Mai 2016 : du débordement au basculement ?

Le gouvernement utilise le 49.3, nouvel acte de guerre. L’heure est au défi : défions le patronat et les centrales syndicales collabos, défions le corps répressif policier et médiatique. De l’anti-répression à l’autodéfense, de l’autodéfense à la contre-offensive. Tel est l’apprentissage collectif majeur en ce printemps 2016 pour les personnes en lutte. L’auto-organisation dans l’action, qu’il s’agisse de grève ou de blocage économique, est le prémisse politique de l’auto-organisation sociale. L’auto-organisation sociale permet l’éradication des rapports de domination et d’exploitation et donc la transformation des structures sociales de production et d’existence.

La question policière est une question politique. La violence répressive croissante et la réapparition historique et inédite des voltigeurs dans de plus en plus de villes, sans que cela ne soit souligné par aucune organisation syndicale ou politique, nous met face au constat d’une bourgeoisie française qui assume pleinement sa violence de classe. A l’inverse, nous tombons dans le piège de l’anti-répression stricte, voire « primaire », c’est-à-dire sans perspective politique. Or, la perspective politique est nécessaire dans le sens où elle seule peut mener aux questions de l’autodéfense et de la contre-offensive. La stricte anti-répression nous laisse sombrer dans une logique victimiste, conséquence directe de « l’innocentisme ».

Certes, tout le monde déteste la police, mais l’erreur serait de ne pas distinguer politiquement le phénomène émeutier de la réalité insurrectionnelle. Brûler des poubelles, casser des vitrines ou retourner des voitures relèvent de l’émeute, mais certainement pas de l’insurrection.

La grève générale illimitée en revanche, relève-t-elle de l’insurrection ? Quid des émeutes générales à grande échelle ? De la « prise » de lieux de pouvoir localisés tels préfectures et hôtels de ville ? Qu’entendre par « soulèvement organisé et structuré » ? Qu’entendre par « devenir incontrôlable » ? Faut-il faire de « l’entrisme » dans des syndicats type CGT pour les radicaliser ou accélérer leur décomposition et leur déclin ? Les tactiques « black bloc » ne renvoient-elles pas de nouveau à un phénomène avant-gardiste et à un certain entre-soi élitiste ? Quels sont nos leviers de basculement ? Comment comprendre l’auto-organisation une fois posées de telles problématiques ? Que veut dire « tout bloquer » ? Finalement, comment redonner un sens politique et une perspective révolutionnaire à la grève ? Qu’est-ce qu’une grève insurrectionnelle ?

Ce sont des questions politiques qu’il s’agit d’assumer. Depuis dix ans et les émeutes populaires de novembre-décembre 2005, l’extrême-gauche institutionnelle demeure incapable de comprendre politiquement ce qu’il se passe. Tant pis pour elle. Quant à nous, nous ne nous considérons pas nous-mêmes à « l’extrême » de ladite « gauche ».

Ce texte n’est pas un appel, il ne s’adresse pas unilatéralement « à ceux qui veulent bien l’entendre » en excluant l’ensemble des composantes sociales. Cette fois encore, ce n’est qu’une ébauche de réflexion pour le plus grand nombre ; y compris la mère de famille qui élève seule ses enfants en plus du turbin… y compris tou.te.s celleux exclu.e.s de fait de la logique de l’affrontement direct avec la police.

Tout ce qui touche de près ou de loin à l’affiche de la CGT sur les violences policières nous désole : du communiqué lamentable dans lequel la CGT Strasbourg Eurométropole (pour ne citer qu’elle) dédouane la police de ses violences réelles au profit d’un citoyennisme néo-républicain puant au sens même de cette affiche qui nie la fonction sociale de la police dans une société capitaliste.

Nous parlons de solidarité de classe. A l’image de ces ouvriers du BTP qui ont secouru des lycéen.ne.s pris au piège d’une nasse policière à Paris début avril ou de ces personnes qui ouvrent la porte de leur commerce aux manifestants pour les protéger de la répression, cette solidarité de classe contre l’appareil répressif est une composante de la convergence des luttes. Le courage politique de la position de Aissatou Dabo, porte-parole de la Coordination nationale étudiante, qui déclare la décision collective « de ne pas se dissocier de ce que vous appelez les casseurs », a déjà permis à beaucoup de franchir un cap.

Quand certains disent que nous ne vivons pas un mouvement social mais le débordement même du mouvement social considéré comme « cadre » traditionnel étouffant, nous disons l’inverse : le mouvement social est le mouvement du débordement offensif, du dépassement collectif. L’encadrement des services d’ordre syndicaux qui complètent sciemment la police pour renforcer le corps répressif, ainsi que la mainmise des centrales syndicales, ne sont pas le mouvement social et n’en font pas partie. Ils désignent au contraire son étouffement.

