Pannekoek, le communisme et le syndicalisme

En 1936, l’astrophysicien et militant marxiste néerlandais Anton Pannekoek publiait un article sobrement intitulé « Le syndicalisme », dans lequel il dressait une critique radicale et sans compromis de cet outil organisationnel historique du prolétariat. Aujourd’hui encore, sa critique peut éclairer notre analyse.

Le texte qui suit a été publié en janvier 1936 dans la revue conseilliste "International Council Correspondance", active de 1934 à 1937. Il nous paraît opportun de le partager aujourd’hui, quatre-vingt-cinq ans après sa parution originale, afin d’alimenter la débat légitime et nécessaire sur les formes d’organisation et de lutte des travailleurs et des travailleuses.

Extrait

L’action syndicaliste fait naturellement partie de la lutte des classes. Le capitalisme est fondé sur un antagonisme de classes, les ouvriers et les capitalistes ayant des intérêts opposés. Ceci est vrai non seulement en ce qui concerne le maintien du régime capitaliste, mais aussi pour ce qui est de la répartition du produit national brut. Les capitalistes tentent d’accroître leurs profits – la plus-value – en diminuant les salaires et en augmentant le nombre d’heures ou la cadence du travail. Les ouvriers, pour leur part, cherchent à augmenter leurs salaires et à réduire leurs horaires. Le prix de leur force de travail n’est pas une quantité déterminée, bien qu’il doive être supérieur à ce qui est nécessaire à un individu pour qu’il ne meure pas de faim ; et le capitaliste ne paye pas de son propre gré. Cet antagonisme est ainsi générateur de revendications et de la véritable lutte de classes. La tâche et le rôle des syndicats est de continuer la lutte.

Le syndicalisme a été la première école d’apprentissage du prolétariat ; il lui a appris que la solidarité était au centre du combat organisé. Il a incarné la première forme d’organisation du pouvoir des travailleurs. Ce caractère s’est souvent fossilisé dans les premiers syndicats anglais et américains qui dégénérèrent en simples corporations, évolution typiquement capitaliste. Il n’en fut pas de même dans les pays où les ouvriers devaient se battre pour leur survie, où malgré tous leurs efforts les syndicats ne pouvaient obtenir une amélioration du niveau de vie et dans lesquels le système capitaliste en pleine expansion employait toute son énergie à combattre les travailleurs. Dans ces pays, les ouvriers devaient apprendre que seule la révolution pourrait les sauver à jamais.

Il existe donc une différence entre la classe ouvrière et les syndicats. La classe ouvrière doit regarder au-delà du capitalisme, tandis que le syndicalisme est entièrement confiné dans les limites du système capitaliste. Le syndicalisme ne peut représenter qu’une part, nécessaire mais infime, de la lutte des classes. En se développant, il doit nécessairement entrer en conflit avec la classe ouvrière, qui, elle, veut aller plus loin.

Les syndicats croissent à mesure que se développent le capitalisme et la grande industrie, jusque devenir de gigantesques organisations qui comprennent des milliers d’adhérents, s’étendent à travers tout un pays et ont des ramifications dans chaque ville et dans chaque usine. Des fonctionnaires y sont nommés : présidents, secrétaires, trésoriers, dirigent les affaires, s’occupent des finances à l’échelle locale aussi bien qu’au sommet. Ces fonctionnaires sont les dirigeants des syndicats. Ce sont eux qui conduisent les pourparlers avec les capitalistes, tâche dans laquelle ils sont passés maîtres. Le président d’un syndicat est un personnage important qui traite d’égal à égal avec l’employeur capitaliste et discute avec lui des intérêts des travailleurs. Les fonctionnaires sont des spécialistes du travail syndical, alors que les ouvriers syndiqués, absorbés par leur travail en usine ne peuvent ni juger ni diriger par eux-mêmes.

Une telle organisation n’est plus uniquement une assemblée d’ouvriers ; elle forme un corps organisé, qui possède une politique, un caractère, une mentalité, des traditions et des fonctions qui lui sont propres. Ses intérêts sont différents de ceux de la classe ouvrière, et elle ne reculera devant aucun combat pour les défendre. Si jamais les syndicats devaient un jour perdre leur utilité, ils ne disparaîtraient pas pour autant. Leurs fonds, leurs adhérents, leurs fonctionnaires, sont autant de réalités qui ne sont pas près de se dissoudre d’un moment à l’autre.

Les fonctionnaires syndicaux, les dirigeants du mouvement ouvrier, sont les tenants des intérêts particuliers des syndicats. En dépit de leurs origines ouvrières, ils acquièrent, après de longues années d’expérience à la tête de l’organisation, un nouveau caractère social. Dans chaque groupe social qui devient suffisamment important pour former un groupe à part, la nature du travail façonne et détermine les modes de pensée et d’action. Le rôle des syndicalistes n’est pas le même que celui des ouvriers. Ils ne travaillent pas en usine, ils ne sont pas exploités par les capitalistes, ils ne sont pas menacés par le chômage. Ils siègent dans des bureaux, à des postes relativement stables. Ils discutent des questions syndicales, prennent la parole aux assemblées d’ouvriers et négocient avec les patrons. Certes, ils doivent être du côté des ouvriers dont il leur faut défendre les intérêts et les revendications contre les capitalistes. Mais en cela, leur rôle n’est guère différent de celui de l’avocat d’une organisation quelconque.

Il existe toutefois une différence, car la plupart des dirigeants syndicaux, sortis des rangs de la classe ouvrière, ont eux-mêmes fait l’expérience de l’exploitation capitaliste. Ils se considèrent comme faisant partie de la classe ouvrière, dont l’esprit de corps n’est pas près de s’éteindre. Cependant leur nouveau mode de vie tend à affaiblir chez eux cette tradition ancestrale. Sur le plan économique, ils ne peuvent plus être considérés comme des prolétaires. Ils côtoient les capitalistes, négocient avec eux les salaires et les heures de travail, chaque partie faisant valoir ses propres intérêts, rivalisant à la manière de deux entreprises capitalistes. Ils apprennent à connaître le point de vue des capitalistes aussi bien que celui des travailleurs ; ils se soucient des « intérêts de l’industrie » ; ils cherchent à agir en médiateurs. Il peut y avoir des exceptions au niveau des individus, mais en règle générale, ils ne peuvent avoir ce sentiment d’appartenance à une classe qu’ont les ouvriers, qui eux ne cherchent pas à comprendre ni à soupeser les intérêts des capitalistes, mais luttent pour leurs propres intérêts.

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Mots-clefs : syndicalisme

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