Lettres de Christine depuis les Quartiers d’Isolement et les Quartiers Disciplinaires de diverses taules

« Début novembre 2012, suite à une altercation avec les matons en allant visiter son compagnon au parloir à la taule de Corbas, Christine a été emmenée en garde à vue. Puis, en attendant un procès qui a eu lieu le 13 février, elle a été placée en détention à la Maison d’arrêt de La Talaudière à Saint-Étienne. Elle reste incarcérée depuis, et purge la somme de différentes peines écopées ces dernières années suite à de multiples insoumissions à l’autorité de différentes institutions (flics, administration pénitentiaire, institution psychiatrique…). Depuis son incar­cé­ra­tion, Christine a eu de mul­ti­ples embrouilles en déten­tion. Elle a été placée au mitard (QD ou Quartier Disciplinaire) et au QI (Quartier d’iso­le­ment). Elle a été trans­fé­rée de La Talaudière à Corbas (Lyon) à Joux-La-Ville, puis à Bapaume. »

Le 19 septembre 2013 Christine été jugée par le tribunal d’ Arras pour des faits survenus au Centre de Détention (CD) de Bapaume : refus de donner ses empreintes ; « violences » pour s’être débattue sous les coups des matons ; « menaces » pour avoir crié à un mastodonte qu’elle allait lui péter la gueule ; « dégradations » pour avoir gravé sur les murs de la cour « Mur par mur, pierre par pierre, nous détruirons toutes les prisons ! » et foutu le feu dans les différentes cellules dans lesquelles elle est passée. La procureur réclamait la peine plancher, soit 1 an de prison ferme supplémentaire pour Christine (Voir ici un compte-rendu de ce procès et ici sur les événements précédents).

Jeudi 26 novembre, le délibéré est tombé. Le tribunal a suivi de près le parquet en donnant 1 an ferme dont 6 mois en sursis mise à l’épreuve, il ajoute également une amende de plusieurs centaines d’euros pour dommages et intérêts aux matons qui avaient porté plainte après avoir cogné Christine (200€ pour Bocquet, 300€ pour Coret et encore 200€ pour un troisième). Les conditions du sursis mise à l’épreuve sont l’obligation d’indemniser les « victimes » et une obligation de travail.
Beau chantage, arrondir une fin de mois à la matonnerie ou prendre 6 mois de plus !

Sans surprise la justice a défendu ses chiens de garde et rallongé considérablement le peine de Christine. Avec cette nouvelle peine son hypothétique date de libération passe à fin 2015. À cela s’ajoutera encore un procès en appel à Lyon dont il manque toujours la date.

Aujourd’hui et depuis mi-octobre, Christine est incarcérée au CD de Réau en banlieue parisienne. Elle est toujours en régime « portes fermées » [1] mais a pour l’instant à peu près évité la case mitard/isolement. Elle est donc de nouveau en contact avec d’autres détenues. Ce qui n’était plus le cas depuis le mois de juillet (enchaînement de mitard/isolement à Bapaume puis à Séquedin).

Ci-dessous, sont retranscrites trois de ses dernières lettres.

Pour lui écrire à Réau :
Christine RIBAILLY (écrou 3373)
CPSF – le Plessis Picard – Réau
77558 MOISSY CRAMAYEL Cedex
mise à jour début avril 2014 : Christine est régulièrement transféré d’une taule à une autre. Elle n’est plus à Réau mais à Rennes, nouvelle adresse : Christine RIBAILLY, écrou 7993, CP-CD de Rennes, 18 bis rue de Chatillon, 35000 RENNES



