Lettre aux tièdes pris de frayeur sanitaire,...

Lettre à l’attention des tièdes pris de frayeur sanitaire, des scientistes de la théorie, des orthodoxes de la Révolution et des défenseurs de l’État-révolution !

Les formulaires B1 et B2 sont formels : nous, anarchistes-autonomes (femmes et hommes, mutants) appartenons bien à une très ancienne race de constructeurs d’étoiles : ceux qui jadis furent baptisés « éléments incontrôlables » par la première chaine d’information.
Oui, notre impatience est aussi celle du cancre bien plus indéfectiblement passionné par l’oiseau qui appuie ses pattes de mésanges sur une branche d’arbre à travers le cadre de la fenêtre de classe, que par les discours réévaluateurs (à la baisse) du professeur d’histoire qui nous explique que le rôle des libertaires dans l’histoire de la révolution espagnole fut plus faible qu’on le dit ! Oui, c’est vrai ! nous sommes d’incurables rêveurs, mais, c’est que l’histoire nous a appris à nous méfier des hautes verticalités théoriques orthodoxes et de l’idée maoïste de « discipline » dans la lutte révolutionnaire !
Nous n’unirons jamais nos forces à ceux qui prétendent « tout de go » réinventer le « régime des vérités » et en suturer l’action révolutionnaire, surtout quand la révolution se trouve prise dans les rets d’une Histoire réelle (les faits sanitaires présents, par exemple ). Pardon pour ce préambule labyrinthique.
C’est que notre mémoire commence à s’aiguiser à l’aune des faits passés entre « supposés camarades », et les « retournés », ainsi pour ne pas oublier le destin qui frappa (il y a bien longtemps) Makhno, Lucy Parsons, Emma Goldman, Raymond Caillemin (et ses gais compagnons), Clément Duval, Marius Jacob, Ulrike Meinhof, et bien d’autres… nous ne vous oublierons jamais !
On dit que l’histoire ne se répète pas (qui a dit ça ?) de notre côté, nous n’oublierons pas le sang versé sur Kronstadt. Quel rapport me direz-vous avec le présent covidé ? C’est qu’il existe un lien (observable) entre la spectacularisation du Covid-19 et les mécanismes cognitifs d’oublis et de dénégation des priorités (voire de la priorité révolutionnaire du moment).
Terreur et fascination ont toujours eu (depuis l’antiquité romaine, au moins) cette étrange « force » de sidération, cette capacité d’agir sur nos imaginations, toujours plus internalisantes (pas toujours pour le meilleur) et parfois de réduire nos rêves d’émancipation à l’urgence sanitaire ! voilà pourquoi nous pratiquons l’outrance imaginative… Pour rester éveillé !
Et nous nous employons (sans complexes) à faire « changer la peur de camp » ! Certes, le Covid-19 existe bien comme phénomène spatio-temporel (au sens où il prendrait idée à un kantien égaré de nous formuler la différence ontologique entre phénoménalité et noumène, entre « chose en soi inconnaissable » et phénomène cadré par l’espace et le temps). Oui, le Covid-19 existe, et nous sommes tous conscients (plus ou moins). Pris en tenaille entre les crocs d’une maladie mortelle et l’envie de faire voler en éclat ce climat de « couvre-feu » ! Alors oui les formes a priori de l’espace et du temps (ce que Kant désigne par la sensibilité) et les centaines de milliers de morts ne se contredisent pas ! Là, n’est pas notre propos pour ceux qui nous accuseraient d’éternelle rêverie ! Un million ou deux ou trois de morts à venir existent bien et c’est atroce ! surtout dans les pays du Sud, en Ehpad, mais aussi dans notre morne métro, plus sécuritaire bientôt qu’un cauchemar orwellien. Ces damnés du bitume sont (en quelque manière) tous mêlés au sous-prolétariat qui s’en va (ou s’en revient), de Carrefour, d’Auchan ou de son usine de retraitement de déchets (d’où il devient de plus en plus difficile de différencier l’esclave et son objet, et là, je ne parle pas du tout métaphoriquement), mêlés aussi à une population de psychotiques sous-alimentés en psychiatrie ou isolés dehors (le vrai dehors), tous ces faiblement comptés existent bien, mais d’abord dans les statistiques des agences régionales de santé (1% de schizophrènes au sein de la population, vraiment ? c’est que le reste non-comptable vit croupi en prison sans doute !) Pourquoi cette priorité dans l’arithmétique du malheur ? Ce peuple surnuméraire de fantômes exsangues existe réellement, parfois mélangé dans les couloirs d’hôpitaux avec les patients « normaux » atteints du virus « ogresque ». Oui, le Covid-19 a acquis (semble-t-il) un statut d’ogre.
