Pour une approche matérialiste de la question raciale

Cet article publié dans la revue « Vacarme » propose « une réponse aux Indigènes de la République ». L’occasion pour les trois auteures de revenir sur les positionnements et les errements de la gauche en matière d’antiracisme...

Pour nous, descendantes de musulmans et de juifs d’Algérie, mener la critique du PIR, comme mener celle de la Gauche, est une question d’auto-défense.

Des morts en Méditerranée en passant par les émeutes de Baltimore jusqu’aux menus faits quotidiens de la vie métropolitaine, tout nous ramène à la question raciale. Il nous semble nécessaire de proposer une analyse de fond du racisme qui ne soit pas qu’une réponse à chaud aux événements.

On assiste aujourd’hui à une montée de l’islamophobie et de l’antisémitisme. C’est une double vague et il faut réussir à penser les choses ensemble, alors que les séparations sociales sont de plus en plus fortes et les logiques de guerre de tous contre tous incontrôlables. Cela signifie refuser les logiques de concurrence entre les racismes ; mais aussi penser islamophobie et antisémitisme dans toute leur spécificité. Et cela dans le contexte général d’une augmentation de la violence sociale, d’un durcissement des segmentations de classes et des effets du racisme structurel (logement, travail, etc.). C’est de plus en plus dur pour les plus pauvres, pour ceux qui sont déjà les plus précarisés (les racisés, les femmes).

Avec les attentats de janvier, la gauche s’est pris en plein dans la figure son déni de la question du racisme. Elle qui s’est fait une spécialité de dénoncer la victimisation et de refouler le racisme comme phénomène structurel massif. L’obsession du voile des féministes institutionnelles a fonctionné comme un révélateur du racisme d’une gauche accrochée à un universalisme abstrait et agressif.

Voilà pourquoi nous étions enthousiastes devant l’énorme travail qui a rendu visible ce racisme de gauche, républicain, auquel le Parti des Indigènes de la République (PIR) a participé depuis 2004. Nombreux sont ceux qui ont travaillé à saper ce racisme respectable [1] Pour lequel les indigènes ne sont pas réellement des égaux et qui, s’il ne se justifie pas « contre » le racisé, tire son argumentation des grandes valeurs censées l’émanciper. Toute une histoire de la condescendance et du paternalisme de la gauche française reste à écrire, notamment sur la façon dont le discours de classe a été utilisé pour maintenir bien en place les hiérarchies au sein du mouvement ouvrier lui-même.

Néanmoins, il nous semble que le PIR a glissé. Surfant sur les durcissements identitaires, il propose une lecture systématiquement culturelle voire ethnicisante des phénomènes sociaux. Cela l’amène à adopter des positions dangereuses sur l’antisémitisme, le genre et l’homosexualité. Il essentialise les fameux « Indigènes sociaux », les subalternes qu’il prétend représenter. Tout se passe comme si les prolétaires racisés qui subissent le plus violemment le racisme étaient instrumentalisés dans une stratégie politique qui se joue essentiellement dans l’arène de la gauche blanche et des intellectuels radicaux à la mode.

Pour nous, descendantes de musulmans et de juifs d’Algérie, mener la critique du PIR, comme mener celle de la Gauche, est une question d’auto-défense. Nous pensons que nous n’avons rien à gagner dans l’opération politique qui subsume toutes les questions sous celle de la race. Pour nous, non seulement les questions de racisme mais aussi les questions d’économie politique, de rapports sociaux de sexe sont à l’ordre du jour.
(...)

La suite de cet article sur Vacarme

Notes

[1On citera Sylvie Tissot et Pierre Tevanian, Dictionnaire de la lepénisation des esprits, Paris, L’Esprit frappeur, 2002, sur la déconstruction du racisme républicain ; Abdelmalek Sayad « le Mode de génération des générations immigrées », in : Migrants-formation n°98, septembre 1994 ; Jean-Pierre Vernant, « Le PCF et la question algérienne », Entre mythe et politique, Seuil, 1996. Nous ne résistons pas à reprendre cette citation, utilisée par Saïd Bouamama, qui montre la profonde imprégnation coloniale à l’origine du rapport adopté à l’unanimité au congrès interfédéral d’Afrique du Nord du Parti communiste en septembre 1922 : « L’émancipation des indigènes d’Algérie ne pourra être que la conséquence de la révolution en France (…). La propagande communiste directe auprès des indigènes algériens est actuellement inutile et dangereuse. Elle est inutile parce que les indigènes n’ont pas atteint encore un niveau intellectuel et moral qui leur permette d’accéder aux conceptions communistes. (…). Elle est dangereuse (…) parce qu’elle provoquerait la démission de nos groupements. », in : Bouamama, « Les fondements historiques et idéologiques du racisme respectable de la gauche française », 4 mars 2015, https://bouamamas.wordpress.com.

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