Les supporters du Créteil Lusitanos n’ont pas dû trop réagir. L’annonce de leur utilisation comme cobayes des drones policiers de la préfecture de police de Paris avait suscité peu d’intérêt. Mais le ministre de l’Intérieur Cazeneuve n’en a semble-t-il pas perdu une miette. Cette première expérimentation publique en France, il l’a suivie avec soin. A tel point qu’il a décidé cette semaine d’annoncer un plan d’équipement d’une ampleur jamais vue en terme de maintien de l’ordre.
Pour la bagatelle de 108 millions d’€, la police nationale et la gendarmerie française vont se doter des gadgets technologiques qui font rêver tous les poulets du monde entier. Des drones policiers, en particulier.
C’est à Saint-Astier, en Dordogne, le centre d’entraînement grandeur nature des forces répressives en France, que le ministre a posé sa déclaration. Levant ainsi le voile sur les robots qui doivent nous survoler demain :
Lors de ces exercices, un engin volant a survolé la zone des affrontements. Depuis plusieurs mois, le centre de Saint-Astier expérimente l’usage de drones dans le cadre du maintien de l’ordre public. Trois drones sont en test, ils peuvent voler jusqu’à 3 000 m et disposent de 30 minutes à 2 heures d’autonomie.
108 millions d’€, c’est une somme qui parle peu. A titre de comparaison, c’est proche du montant que l’État français a déboursé, entre 2007 et 2013, pour aider les communes françaises (hors Paris) à se doter de vidéosurveillance : 133 millions d’€.
Mais, en terme de matériel, l’État semble dépenser beaucoup plus pour mater que pour taper. C’est ainsi à peu près 21 fois le budget d’équipement de toute la maison poulaga en Taser. Et face aux dépenses en LBD et autres joujoux lanceurs de flashballs défigurantes, la somme est monstrueuse :
En 2010, l’État français a ainsi acquis cinq cents LBD 40, pour un montant d’un peu moins d’un million d’euros ; la même somme a été consacrée à l’acquisition de munitions pour les lanceurs de balle de défense. Des investissements en nette progression : un million d’euros, c’était peu ou prou le montant consacré à l’achat de 1 270 flash-balls de 2002 à 2005 – un budget alors étalé sur trois ans
Ce plan massif est sans précédent (à notre connaissance) parmi les polices du monde entier en terme de drones policiers, leur grand fantasme ces dernières années (sans parler des délires de Dubaï avec ses Google Glass et leur reconnaissance faciale, ou leur lecture sur les lèvres).
La défaite des flics à Notre-Dame-des-Landes ou le souvenir cuisant des émeutes de 2005 n’y sont peut-être pas pour rien. Mais avec cette annonce de Cazeneuve, les condés peuvent se rassurer. Dans le domaine de la répression, pas de souci : notre pays est à la pointe. La préfecture de police de Paris, son champion. Et les start-up parisiennes chères à Hidalgo, leur avant-garde.
Au moment des émeutes de Ferguson, les médias français ont dénoncé la militarisation des polices locales américaines. Pourtant, la flicaille française n’a pas à rougir. Et la presse nationale s’en lave les mains.
Depuis quelques années, le « maintien de l’ordre » français s’est en effet considérablement équipé comme le montre cet inventaire récent des armes anti-émeutes publié par Vice. Une preuve de l’imminence de la guerre civile clameront les plus optimistes. La réalité d’une répression toujours plus puissante s’alarmeront les autres.
Ces plans d’équipement ne peuvent se faire sans le silence complice de la population. Dans le cas de l’accoutumance aux drones, on a pu mesurer l’efficacité de la promotion des derniers gadgets technologiques. Cela, grâce à des utilisations « civiles » particulièrement encouragées et mises en valeur ces dernières années en France, dans la presse, l’agriculture ou la photographie. Une « filière » en réalité particulièrement soutenue par l’industrie militaire :
« Lorsque nous avons lancé notre prototype en 2008, il y avait des opportunité dans le génie civil, sur l’inspection de barrages, mais ça n’a jamais décollé », se rappelle Christian Brunel, fondateur d’Infotron, un fabricant de drones. Alors, quand l’opportunité de travailler avec la Direction générale de l’armement (DGA) s’est présentée, la start-up francilienne n’a pas hésité.
À la clé, un contrat de plusieurs millions d’euros pour développer un drone militaire. « Il a fallu embaucher, s’adapter aux normes, ce fut dur mais on y est arrivé », se souvient-il. Cinq ans plus tard, le bilan est positif : des contrats qui pérennisent la société, de nouveaux projets sont lancés avec la DGA et la PME vient d’être rachetée par un leader du marché de la sécurité militaire.
La frontière entre le civil et le répressif n’existe pas au sujet des drones comme le rappelait La Rotative, en mai. Un article s’énervait à l’annonce de la présence d’un robot au-dessus des têtes des festivaliers lors d’un événement « alternatif ». Il citait pour l’occasion un haut gradé de l’armée française :
La présence de drones en France est importante pour poursuivre « l’acculturation […] des populations au fait dronique »
Pour preuve, le gentil photographe aérien qui pilotait le drone du festival Aucard était en réalité expert en essaim de drones. Ce dispositif « innovant » a été mis en place par l’armée française et testé grâce à des écoles d’ingénieurs. Tant qu’à faire, autant avoir une armée de robots gérée par une seule personne. Les flics ne comptent pas en effet en rester au stade du jouet téléguidé.
A nous de montrer qu’on n’est encore pas accoutumés à voir voler des robots au-dessus de nos têtes. Aussi « funs » soient-ils, les entreprises de sécurité ou la police en perçoivent immédiatement des applications répressives.
Aux États-Unis notamment, de nombreuses mobilisations ont lieu contre les drones. Militaires d’abord, suite aux atrocités commises en Afghanistan. Mais désormais, ce sont les drones policiers qui sont visés par des campagnes, comme à Seattle ou à Los Angeles.
En France, la lutte contre le « fait dronique » n’a que trop tardé, Cazeneuve en a profité. Les habitants de Paris et sa petite couronne seront apparemment les premiers à voir ces engins voler au-dessus de leur tête. Espérons qu’ils seront aussi les premiers à dégainer.
a.