Centre pénitentiaire de Réau, dimanche 20 octobre 2013

À Séquedin, jeudi 17, ils m’ont dit de faire mes cartons pour 8 heures du mat’. J’étais contente, car ça voulait dire que j’allais arriver ici au quartier arrivant, normalement, pas au mitard. Et puis je me disais qu’à Réau, je ferais la connaissance de Kaoutar dont j’avais lu les combats dans l’Envolée. Bref, j’ai fait mes cartons sans traîner, et accepté la fouille à poil sans rien dire. Au greffe, j’ai signé mes papiers pour la compta et la chef de détention a dit de ne pas s’emmerder avec la prise d’empreinte du doigt. Elle m’a saluée convivialement, certes contente que je débarrasse le plancher, mais je l’ai cru sincère quand elle m’a souhaité bonne chance pour la suite. Quand la chef d’escorte a voulu me menotter devant, je lui ai demandé si c’était un fourgon cellulaire. Comme elle m’a répondu que oui, j’ai refusé le menottage en lui citant l’article 803. Je l’avais déjà fait avec les gendarmes lors de l’extraction pour le procès à Arras le 19 septembre et ils avaient compris, il n’y avait donc pas eu de problème. Mais il faut croire qu’à l’Administration Pénitentiaire (AP), ils savent moins lire... Bref, ils m’ont dit de retourner en cellule le temps de rappeler la chef de détention. Elle est revenue vingt minutes après pour me dire que ce n’était pas négociable, que c’était systématique, ce qui est totalement illégal. Je suis restée très calme, n’ai pas crié et ai ré-expliqué et cité le texte. Elle est partie se coordonner avec le directeur, j’imagine. J’ai eu espoir un moment car ils avaient tout intérêt à ce que je parte et je restais très calme, absolument pas menaçante. Mais je les ai entendus s’équiper avec les boucliers et se coordonner. Quand ils m’ont plaquée au mur dans la cellule, je n’ai pas réagi. J’allais me laisser menotter car la Spip (une femme bien, c’est assez rare pour le noter) m’avait promis qu’elle ferait tout pour que je puisse voir mes parents au parloir samedi, que ça soit à Séquedin ou à Réau, et je n’avais aucune envie d’être marquée au visage. Mais ils gueulaient et ils m’ont balancée au sol. J’ai essayé de me débattre, et comme régulièrement à Séquedin, ils m’ont envoyé des coups de poing dans la gueule. Ils m’ont menottée dans le dos en faisant exprès de me faire mal, et mis les entraves. J’ai résisté vaillamment pour ne pas rentrer dans la cage du camion, mais un casqué m’a prise à la gorge et je n’ai pas pu bloquer longtemps. J’ai passé deux heures de route pas cool, avec l’œil qui gonflait et les poings ankylosés dans le dos. Je n’avais pas vraiment mal mais j’étais dégoûtée de devoir expliquer à mes parents dans deux jours que je m’étais encore fait casser la gueule, alors que tout devait se calmer. Alors, une demi-heure avant d’arriver, une fois que j’étais bien calmée, j’ai demandé à la surveillante de sortir du camion juste avec les menottes devant, pour ne pas reproduire l’image qu’ils m’avaient fabriquée à Bapaume et Séquedin. Elle a compris et a négocié avec le chef d’escorte qui a promis. Mais sur le parking de la zonz’, il n’est pas venu me retirer les entraves. Et quand on est arrivés dans le sas, devant le greffe, il est allé prévenir ses collègues avant de m’ouvrir. Bref, j’avais les larmes aux yeux quand une bricarde d’ici est montée dans le camion me dire qu’ils allaient me dé-menotter si je promettais de ne pas cogner. Dans le couloir du greffe, il y avait déjà quatre casqués avec les boucliers... Bien sûr, comme d’habitude, j’ai refusé de donner mes empreintes et la photo. Le chef de détention m’a alors prise dans son bureau un quart d’heure pour me faire la morale : tout allait recommencer à zéro, j’allais arriver au quartier arrivants, mais il fallait que j’y mette du mien. Je lui ai expliqué que je n’accepterais pas une deuxième fouille à nu car ils ne m’avaient pas lâchée depuis quatre heures. Il m’a dit que les nouveaux portiques promis par Taubira étaient arrivés et qu’il n’y avait pas de fouille systématique après les parloirs. Il insistait surtout pour que je fasse l’empreinte biométrique pour la