Un observatoire populaire d’astronomie à la place du Sacré-Cœur ?

En ces jours de commémoration de la Semaine sanglante, et alors que la basilique du Sacré-Cœur est toujours fermée pour cause de pandémie, retour sur une proposition d’utilité publique pour la butte Montmartre qui a depuis longtemps été oubliée.

Près de 150 ans après l’écrasement de la Commune de Paris, le Sacré-Cœur, bien qu’il soit devenu un symbole touristique, est encore loin de faire l’unanimité auprès des Parisien·ne·s. Certain·e·s continuent ainsi de défendre activement l’idée de sa destruction.

Il faut savoir que dès le vote de sa construction, ce symbole réactionnaire réclamé par les versaillais fut considéré par de nombreux·euses habitant·e·s de la ville comme une véritable humiliation. À la fin du XIXe siècle, avant que l’érection de l’édifice ne soit achevée, plusieurs députés de la Seine [1], en majorité socialistes et républicains, ont donc tenté de l’interrompre ou a minima de lui attribuer une fonction laïque.
L’un d’eux, Eugène Delattre, défendait l’idée de bâtir à la place au sommet de la butte Montmartre un « observatoire populaire d’astronomie », c’est-à-dire qui ne serait pas destiné aux savants et astronomes professionnels, mais qui aurait pour rôle de rendre cette science accessible au peuple parisien. En 1881, Delattre tente notamment de faire mentionner cet observatoire dans une proposition législative visant à abroger la loi de 1873 qui reconnaissait d’utilité publique la construction de l’église. L’idée suscite alors des réactions enthousiastes :

Aujourd’hui, l’honnête population de Montmartre est heureuse ; les députés de Paris, M. Delattre en tête, ont déposé un projet de loi, tendant à l’abrogation de celle votée par les cléricaux en 1873.
Cette loi sera prise en considération ; les travaux de la basilique vont cesser, et bientôt on transformera cette construction en une autre plus propice aux intérêts du peuple.
Un seul monument peut remplacer l’église votive : un observatoire populaire. À l’endroit où l’erreur et la mauvaise foi auraient été enseignées, on apprendra au peuple la vérité.
La lumière au lieu des ténèbres.
Et plus de noirs corbeaux à Montmartre.
Ouf !
C’est l’idée qui a présidé à la confection du projet de loi présenté par M. Delattre, nous y applaudissons [2].

Dans la tradition des Lumières et de la Révolution française, la science est ainsi opposée à l’Église, son enseignement auprès du peuple apparaît alors comme un enjeu important dans la lutte anticléricale. Néanmoins, à la lecture des journaux de l’époque, on comprend que si l’idée semble plaire, la priorité demeure la reprise en main symbolique de la butte par le camp républicain, avant la fonction de remplacement à trouver qui, elle, ne fait pas consensus. Certains députés préféraient en effet plutôt faire du lieu une esplanade publique. L’idée de l’observatoire n’est ainsi finalement pas retenue dans le projet de loi d’abrogation, qui lui-même bien qu’il ait été « pris en considération » [3] par l’assemblée, s’est finalement retrouvé renvoyé en commission puis enterré…
Un « observatoire populaire » verra bien le jour en 1882, mais au Trocadéro, donc bien éloigné géographiquement de Montmartre et de sa population pauvre, majoritairement socialiste et révolutionnaire. La construction du Sacré-Cœur finira, elle, par être achevée et sa fonction religieuse confirmée, jusque de nos jours.

Florian Mathieu

Notes

[1Département qui englobait Paris et la proche banlieue

[3Par un vote favorable de 261 voix contre 199

Localisation : Paris 18e

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