En octobre 2005, étaient fauchées en Seine-Saint-Denis, les jeunes vies de deux clichois, une tragédie mettant en cause des fonctionnaires de police. Depuis, la stratégie de l’État français, loin de chercher à châtier les coupables, consiste uniquement à fuir ses responsabilités. Comme il l’a fait dans les dizaines de crimes policiers depuis des décennies. Ce même mois d’octobre 2005, comme réponse à leur mort, un vent de colère secoua toutes les banlieues de France pendant des semaines. Les interprétations les plus courantes de ces émeutes incriminèrent à juste titre la déshérence des quartiers, les conditions sociales lamentables, le chômage, la vie dure : une véritable guerre sociale faite aux pauvres. Mais elle ne dirent pas assez combien au cœur de cette révolte, figurait, forte, l’exigence de respect. La dénonciation du mépris par lequel avait été traitée la mort de ces deux adolescents et à travers leur cas, la dénonciation du mépris souverain dans lequel sont tenus les habitants des quartiers, leur attachement à la dignité collective.
Vingt ans plus tôt, ce sont déjà d’autres violences policières qui poussèrent des jeunes issus de l’immigration post-coloniale à mener à travers la France la Marche de 1983, la fameuse marche pour l’égalité. Égalité sociale, bien sûr mais aussi égalité de considération. Les jeunes disaient « Nous ne sommes pas du gibier à flics, nous sommes des êtres humains ! » L’État se devait de la briser. Il mit alors tout en œuvre pour saboter cette auto-organisation en médiatisant à outrance certaines officines pseudo-antiracistes. Celles-ci s’employèrent de tous leurs moyens financiers à étouffer la Marche pour l’égalité sous les milliers de décibels de concerts gratuits et leur antiracisme de pacotille. Aujourd’hui, comme il y a 30 ans, comme il y a 10 ans, loin d’avoir renoncé à ses comportements passés, l’État français ne sait que renforcer tous ses dispositifs de surveillance et de répression. En plus des conditions sociales toujours plus déplorables, le harcèlement des populations des quartiers, leur humiliation, constituent le quotidien pour les Noirs, les Arabes, les Rroms, les Blancs des quartiers.
Dans ce paysage dévasté, le crime policier n’est jamais fortuit. Il est l’aboutissement de toute la logique d’un État qui n’a pour nous que désintérêt et mépris. Le crime policier est l’expression achevée du racisme d’État. C’est celui-ci qui conditionne des fonctionnaires puissamment armés à passer à l’acte, c’est lui qui les dispense de réfléchir au moment tragique, qui leur donne le temps de se saisir de leur arme, d’ajuster et de tirer à mort ou d’écraser la poitrine et la gorge de leur proie sous la clef d’étranglement. Le message implicite que délivre le crime policier est simple. « Non seulement vous n’êtes pas des êtres humains comme les autres, mais avec vous nous pouvons aller jusqu’à la mise à mort et les meurtriers sont assurés de l’impunité ». À ce jour, rarissimes sont les procès ayant abouti favorablement. Le crime policier n’est jamais un homicide involontaire, il n’est jamais gratuit, il est là pour répandre la consternation, la désolation dans les cœurs et les esprits des familles endeuillées, pour nous faire renoncer à être traités comme des êtres humains. Il n’épargnera personne, il est là pour nous terroriser.
C’est pourquoi comme il y a 30 ans, comme il y a dix ans, contre l’humiliation quotidienne, contre le mépris, contre l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie, galopantes, contre les crimes policiers, s’impose une nouvelle marche : la marche de la dignité. Notre réaction puissante, organisée, confiante est la seule façon d’enrayer notre écrasement collectif annoncé. C’est à cette grande Marche de la Dignité que nous vous convions le 31 octobre prochain.