carte de circulation, qui semblait leur être très importante. Puis il m’a refilée à une bricarde du CDF (Centre de Détention pour Femmes) le temps d’aller téléphoner. Il y avait aussi une gradée, elles ont continué à me mettre la pression surtout pour la carte en alternant promesses et encouragements. J’étais épuisée et j’ai cédé. J’ai mis ma main dans la machine, avec les casqués à deux pas. Ils ont volé une photo pendant que je signais le papier (pas d’empreinte digitale). Il n’y a pas eu de fouille intégrale et elles m’ont conduite, sans les casqués, au CDF. Dès que j’ai été en cellule, bien qu’il y ait le repas sur la table et qu’il soit 13 h 30, je me suis couchée.
Ils m’ont réveillée une heure plus tard pour voir la toubib qui m’a fait un certificat de coups et blessures. Puis j’ai revu la bricarde dans son bureau, accompagnée de la directrice. J’ai essayé de leur expliquer les règles à respecter. Quand on a fait l’inventaire de mon paquetage, la directrice a tiqué sur l’Envolée et les bouquins sur les socialistes utopiques (je suis des cours d’histoire avec Auxillia) et ça m’a fait rire. Elle m’a même demandé de quelle organisation je faisais partie, alors que je n’ai jamais été encartée à quoi que ce soit, sauf six mois à la confédération paysanne lors de mon installation agricole.
Puis je suis allée en promenade où j’ai rencontré une dizaine de filles qui sont en « portes fermées ». Il y avait notamment Kaoutar, qui vous passe le bonjour. Elle m’a expliqué qu’elle avait pris vingt jours de mitard mais que le psy avait ordonné le fractionnement : deux jours au Quartier Disciplinaire (QD), trois jours en bâtiment, sur deux mois. [...] Ici beaucoup de filles sont ensuquées au médocs. Le shit est objectivement le meilleur allié de l’AP !
La nuit, ils sont passés donner de la lumière toutes les heures, comme si j’étais suicidaire. À chaque sortie de cellule, ils étaient au moins quatre. Les filles m’ont dit qu’ils leur avaient aussi conseillé de se méfier de moi. Donc j’ai fait un mot dès le vendredi matin pour leur dire d’arrêter leur provocation. J’ai vu un autre chef pour l’entretien d’accueil et le dépistage suicide et j’ai renouvelé ma demande. Le soir, à la gamelle, ils m’ont dit qu’ils arrêteraient de venir toutes les heures. Effectivement, depuis, ils viennent toutes les deux heures ! Et ils sont toujours en surnombre pour mes mouvements. Donc je mets le cache sur l’œilleton et je leur ai expliqué pourquoi. Samedi j’ai vu mes parents au parloir pendant deux heures et demi. Mais ils ont imposé des fouilles (palpation à l’entrée, à nu au retour) sous prétexte que les nouveaux portiques étaient certes arrivés, mais pas mis en place. J’ai râlé un peu mais j’ai accepté comme à chaque fois qu’ils tiennent mes proches en
otage. Aussitôt après, j’ai voulu aller en promenade, une fois déposé mon sac de livres et de linge propre en cellule. Ils ont accepté mais m’ont demandé de repasser sous le portique détecteur de métaux alors qu’ils ne m’avaient pas lâchée depuis la fouille. J’ai gueulé et j’ai crié « Bip-bip-bip » en passant dessous : « Là, ça va comme ça ? » Quand j’ai atteint la porte qui donne sur la cour, quatre casqués étaient en train d’arriver en courant au CDF. Je les ai ignorés et suis allée en promenade. Le CDF a été bloqué vingt minutes, sans explications. Le retour s’est fait normalement, mais avec quatre maton(ne)s. Ma cellule n’avait pas été fouillée.
Dimanche, je n’ai pas vu le chef à qui j’ai écrit. J’espère que ça sera aujourd’hui (il est maintenant 5 h 30 du mat’ et je continue cette lettre car j’ai été réveillée par les contrôles nocturnes). Hier j’ai essayé d’expliquer au bricard que si je ne lui disais pas « bonjour », c’était une forme de respect par le refus de l’hypocrisie : je n’ai aucune envie qu’il passe une bonne journée : j’espère chaque fois qu’il y aura des évasions et des mutineries. Je ne pense pas qu’il a compris...
Bon, voilà les news, à utiliser comme bon vous semble [...]. Les infos circulent, le dehors bouge aussi, c’est l’essentiel. [...] Gardez la niaque et à la prochaine.


