Avec ma fille et des amis, vers 19H00, nous nous rendons Rue Sorbier, après une journée bien remplie Place des Fêtes, à tâcher de fédérer le quartier. Un barbecue est organisé à l’initiative de l’assemblée Sorbier-Ménilmontant. En passant par la Rue des Pyrénées, puis la Rue de l’Ermitage, nous constatons que le quartier est occupé par les flics — en nombre. Nos sacs sont emplis de victuailles, je porte le sac de pain que mon ami Azdine a cuit, je n’ai pas pris de protection, je n’irai pas manifester cette nuit, je suis avec ma fille, mais je ne veux pas être seul chez moi un soir où la dictature des banquiers se pose encore plus.
A Sorbier, en face du Lieu-Dit, les enfants courent, ils jouent, nous buvons, nous faisons griller des saucisses, nous discutons... je note, que, lorsque mes parents, jadis, nous amenaient à un barbecue, nous n’avions pas à passer devant des compagnies de CRS. J’apprends que les flics ont nassé une partie de ceux qui s’étaient réuni cet après-midi à la Villette, j’entends scander quelques « Macron Démission ! », je me dis qu’il doit être 20H00, c’est bon enfant comme on dit, malgré la chape qui nous écrase chaque jour un peu plus. Les différents collectifs du 19e et du 20e sont là, nous nous croisons, nous échangeons des blagues, des projets, des nouvelles.
Il doit être dans les 20H45 quand une quinzaine de véhicules de CRS descendent la rue de Ménilmontant. « Tout le monde déteste la police ! » prend le dessus, nous les regardons stationner juste en dessous de la Rue Sorbier, au niveau de l’Église de Ménil’. Nous nous demandons encore pourquoi cet endroit quand d’autres véhicules arrivent, toujours par le haut de la Rue Ménilmontant, et qu’ils tournent dans la Rue Sorbier... c’est à ce moment-là que le premier véhicule, une sorte de Kangoo CRS, renverse un piéton juste au niveau de l’Entrepotes, un élan va secourir le blessé, nous crions notre colère, les autres véhicules de flics sur la Rue Ménilmontant pilent, les CRS se précipitent hors de leurs camions, ils braquent leurs flashball, la tension monte, la foule hurle, ma fille pleure, je les interpelle... ils sont flics, ils braquent une foule de gens venus passer cette soirée dans leur quartier avec leurs enfants. Ils braquent les habitants de ce quartier alors qu’ils viennent de renverser un piéton. On est là avec nos mômes, nos saucisses, nos gobelets, en face de ces flics, flashballs tendus à hauteur de têtes.
Ils viennent de commettre une infraction pour laquelle n’importe qui se serait fait arrêter. Ils viennent de renverser un piéton et ils nous tiennent en joue. Je dois rentrer chez moi avec ma fille, cet endroit je ne peux plus y être, la rue n’est définitivement plus un espace public.
Avec une amie et son fils, nous quittons ceux qui sont en train de remballer notre petit bardas (table, tréteaux, pain, chips, couverts...), nous les quittons parce que le danger est trop grand pour des enfants, le danger et le traumatisme. Dans notre quartier. Nous remontons tous les quatre la rue de la Marre, révoltés par ce que nous avons encore subi. Encore. Après l’incroyable déchaînement du 1er mai. Mais nous l’avons bien cherché, hein ! Ô comme nous l’avons bien cherché ! Qu’avions-nous aussi à nous rassembler ?! Mais qu’avions nous donc à nous rassembler en bas de chez nous pour partager des saucisses, du vin et du pain ?