Amal Bentounsi, le 8 mai 2015, à Saint-Denis,
au nom du MAFED,collectif de la Marche des Femmes pour la Dignité composé de :
Sihame ASSBAGUE – Rania AYOUB - Rachida AZIZ – Paola BACCHETTA – BAMS – Anissa BENAISSA – Leila BENDERRA – Hind BEN FARES – Feiza BEN MOHAMED – Amal BENTOUNSI Nargesse BIBIMOUNE - Karima BOUACHE – Houria BOUTELDJA – Sarah CARMONA – CASEY – Samia CHALA – Imen CHATTEUR - Ismahane CHOUDER – Gerty DAMBURY – Inès DE LUNA – Rokhaya DIALLO – Éva DOUMBIA – Soraya EL KAHLAOUI – Fanny ESSIYE - Mireille FANON MENDÈS-France – Tauana Olivia GOMES-SILVA – Zeineb GUEDIONNI - Nacira GUÉNIF-SOUILAMAS – Hanane KARIMI – Mebarka KASSAM – Fatima KHEMILAT – Stella MAGLIANI-BELKACEM – Rania MAJDOUB – Fatou MEITE – Zakia MEZIANI – Karima MONDON - Samia MOUCHARIK – Ketty NESTOR – Laetitia NONONE – Monia OUADI – Ndella PAYE - Farida RÉMILA – Maboula SOUMAHORO – Hanifa TAGUELMINT – Nadia TENGOUT - Vanessa THOMPSON – Haifa TLILI – Joby VALENTE - Françoise VERGES – Louisa YOUSFI - Smina ZEKRINI – Ismahane ZERIBI
En collaboration avec les personnalités et organisations de l’immigration et des quartiers populaires et/ou subissant le racisme Association des marcheurs de 1983 - Association des travailleurs maghrébins de France
– Association marocaine des Droits humains, section Paris/IDF - Association pour la reconnaissance des droits et libertés aux femmes musulmanes – BDS France Paris – Brigade Anti-Négrophobie – Cases Rebelles - Collectif Afro-Fem - Collectif Ali Ziri - Collectif Citoyens - Collectif contre Exhibit B - Collectif des Féministes pour l’Égalité – Collectif des filles et fils d’Africains déportés - Collectif des Musulmans de France - Collectif James Baldwin - Collectif Stop le contrôle au faciès – Convergence Citoyenne Ivryienne – Droit à la différence - Éducation en héritage – Espoir et Fraternité Tsigane de Franche-Comté – Falsafa – Fédération des Musulmans du Sud – Femmes en lutte 93 - Ferguson in Paris – Fondation Frantz Fanon - Front Uni de l’Immigration et des Quartiers Populaires – La Voix des Rroms - Les Indivisibles – Les Peaux Cibles – Mamans Toutes Égales - Mémoires en marche - Mwasi collectif - Parti des Indigènes de la République - Respaix Conscience Musulmane – Rez’O – Romano Godjako Truj - Urgence Notre Police Assassine - Zonzon 93 Sabreen Al Rassace (réalisatrice, militante) – Djamel Atallah (ancien marcheur) - Baro Syntax (artiste) - Saïd Bouamama (sociologue) – Nadir Bouhmouch (cinéaste et photographe) – Emir Cherdouh (journaliste) – Raphael Confiant (écrivain) - Kamel Djellal (président du Collectif Citoyens) - Samia Errazouki (co-éditrice de Jadaliyya) – Esperanza Fernandez (artiste) – Hamé (artiste, La Rumeur) - Malika Hamidi (sociologue, directrice du European Muslim Network) - Amadou Ka (président des Indivisibles) – Almamy Kanouté (militant associatif et politique) - Jessica Koumé (dont l’époux, Amadou Koumé, a été tué par la police en mars 2015) – Esse Lawson (comédienne) – Nakk (artiste) – Princess Érika (artiste) – Zahia Rahmani (écrivain) - Ali Rahni (militant associatif) – Claude Ribbe (écrivain, réalisateur) – Rocé (artiste) – Joss Rovélas (militant associatif) – Saadane Sadgui (fondateur des JALB (Jeunes Arabes de Lyon et sa Banlieue) – Omar Slaouti (militant associatif) – Scred Connexion (groupe de rap) – Skalpel (artiste) – Z.E.P (artiste)
Postscriptum de la modé : la liste complète n’a pas été reproduite