Centre pénitentiaire de Réau, mardi 12 novembre 2013

Salut ! Pour moi, depuis presque 4 semaines ici, ça ne se passe pas mal . Certes, je suis toujours en « portes fermées » alors qu’après le temps d’observation en QA, durant 10 jours dont 5 jours avec un renfort de matonnerie à chaque ouverture de cellule, ils ont bien compris que je savais m’adapter à la vie en collectivité. Mais j’ai l’impression qu’on atteint une espèce d’équilibre dans le pouvoir de nuisance. À la différence des premières semaines à Bapaume, où je ne m’étais pas faite cognée dessus non plus, ici ils n’esquivent pas le conflit par la bonhomie. Il est affirmé des deux côtés qu’on n’est pas potes, mais pour autant, par économie et confort, aucun n’a envie d’aller au physique. Par, exemple, jeudi soir, c’est monté haut en décibels pour une histoire d’accès à la promenade où on est censé rester 2h en rang, ce qui est bien long surtout avec cette météo hivernale. Or j’ai dégoté deux lignes dans la règlement interieur qui dit qu’on peut aller en promenade après une activité. Donc il suffit d’aller à la biblio ou à la muscu durant 1h ou 1h30 pour rester dans la cour 1h ou 1/2h. Ça a énervé des matons plus habitués à la normes qu’à la règle, mais ils ont dû céder. L’un d’eux m’a même dit le lendemain : « Je ne devrais pas te le dire mais en vrai tu nous es utile car tu oblige la direction à prendre position au lieu de nous laisser nous démerder, nous surveillants de base, avec des textes inadaptés » ! V’la l’meilleur maintenant : la récupération !
Pour arriver à rire de ça, j’ai une vrai aide. Tous les jours, je vais à la salle de muscu au moins 1h.
Je fais du rameur, en endurance ou en résistance, des séries d’abdos, des exercices de musculation des épaules (c’est ce qui fait le plus mal quand ils tordent...). De sentir le cœur accélérer parce que l’écran indique qu’on a parcouru 5km à vélo (même si on a pas bougé d’un centimètre) c’est bien plus agréable que de le sentir cogner parce qu’on se dit : « Je viens de les envoyer chier. Là, ils en réfèrent au chef. Dans 10min, ils reviennent avec les casques et les boucliers. Dans un quart d’heure, je suis au mitard, les épaules en bouillie. Ah ! Je les entends... Oh putain, ils sont au moins dix ! ». Je me tape une bonne sué tous les jours, ça me fatigue et me détend à la fois. Pour eux aussi, même s’ils doivent gérer des mouvements [2] supplémentaires (notamment la promenade pour une demi-heure...), je suis sûre qu’ils se disent « Pendant 1h on ne la pas entendue, là, entre la douche et la sieste, on a encore 1h de tranquille... ». j’ai essayé d’expliquer à une surveillante qui voulait me brancher en discussion sur le bien être sportif que si elle en était convaincue c’était la dernière chose à supprimer quand un(e) taulard(e) s’énerve et non la première entre Quartier d’Isolement (QI), confinement, QD et autres saloperies, de punitions, de privations.
J’ai aussi commencé des cours (arabe pour débutante et espagnol) et des activités (chant, sophrologie, volley et badminton). La qualité varie beaucoup selon l’intervenant. Par exemple, le prof d’arabe est bien institutionnalisé, alors que la prof d’espagnol vient pour la première fois en taule. Elle est arrivée une demi-heure en retard au premier cours et nous a dit « Désolée, je ne pensais pas qu’il y avait autant de protes et de sas. Il a même fallu que je vide tout mon sac et leur laisse mon portable... », on a répondu « Sans dec’ ? » en ricanant « et encore, si t’avais eu un soutien gorge à baleines, tu y serais encore ! ». On lui a aussi expliqué que si elle voulait qu’on ait un cahier et un stylo, elle ferait bien de nous les fournir car on aller pas empiéter sur notre pécule pour le tabac. Tout ça l’a un peu étonnée, nous ce qui nous a étonné c’est le rythme auquel elle nous a mis au boulot : en 45min, on a appris les jours de la semaine, les 12 mois, à compter jusqu’à 100 et quatre phrases de base ! En 3h d’arabe, on a appris péniblement cinq phrases par cœur... Les autres activités sont aussi assez aléatoires car, par exemple, on ne peut pas aller au gymnase pour faire volant si on est moins que trois (alors qu’il y a là-bas deux profs payés par l’AP). L’activité couture à laquelle je me suis inscrite il y a 8 jours a été annulée totalement aujourd’hui, une demi-heure avant l’horaire prévu du début...
Je sais bien que cet équilibre est précaire, qu’ils peuvent à tout instant décider de retourner à leur habitudes de répression. Ils ont déjà le moyen de mettre la pression car je leur ai rendu leur carte de circulation informatisée qu’ils m’ont refourguée à coup de mensonges et de promesses à mon arrivée ici il y a un mois. Pour l’instant , ils ne m’obligent à l’utiliser que lors des parloirs, quand ils tiennent mes proches en otages. Le reste du temps, ils s’en passent : ils ne vont pas me mettre à la porte ! Mais s’ils veulent, ça peut entraîner un CRI à chaque sortie en promenade. Un peu comme le refus d’ADN au pénal, ça peut faire enquiller des peines de 7 jours de mitard à l’infini...
Voilà juste un an que je suis enfermée. L’anniversaire c’était samedi 9 novembre. J’aimerai bien que ça continué comme ça, même si je ne monterai jamais à l’étage des « portes ouvertes ». Si je suis encore là en janvier je pourrais commencer un formation horticulture. Ce n’est pas qu’un CAP me tente, mais j’aimerai pouvoir me salir les mains avec de la terre, à bosser avec du vivant...
En février je devrais pouvoir recevoir mes parents 6h en UVF (Unité de Vie Familiale) [3]. Pour ça, il faudrait que je reste plus que 3 moi, ce qui n’a pas été la cas dans les cinq taules précédentes...
Dans une semaine, j’aurai le délibéré du procès d’Arras du 19 septembre où la proc’ a demandé un an à cause des peines planchers. Et puis, il y a encore le procès de Lyon où javais pris 4 mois le 13 février et où le proc’ a fait appel : on n’a toujours pas la date. Au mois de novembre, il dois y avoir une Commission d’Application des Peines (CAP) où il me diront que tout mes CRP (Crédits de Réduction de Peine) [4] ont sautés et que je n’aurai pas de RPS (Remises de Peines Supplémentaires). Les démarches pour la confusion de peines traînent. Je vais passer un 2e Noël loin de mes parents... Fait chier !