Les cortèges « autonomes » désignent cette force collective en action où chacun.e se retrouve au-delà de ses attributs de classe / genre /« race », avec ou sans papiers. Mais, d’une part, tou.te.s les étudiant.e.s, lycéen.ne.s, chômeur.se.s, précaires, salarié.e.s, banlieusard.e.s et autres personnes présentant des attributs de classe discriminants pouvant se retrouver dans les modes d’action en Black Bloc demeurent majoritairement des « jeunes » au sens où illes n’ont pas sur la tête l’épée de Damoclès d’une famille à nourrir. D’autre part, ils sont contraint.e.s de se retrouver dans cette entité politique sécessionnaire qui pose une extériorité éphémère et aléatoire. L’avantage certain est celui de créer un point de cristallisation politique qui dépasse l’impuissance politique des indigné.e.s au profit de la position insurrectionnelle : l’action directe et sans concession, qui fait prendre position à tou.te.s de par sa radicalité. En revanche, cela se trouve déterminé en entre-soi avant-gardiste de fait. Les Black Blocs ne sont finalement et ne doivent être que l’élément offensif d’un cortège de salarié.e.s grévistes : certes contre les cadres syndicaux, mais avec toute personne en lutte solidaire.

Le mois de mars 2016 a été celui de la répression et le mois d’avril celui de la contre-offensive qui s’est organisée et généralisée. Comment penser le basculement ?

Nous pensons le basculement insurrectionnel par la généralisation de l’auto-organisation dans l’action. Autrement dit, dans le blocage des flux de marchandises et la paralysie des structures locales du pouvoir d’État. La paralysie des rouages sociaux du capitalisme crée simultanément les outils pour éviter toute nouvelle centralisation décisionnelle. Il ne s’agit pas de créer un ou plusieurs contre-pouvoirs centralisés, mais de disperser le pouvoir par la complémentarité des outils de lutte et la solidarité entre les foyers d’auto-organisation. De par notre détermination sociale par le travail, de tels foyers se développeront fatalement au sein de secteurs de travail. La question est alors de déserter et de contrer ses attributs de classe par la force collective en action, afin de transformer les structures du travail en brisant le salariat plutôt que de les conserver pour illusoirement les « autogérer ». Il n’y a d’intelligence collective que dans le faire collectif.

En cela, l’auto-organisation dans l’action offensive de blocage des flux de marchandises et de paralysie des structures locales du pouvoir d’État demeure une priorité stratégique, y compris pour les différents secteurs de travail en lutte. Nos outils de travail et les moyens de production peuvent être réappropriés à cet effet : que les routiers paralysent avec leurs camions les convois de police et les entrepôts de marchandises, que les agriculteurs cernent les préfectures et bloquent les grands axes routiers, que la SNCF bloque les trains de marchandises et fasse circuler les personnes gratuitement (en particulier les grévistes), que les dépôts de carburant n’alimentent plus les stations services, que les pompiers protègent les personnes en lutte des assauts policiers (en étouffant les lacrymogènes et en paralysant les blindés canons à eau), que les hospitaliers ouvrent des centres de soins pour les grévistes réprimé.e.s, que les stations radio et les antennes TV soient réappropriées par les personnels techniques pour relayer l’information interlutte, etc. Autrement dit, que chacun.e utilise son savoir-faire et son outil de travail au service de la lutte. Dès lors, les rouages du capitalisme seront paralysés puisque c’est nous qui les nourrissons. Coordonnons horizontalement les actions plutôt que les décider verticalement par des structures nationales et des délégations représentatives.

Rappelons que le droit de grève signifie strictement ne pas travailler et abandonner l’outil de travail. Il est intolérable pour la centrale syndicale ou l’État patronal de voir les outils de travail et les moyens de production détournés au service du rapport de force, c’est-à-dire réappropriés au profit de la lutte. Dès lors, les outils de travail et moyens de production sont transformés et prennent leur véritable sens, et c’est là le cœur de l’auto-organisation (qui va bien au-delà d’une stricte autogestion, toujours autogestion-de et donc autogestion-du-capital). C’est le rapport de force lui-même qui détermine ses propres priorités stratégiques et la réappropriation tactique des outils de travail pour détruire le salariat et contre-carrer le corps répressif.

Donnons-nous les moyens d’être incontrôlables et ingouvernables : s’ils peuvent réprimer militairement une manifestation, offensive ou non, ils ne peuvent contrer le détournement des outils de travail au service de la lutte. C’est là le sens politique d’une grève générale insurrectionnelle et la promesse de sa perspective révolutionnaire : refuser de travailler dans les rouages du salariat, c’est travailler au service de la lutte et du rapport de force. Nous n’avons pas à créer l’ « extériorité politique » (qui porte en elle-même les germes d’un avant-gardisme paternaliste et autoritaire) : c’est en refusant de collaborer aux rouages sociaux de domination que nous transformons socialement l’existant.

La transformation sociale et l’auto-organisation de la lutte désignent simultanément le rapport de force réel qui n’est pas un en-dehors de l’outil de travail, mais sa réappropriation directe et immédiate.

S’indigner, c’est encore subir. Insurgeons-nous.
Donnons-nous les moyens de nous insurger.

– Mouvement Anarchiste Révolutionnaire -

Mots-clefs : luttes des classes

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