui décrit une société libertaire réalisée. Ce tableau destiné à décorer la Maison du Peuple de Bruxelles lui a demandé deux ans de travail (1893-1895). Il était d’ailleurs initialement intitulé « Au temps de l’anarchie » mais la répression politique qui ciblait les anarchistes en France à cette époque l’obligea à changer le titre.
La prise de position de Jean Grave et Kropotkine en faveur de l’intervention guerrière en 1914 cause à Paul Signac un véritable traumatisme qui l’empêche de peindre pendant trois ans. Il rejoint alors les pacifistes internationalistes autour de Romain Rolland, puis s’enthousiasme pour la révolution russe. Un an avant sa mort, il se mobilise encore au sein d’un comité de vigilance des intellectuels antifascistes et de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Paul Signac décède d’une septicémie à l’âge 72 ans, le 15 août 1935, à Paris. Son corps est incinéré et enterré trois jours plus tard, le 18 août, au cimetière du Père Lachaise. Sa conception de la place du peintre dans la société, ainsi que son engagement politique personnel, ont eu une grande influence sur les générations artistiques suivantes.