Centre pénitentiaire de Réau, vendredi 22 novembre 2013

Jeudi, je devrais avoir le délibéré du procès du 19 septembre à Arras. De manière un peu originale, le juge avait demandé une visio-conférence quelques jours avant. Je n’avais pas bien compris pourquoi car je n’ai pas la possibilité de parler à l’énoncé du verdict. Je me suis dit que c’était juste de la perversité de sa part : il voulait voir ma tronche quand il me dirait que j’ai pris un an de plus pour n’avoir même pas cogné sur des matons, et peut être avoir une possibilité de relever un outrage à magistrat… Bref, à 15h15, j’étais dans la salle de vidéo, au parloir avocat. Pendant presque 3/4h, la surveillante a bataillé pour mettre la machine en marche car la connexion ne passait pas malgré de multiples essais. Ça commençait à me gonfler et j’avais envie d’une clope. J’ai dit à la surveillante « Mais on s’en fout de la vidéo ! Tu téléphones juste au tribunal pour leur demander la sentence, c’est tout ». Bien sûr elle a répondu : « je ne peux rien décider, je vais voir le chef ». J’ai réussi à ne pas crier en disant : « Mais pourquoi t’as besoin d’un chef ? Cette justice est rendue au nom du peuple français. T’en fais parti, non ? N’importe qui peut rentrer dans la salle là-bas. Y a pas besoin de chefs pour que j’arrête de glander ici : tu te renseignes et je vais en promenade. » Pour que je ne puisse pas fumer sans me prendre un Compte Rendu d’Incident (CRI) [5], elle m’a collé dans une cellule plus petite, sans fenêtre. Au bout d’un quart d’heure, l’officier du CDF est venu me dire qu’il avait eu le juge au téléphone. Le délibéré est repoussé d’une semaine et il demande une extraction. Je n’en revenais pas : une virée Paris-Arras, 5h de route, cinq gendarmes au moins (ou 2h de TGV et trois gendarmes) pour 5 minutes au tribunal !

J’ai appelé l’avocat pour savoir ce qu’il en pensait et lui aussi est étonné. Ça nous permettra au moins un RDV

Cette insistance du juge pour me parler me fait espérer qu’il a quelque chose de sérieux à me dire. Pourtant, ma plainte contre Bapaume, déposée le 12 juin, n’est toujours pas enregistrée et l’avocat fait les démarches pour contrer le parquet et obliger un juge d’instruction à s’y coller. Alors quoi ? C’est juste pour me faire la morale ? Encore quelques jours avant de savoir…

Ici, la situation se tend un peu avec la matonnerie. Quand je suis arrivée, le 17 octobre, le chef de détention en personne m’a demandé de prendre la carte biométrique en m’assurant que ça ne serait pas transmis au FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) ou autre. Comme il m’a promis que je serai au Quartier Arrivants (QA), avec le même régime que toutes les autres filles et que j’étais fatiguée par la dernière démonstration de force de Séquedin (voir le récit précédent), je l’ai acceptée. Mais durant 5 jours, il y avait une escorte renforcée (sans bouclier/casque) à chaque ouverture de cellule, des contrôles nocturnes très fréquents, et je ne suis toujours pas à l’étage, en portes « ouvertes ». Donc le 23 octobre, je lui ai rendu la carte en lui disant qu’il n’était qu’un menteur. Je pensais que cette provocation allait le faire réagir, mais il a laissé couler. Durant 3 semaines, je me suis très bien passée de cette carte pour tous les mouvements (activités, promenade et même accès à l’infirmerie, dans un autre bâtiment). Ils me mettaient juste la pression pour les parloirs et là, comme ils tenaient mes proches en otages, je me soumettais.

