Rencontres avec Silvia Federici autour de « Caliban et la sorcière »

Plusieurs rencontres avec Silvia Federici sont organisées à Paris à l’occasion de la parution de son livre « Caliban et la sorcière »

Samedi 7 juin 18h30 à la librairie Violette and Co
Dimanche 8 juin 16h à la librairie Envie de lire
Mardi 10 juin 19h45 au CICP avec la librairie Quilombo

Paraît (enfin) en juin un traduction du livre de Silvia Federici « Caliban et la sorcière » (dans une co-édition Senonevero et Entremonde) et son auteure est à Paris pour trois présentations publiques dans des librairies de Paris.
Les trois sont en présence de l’auteure, et celle du samedi 7 est une discussion partagée avec Morgane Merteuil, porte-parole et secrétaire générale du Syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe (auteure notamment d’un texte autour de l’illégalité du travail sexuel sur Paris-Luttes.info).

L’introduction du livre a été publié dans son intégralité [sur le site de la revue périodes, Il faut à tout ce monde un grand coup de fouet. Mouvements sociaux et crise politique dans l’Europe médiévale :

« Une histoire des femmes et de la reproduction au cours de la « transition vers le capitalisme » doit débuter par les luttes que le prolétariat de l’Europe médiévale (petits paysans, artisans, journaliers) mena contre le pouvoir féodal sous toutes ses formes.
C’est seulement en évoquant ces luttes, avec leur cortège de revendications, d’aspirations sociales et politiques et leurs pratiques d’opposition, que nous pouvons comprendre le rôle que les femmes jouèrent dans la crise du féodalisme, et pourquoi le capitalisme devait, pour se développer, anéantir leur pouvoir, comme il le fit durant les trois siècles que dura la persécution des sorcières.

C’est seulement en évoquant ces luttes, avec leur cortège de revendications, d’aspirations sociales et politiques et leurs pratiques d’opposition, que nous pouvons comprendre le rôle que les femmes jouèrent dans la crise du féodalisme, et pourquoi le capitalisme devait, pour se développer, anéantir leur pouvoir...

Sous l’angle de cette lutte, il ressort que le capitalisme ne fut pas le résultat d’une évolution graduelle accouchant les puissances économiques en gestation dans la matrice de l’ordre ancien.
Le capitalisme fut la réplique des seigneurs féodaux, des marchands patriciens, des évêques et des papes, à un conflit social pluriséculaire, qui finit par ébranler leur pouvoir et donner « au monde entier une secousse ». Le capitalisme fut la contre-révolution qui réduisit à néant les possibilités ouvertes par la lutte antiféodale.
Ces possibilités, si elles étaient devenues réalités, nous auraient épargné l’immense destruction de vies humaines et de l’environnement naturel qui a marqué la progression des rapports capitalistes dans le monde entier. Il faut bien le souligner, parce que cette croyance en une « évolution » depuis le féodalisme vers le capitalisme, tenu pour une forme supérieure de vie sociale, n’a toujours pas disparu. » (suite à lire sur périodes)

Mais on ne peut saisir comment l’histoire des femmes recoupe celle du développement capitaliste si l’on ne s’intéresse qu’aux terrains classiques de la lutte des classes, services en travail, taux de salaire, rentes et titres, et si l’on méconnait les nouvelles visions de la vie sociale et la transformation des rapports de genre que ces conflits ont engendrés. Il ne faut pas les minorer.
C’est au cours de la lutte antiféodale que nous trouvons trace de la première occurrence connue dans l’histoire européenne d’un mouvement populaire de femmes s’opposant à l’ordre établi et participant de l’élaboration de modèles de vie communautaires alternatifs.

