Révoltes urbaines, retour d’audience / « Vous trouvez que c’est normal qu’il y ait des émeutes ? »

Quatre mois après la mort de Nahel tué par un policier, juges et procureurs appliquent encore la circulaire Dupont-Moretti. Ni exemplaire ni banale, une audience comme beaucoup d’autres : tristes théâtres d’une justice aux ordres.

Idriss [1] est en prison depuis quatre mois. Aucun de ses proches n’a pu lui rendre visite à Fresnes. Ce vendredi 6 octobre, c’est dans le box des prévenus de la Cour d’appel de Paris à Cité qu’il peut enfin croiser un regard ami. À la barre, Issa [2], lui, est en semi liberté. Tous les deux doivent répondre à nouveau aux questions d’un tribunal.

En première instance, Idriss a été condamné à 9 mois de prison avec mandat de dépôt. Lui et Issa ont été interpellés dans la soirée du 29 juin à Créteil, ni à la même heure, ni au même endroit. Ils ne se connaissaient pas. Accusés de « groupement en vue de commettre des dégradations et des violences », Idriss, invité chez sa mère, sortait acheter du charbon pour sa chicha et Issa, en visite chez un ami, rentrait chez lui.

Quatre mois après la mort de Nahel tué par un policier, juges et procureurs appliquent encore la circulaire de leur ministre [3] : rapides dans la lecture des événements, se bornant au contexte et non aux faits reprochés ; fermes ou plutôt enfermé.es dans leur logique de gardiens de la paix et « systématiquement » à charge dans leurs questions, commentaires, interventions.

Ainsi, la présidente du tribunal lit à haute voix les procès verbaux, insistant sur certains mots : « émeutes, violences urbaines, incendies (…) il fallait protéger les forces de l’ordre (…) Il est 22H30 place de l’abbaye à Créteil, les forces de l’ordre sont violemment prises à partie. Aucun fonctionnaire blessé mais un pare brise d’un véhicule de police est brisé… ». Quand elle interroge Idriss et Issa, c’est pour les sommer d’expliquer ce qu’il faisait là fin juin : « Pourquoi portait-il un bonnet ? Un parka noir ? Pourquoi ces vidéos d’incendies retrouvées dans un portable ? Vous trouvez que c’est normal qu’il y ait des émeutes ? ».

Puis l’avocat général prend le relais, décrit « des scènes de « guerre civile », des « tirs de mortiers » et s’étonne « de voir autant de gens dehors la nuit ». On est fin juin, en soirée, mais peu importe. C’est une évidence pour lui : Idriss et Issa « faisaient parti des groupes hostiles ». Cela lui suffit pour confirmer les condamnations de « première instance ».

Pour les avocates de la défense, « on marche sur la tête », une Cour d’appel qui se borne au contexte sans vraiment s’intéresser aux faits reprochés, « c’est inadmissible ». Ce soir là, il y a eu « 46 interpellations, il faut donc trouver des coupables ». Aucun fait n’est pourtant caractérisé : « les fouilles, rien » ; « les vidéos, rien » ; seuls trois éléments : un bonnet, un vêtement noir et une conversation téléphonique.

Vendredi 20 octobre, la présidente du tribunal rendait son jugement. Issa est assis dans la salle entouré de ses parents. Idriss est toujours à Fresnes. Ici comme ailleurs, les délibérés peuvent s’énoncer en visio. Au-dessus du tribunal, un écran, plan fixe sur une petite salle étroite, une chaise et, au fond, une porte de prison close. La porte, ouverte par un maton, un détenu s’approche de la caméra en surplomb et s’assoit : le verdict tombe. Aujourd’hui, la visio n’a pas fonctionné. La sanction sera téléphonée par le greffier au maton qui transmettra : maintien en détention [4]. Issa à la barre entend la confirmation des peines de première instance. De retour auprès de ses proches, assis tous les trois, le temps d’encaisser la décision, ils ne s’attarderont pas.

Des membres de la Coordination anti-répression Paris IDF présent.es à l’audience

Notes

[1Les prénoms ont été changés

[2Les prénoms ont été changés

[3Le 30 juin, le ministre de la justice Dupont-Moretti rédigeait une circulaire demandant une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ».

[4Idriss, après 4 mois en prison, pourrait « bénéficier » d’un aménagement de peine jamais exécuté dans les délais quand on est entre les murs de l’administration pénitentiaire. On pourra lui écrire (lire à ce propos, le rendez-vous proposé par la Coordination antirep dimanche 29 octobre à la Parole Errante ou / pour en savoir plus sur les écrits aux prisonniers, prendre les infos les mardis lors de sa réunion hebdomadaire).

Localisation : Paris 1er

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