Mais ils ont organisé un prétoire jeudi au sujet de cette grève de carte. Bizarrement, ils ont été réglos et m’ont notifié qu’une faute du 3e degré (7 jours maxi de mitard). J’étais contente de revoir le chef de détention, Schesser, que je réclamais en vain depuis plusieurs jours. On a discuté très clairement, sans compromission. J’étais sûre d’aller au QD, j’avais préparé le sac. Mais il ne m’a mis que 5 jours de sursis et m’a dit de reprendre la carte ; Bien sûr, j’ai refusé puisqu’il ne s’était pas excusé de ses mensonges. Donc, il a remis un nouveau CRI et je repasse en commission de discipline la semaine prochaine. Depuis, le chef de bâtiment m’a refait la morale à coup de « il s’en fout, il n’est pas ici, mais planqué dans son bureau. Il est orgueilleux et ne lâchera pas. Acceptez la carte et vous monterez vite à l’étage. Sinon, ça va devenir de plus en plus dur pour vos parloirs. »

J’attends le prochain prétoire pour décider de mon attitude face à ce menteur. Rassurez-vous, je me souviens de ce que j’ai dit le 19 septembre à Arras : je n’irai plus dans une bagarre que je ne peux pas gagner. Je vais essayer de tenir mon orgueil en laisse et ne pas pourrir mes parloirs mensuels avec mes parents. Ceci dit, je maintiens : on ne peut pas être respecté si on n’est pas respectable.

Christine

Notes

[1Contrairement aux Maisons d’Arrêt, les Centres de Détention (CD) et les Maisons Centrales (MC) permettent une détention en régime de « portes ouvertes ». Les portes des cellules y sont ouvertes en journée et fermées par les matons seulement la nuit. En journée les détenu(e)s peuvent entrer et sortir sans restrictions, donc être dans le couloir de l’aile et passer d’une cellule à une autre. Le temps de promenade possible y est plus grand, l’accès aux différentes activités moins limité et l’accompagnent par des matons lors des mouvements n’y est pas systématique. De tels « avantages » implique la possibilité du retrait de ces même « avantages ». Ce retrait s’appelle régime de « portes fermées ». C’est un équivalent du régime général en Maisons d’Arrêt. Officiellement, le placement en régime de « portes fermées » n’est pas une mesure disciplinaire mais administrative. Dans la pratique, cela fait partie du même panel répressif que les Quartier d’Isolement et Quartier Disciplinaire. Carotte ou bâton, on y voit plus très clair.

[2En taule, un « mouvement » est tout ce qui nécessite l’ouverture d’une porte, et donc la présence d’un maton, pour un ou plusieurs enfermé(e)s : aller à l’infirmerie ou en promenade par exemple.

[3Les unités de vie familiale (UVF) sont des sortes de studios implantés dans l’enceinte des établissements pour peine (CD et MC). Ils permettent aux détenu(e)s condamné(e)s et ne bénéficiant pas de permission de sortir, de recevoir plusieurs membres de leur famille pour une durée pouvant aller jusqu’à 72 heures.

[4Depuis le 1er janvier 2005, outre des réductions de peine supplémentaires (RPS) qui continuent à faire l’objet de décisions spécifiques, des réductions de peine ordinaires sont accordées dès la condamnation sous la forme d’un CRP (crédit de réduction de peine). Dès sa mise à l’écrou, le condamné et désormais informé de la date prévisible de sa libération, compte tenu de ce crédit. Des parts de ce crédit pourront lu être retirées en cas de « mauvaise conduite » aussi bien pendant le temps de détention qu’après sa libération pendant une période d’une durée équivalente à celle des réductions accordées.

[5Les Comptes Rendu d’Incident sont des rapports pondus par les surveillants qui implique ensuite un passage du (de la) détenu(e) devant une Commission Disciplinaire. Cette commission est composée du directeur de prison, d’un maton gradé, et d’un citoyen comme assesseur secondaire. C’est elle qui décide des placement au mitard, elle délivre aussi des avertissements et des restrictions sur les cantines et les mandats.

Mots-clefs : anti-carcéral

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