On peut y ajouter les propos de Federici dans sa préface au livre :

« La question historique la plus importante que pose le livre est de savoir comment expliquer l’exécution de centaines de milliers de « sorcières » à l’aube de l’époque moderne et pourquoi l’apparition du capitalisme s’est accompagnée d’une guerre menée contre les femmes.
Les penseuses féministes ont élaboré un cadre qui permet de bien éclairer cette question. On s’accorde généralement à dire que la chasse aux sorcières avait pour but l’anéantissement du contrôle que les femmes avaient sur leur fonction reproductive et servait à ouvrir la voie à un régime patriarcal encore plus oppressif. La chasse aux sorcières a aussi été inscrite dans les transformations sociales qui ont accompagné l’apparition du capitalisme. Mais les circonstances historiques particulières sous lesquelles la persécution des sorcières fut déclenchée et les raisons pour lesquelles la naissance du capitalisme exigeait une extermination des femmes n’ont pas encore été traitées.

C’est la tâche que j’entreprends avec Caliban et la Sorcière, en commençant à analyser la chasse aux sorcières dans le contexte de la crise démographique et économique des XVIe et XVIIe siècles et les lois règlementant le travail et la terre durant l’ère du mercantilisme.
Mon travail actuel n’est qu’une ébauche de la recherche qui serait nécessaire à l’éclaircissement des liens que j’ai mentionnés, en particulier le rapport entre la chasse aux sorcières et le développement actuel d’une nouvelle division sexuée du travail, confinant les femmes au travail reproductif. Il suffit cependant de montrer que la persécution des sorcières (tout comme le commerce des esclaves et les enclosures) fut un aspect central de l’accumulation et de la formation du prolétariat moderne,enEurope et dans le « Nouveau Monde ».

Il suffit cependant de montrer que la persécution des sorcières (tout comme le commerce des esclaves et les enclosures) fut un aspect central de l’accumulation et de la formation du prolétariat moderne,enEurope et dans le « Nouveau Monde ».

Caliban et la Sorcière se rapporte à« l’histoire des femmes »et à la théorie féministe de plusieurs autres façons. Tout d’abord, il vient confirmer que « la transition au capitalisme » est un cas d’école pour la théorie féministe, en ce que la redéfinition des tâches productives et reproductives et des rapports hommes- femmes à laquelle nous assistons dans cette période ne laissent que peu de doute quant au caractère construit des rôles sexués dans la société capitaliste. L’analyse que je propose nous permet aussi de dépasser la dichotomie « genre » et « classe ».
S’il est vrai qu’avec la société capitaliste l’identité sexuelle devient le vecteur de fonctions spécifiques, le genre ne doit pas être considéré comme une pure réalité culturelle, mais doit être envisagé comme une spécification des rapports de classe. »

Il devenait urgent que les textes de Federici soient disponibles en français, son travail pourrait beaucoup apporter aux analyses et mouvements féministes :

« Comme je l’ai laissé entendre, une des principales limites des politiques féministes contemporaines est qu’elles n’ont pas leurs racines stratégiques dans une analyse des changements des conditions matérielles de la vie des femmes, qui se sont produits depuis la fin des années 1970, comme étant la conséquence de la restructuration du monde économique et de la division internationale du travail.
Nous avons beaucoup d’études de cas détaillant l’appauvrissement subi par les femmes à travers le monde et les nouvelles formes d’exploitation auxquelles elles sont soumises. Ce qui manque souvent, pourtant, c’est une analyse générale des façons dont le travail des femmes, et en particulier le travail de reproduction, a été internationalement restructuré et des implications de cette restructuration sur la possibilité d’un mouvement féministe international. »
Extrait d’un texte de Federici, Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail publié par la revue Périodes.

Ce qui manque souvent, pourtant, c’est une analyse générale des façons dont le travail des femmes, et en particulier le travail de reproduction, a été internationalement restructuré et des implications de cette restructuration sur la possibilité d’un mouvement féministe international.

Note

A lire aussi sur Paris-Lutte, un autre texte de Federici sur le salaire contre le travail ménager.

Et ailleurs sur le net :

Mots-clefs : grève | histoire | refus du travail

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