Mais (et notre propos est là) est-ce une raison pour laisser en berne nos imaginations insurgées, languissantes, se dessécher s’effrayer ? (la frayeur compte comme le seul affect véritablement universel ; selon un éthologue célèbre).
À cette menace de frayeur sur nos pensées, nous clamons (comme Guignol) : jamais !
Oui, en face du Covid-19, la révolution sociale semble prendre de plus en plus un statut de « rêve ontologique » ou d’un conte des frères Grimm, mais il n’est pas question de Romantisme allemand quand nous crions « assez ! »
Il n’est pas question, non plus, de laisser la gouvernance jupitérienne légiférer sur nos imaginations ! (manquerait plus que ça !) À ceux (marxistes orthodoxes ou pas) qui voudraient nous la faire « à l’envers » sur le mode : « la révolution oui, mais ne nions pas scientifiquement le Réel », il n’est peut-être pas inopportun de rappeler pour mémoire, un évènement passé, une « fracture » historique qui, en 1974 accompagna la sortie du livre de Jacques Rancière La Leçon d’Althusser. Bien sûr, il n’est pas question (en ces circonstances) de retracer l’histoire complexe des mutations marxiennes (surtout pas), mais de nous saisir d’un exemple utile pour tout anarchiste engagé·e dans l’action (à la fois directe et « poétique » ! termes selon nous logiquement assignables). Plongeons-nous un instant, dans un passé français (pas si éloigné) où le parti communiste faisait office de religion du peuple : Dans une réponse à John Lewis, le marxiste Althusser assume l’idée que « l’humanisme » est un élément nodal de l’idéologie bourgeoise, que l’humanisme serait à comprendre comme un ensemble de représentations fictives, rêveuses et en dernière instance n’ayant comme principal effet que de « fixer » et pérenniser les « masses humaines » à leur essence destinale dans la division du travail. Bref, à reproduire (de cette sorte) la « domination sociale ». Pour en sortir, Althusser ne propose rien moins que de déconstruire, d’attaquer cette thèse au moyen de la « Science » (qui est l’une de ses ses idées-forces) : ainsi s’accouchait (à nouveau) un ultratechnocratisme de gauche : le marxisme scientifique ! isolant du même coup les thèses quelque peu en gésine au regard des nouvelles thèses marxiennes, à savoir Les Manuscrits de 1844 (et sa fameuse théorie de l’aliénation). L’anarchisme là-dedans ? Oublions, il n’existe pas pour ces « assis ». Désormais, c’est le Marx scientifique (le vrai) de L’Idéologie allemande (anti-stirnerienne, notamment) et du Capital qui compte comme seul or pur de la pensée. L’exploitation n’était plus l’aliénation. Devant cette nouvelle division autoritaire (elle ne fut pas la seule) entre les « héros de la théorie » d’une part et les militants d’autre part. Rancière coupa les ponts (il eut raison, je crois) il fit fracture avec son ancien camarade, préférant (comme nous) les thèses d’un Joseph Jacotot (1818), dont la présupposition (non biologique, précisons) d’une « Égalité des intelligences » nous paraît aujourd’hui bien plus apte à générer des effets politiques révolutionnaires (j’entends par là : une zone de « brouillage » ou de transversalité entre des domaines aussi supposés hétérogènes que l’espace public et privé, l’action poétique et l’action directe, l’usine et l’atelier de création artistique, etc.). Effets selon nous bien plus aptes à la « création politique » que les réunions de cellule du marxisme-léninisme, éclairé par l’aveuglante lumière de la « science ».
Revenons à notre idée première, elle est mince, mais nous la tenons pour solide : jamais personne ne nous a fait nier l’existence « objective » du Covid-19, mais jamais non plus, en termes plus « naïfs », jamais personne, aucune instance, ne nous fera abandonner notre idée, que ce fut au nom de la « science théorique » ou de la vérité empirique des faits, notre idée voltige avec la légitimité d’un « droit » (le plus intime) que nous prenons ! Le voici : l’émancipation marche avec le rêve et l’action (qu’elles fussent poétiques ou directes). Ou plutôt : L’anarcho-autonomie pourrait se définir par cette volition : imaginer toujours, rêver sans cesse et construire ensemble ou seul ! La réalité révolutionnaire anarchiste ! avec son nuage de sensualité ! Ce n’est pas le dadaïste Luis Buñuel de l’âge d’Or (1930) qui contreviendrait à cette idée…
vivre l’anarchie ! vive Lucy Parsons ! vive la révolution sociale !

Signé : Sylphe en cavale dit Jules Bonnot spectral.

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