On veut du fric avant le RIC !

Éléments à propos du mot d’ordre RIc, largement diffusé chez les gilets jaunes, suivi d’un historique de celui-ci.

Cet article a été écrit par le collectif Agitations figure dans la brochure « Gilet Jaunes en lutte ! » que nous distribuons en manif :

Gilets Jaunes en lutte n°1

"Plutôt que le vote individuel, nous pensons (et nous constatons actuellement) que notre force se situe au niveau de l’action collective, lors des assemblées de ville, de quartier, de rond-point où nous décidons ensemble de la suite à donner au mouvement. C’est depuis les AG que nous avons choisi de faire des actions de blocage économique, et c’est toutes et tous ensemble dans la rue que nous avons retourné les quartiers bourgeois de Paris !"

A la suite de la vague d’austérité qui à frappé l’Europe entre les années 2000 et la fin des années 2010, on observe un méfiance croissante dans pas mal de pays à l’égard des vieux partis gestionnaires comme le PS ou l’UMP en France. Les partis sociaux-démocrates et grand partis de droite ont vu leur électorat fondre à mesure qu’il mettaient en œuvre des réformes de durcissement des conditions de travail. Lors des élections en Grèce de 2015, le Parti Socialiste, qui avait mis en œuvre des mesures d’austérité, a cédé la place à un parti quasi neuf, Syriza [1]. En France, alors qu’on connaissait l’alternance du PS et de L’UMP depuis les années 1980, ces deux mastodontes ont cédé la place à un autre parti tout neuf en 2017, La République en Marche.

Ce dégagisme contre les vieux partis, ou contre de nouveaux partis qui appliquent la même politique, donne lieu à de nouvelles revendications réclamant plus de démocratie directe et d’auto-organisation. Nous l’avons vu lors des « Nuits Debout » en 2016 et autres mouvements des places (Occupy aux États-Unis, la place Tahrir en Égypte en 2011, etc). Maintenant, nous le voyons aussi chez les gilets jaunes depuis un mois avec la revendication d’une plus grande participation politique via le RIC.

En soi, la revendication du RIC, une demande de contrôle par les prolétaires des institutions bourgeoises, semble au premier abord légitime. Mais nous voyons que ce système existe déjà dans d’autres pays, comme l’Italie, la Suisse, ou même aux États-Unis (à l’échelle d’un État). Or dans ces trois exemples, rien n’a changé en matière de justice sociale : il n’y a pas de SMIC en Italie, où bon nombre de travailleurs sont payés 3€ de l’heure. Pour la Suisse, il s’agit d’un pays rentier (car paradis fiscal) et les référendums locaux n’ont pas aboli la domination des riches pour autant. Et aux États-Unis, le SMIC est à 6€ de l’heure, mais sans les services publics (pas de couverture santé sans emploi à temps-plein, pas d’université gratuite..). Bref, comme lors du référendum de 2005 en France, les référendums dans ces pays là n’ont rien changé, voire empiré la situation quand les politiciens parvenaient à faire passer les pires mesures en manipulant les modalités de vote.

Pour le gouvernement, le RIC constitue un écran de fumée pour détourner la colère sociale et empêcher le mouvement de prendre de l’ampleur en le ramenant dans le droit chemin de la démocratie parlementaire. C’est le maintien de Macron au pouvoir le temps de faire voter la réforme constitutionnelle, de proposer une pétition pour un référendum, de revoter, et tout ça pour en arriver là où on en est aujourd’hui. Le RIC, c’est s’en remettre aux institutions de la bourgeoisie au pouvoir, en lui laissant non seulement fixer les modalités du scrutin, mais également sa mise en application. C’est faire confiance aux politiciens pour rétablir une « démocratie » qu’ils ont toujours contrôlée, comme à l’Assemblée Nationale. Ce terrain n’est pas celui des prolétaires mais des élites dirigeantes !

Plutôt que le vote individuel, nous pensons (et nous constatons actuellement) que notre force se situe au niveau de l’action collective, lors des assemblées de ville, de quartier, de rond-point où nous décidons ensemble de la suite à donner au mouvement. C’est depuis les AG que nous avons choisi de faire des actions de blocage économique, et c’est toutes et tous ensemble dans la rue que nous avons retourné les quartiers bourgeois de Paris !

Notre pouvoir se trouve dans les AG et sur les ronds-points, pour ne pas rester seul face à l’isoloir : s’entraider sur les luttes locales, créer des caisses de grève, se lier avec des collectifs locaux (sans-papiers, chômeurs…), voilà ce qui fait notre force face aux politiciens.

L’histoire du mouvement ouvrier nous a montré que la justice sociale en termes de droit du travail, de salaire, d’égalité hommes-femmes, de droits des LGBT, n’a été obtenue que par les luttes, qui ont toujours précédé les lois. Les démocraties bourgeoises ne cèdent que sous le coup du rapport de force !

Construisons la lutte dans nos AG et combattons pour une autodéfense de classe !

Mais au fait… d’où vient le RIC ?

Années 1930 : un ancrage plutôt à droite

Un des premiers à avoir théorisé sur l’usage d’un référendum d’initiative populaire semble être Emmanuel Mounier, proche du catholicisme social mais aussi de certaines idées du régime de Vichy, en 1936 dans sa revue Esprit. Il élabore ces réflexions ont lieu à une époque où les femmes n’avaient pas encore le droit de vote.

1970 : un tournant « autogestionnaire »

Dans les années 70, c’est la gauche autogestionnaire et écologiste qui reprend ces idées, afin de gérer la question du nucléaire, mais aussi des problématiques plus syndicales comme la démocratie d’entreprise.

1980 : Une institutionnalisation de la revendication ?

C’est à l’occasion de l’élection présidentielle de 1981 que deux candidats mettent en avant dans leur profession de foi le référendum populaire. Huguette Bouchardeau (Parti Socialiste Unifié) propose la « possibilité de provoquer un référendum sur pétition de 100 000 citoyens » et Brice Lalonde (Aujourd’hui l’écologie) appelle à une « réforme constitutionnelle instituant des référendums d’initiative populaire au niveau local, régional, national ».

Bien avant le RIC, le bonapartisme s’appuyait sur l’appel au peuple et le plébiscite pour gouverner. Les gaullistes et une partie de la droite continuent de s’en réclamer : notamment le RPR de Jacques Chirac. Ainsi, après avoir figuré dans un avant-projet pour les élections législatives de 1978, deux propositions de loi sont également déposées par ses membres : la première par le sénateur Charles Pasqua (le 22 juin 1983) et la seconde par le député Yvan Blot (le 11 juin 1987).

Notes

[1À noter que les mouvements des places durant le Printemps Arabe de 2011 a servi de plateforme politique au renouveau du parlementarisme puisqu’il ont donné lieu à l’élection de l’actuel gouvernement grec, et dans une moindre mesure au parti Podemos en Espagne. Les militants de Syriza en Grèce étaient très actifs au sein des assemblées grecques au début des années 2010, et ont fait connaitre leur parti (né en 2004) à ce moment-là, de même que Podemos en Espagne.

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