Les verts qui veulent jouer aux jaunes

Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, il n’y a pas une couleur politique qui n’ait été fascinée par ce que ce simple dossard porté par des milliers de personnes pouvait mouvoir comme forces, au point de faire vaciller le pouvoir en place. La tentation est grande de tirer le bénéfice de la situation à soi, et tous les bords, qu’ils soient, bleus, rouges, verts ou noirs tentent de tirer à eux la couverture. En vain, quand trop de monde tire de chaque côté, ça fait du sur-place, et c’est tant mieux !

On a vu Wauquiez enfiler le Gilet, Philippot déposer le nom « Gilets Jaunes » à l’INPI, Ruffin enchaîner les prises de paroles publiques sur les ronds-points, les manifestations et au pied des barricades fumantes, Dupont-Aignan et Asselineau draguer les arrières des regroupements de Gilets Jaunes, Mélenchon et Le Pen surrenchérir à qui mieux mieux à celui qui serait le plus révolutionnaire dans le soutien aux Gilets Jaunes. L’épisode le plus pathétique restant encore la création d’un parti qui ne dit pas son nom dans les locaux du Journal La Provence, « prêtés » par Bernard Tapie, « Gilets Jaunes, le mouvement », dans le sillage de son porte-parole autoproclamé Hayk Shahinyan.

Depuis quelques semaines ce sont aussi les verts qui tentent de se mettre au jaune en poussant à la convergence « Gilets verts » et « Gilets jaunes ». Les appels du pied aux Gilets Jaunes à rejoindre les marches pour le climat avaient déjà lieu dès le 7 décembre, divisant d’un côté comme de l’autre, mais pour des raisons différentes. Chez les Gilets Jaunes la défiance envers une écologie perçue comme un moyen de systématiquement faire payer aux pauvres les nécessités d’une transition écologique (EELV était d’ailleurs le seul parti à soutenir le maintien de la taxe carburant quand tous les autres comprenaient qu’il vallait mieux faire profil bas et renoncer à la taxe qui fait déborder le réservoir). Chez les verts non-violents la problématique était plutôt de se protéger des violences que pourraient générer des Gilets Jaunes infiltrés dans le cortège climat.

Réticence des verts lorsqu’il s’agit de mettre des gilets jaunes pour se fondre dans un mouvement multiforme et dont la richesse réside entièrement dans un gilet jaune qui rebat les cartes politiques et sociales, qui transcende les classes et les milieux. Sauf quand il s’agit d’afficher son logo sur le gilet lorsqu’on rejoint des Gilets Jaunes qui bloquent l’usine de Monsanto. Les verts se voient avec la « justice climatique » (l’anticapitalisme n’est plus un concept très vendeur) comme le point de jonction de tous les sujets qui préoccupent les Gilets Jaunes, alors que ce sont bien les Gilets Jaunes qui en premier lieu soulèvent toutes les questions qui préoccupent les verts, rouges, bleus et tout le reste de la palette de politiciens qui se crêpent le chignon à longueur de temps.

Pas d’étiquettes, c’est bien ça le déterminant magique qui permet un brassage même avec le pire, mais surtout pour le meilleur en pas mal d’endroits. S’affranchir des carcans d’un jeu de chapelles de militants invétérés qui figent le paysage contestataire depuis trop d’années, a ouvert de l’espace à une majorité d’individus qui, en se disant apolitiques, reviennent pourtant aux fondements de la vie politique : l’engueulade, l’intelligence collective et l’occupation de la place publique.

Les 26 et 27 janvier, à l’occasion d’une nouvelle mobilisation internationale pour le climat, nos amis verts aimeraient grossir les rangs et font des appels du pied à des Gilets Jaunes pour leur longue chaîne humaine de traversée de la France : ici et là les justiciers climatiques tentent de séduire les porte-paroles des gilets et s’évertuent à les convaincre que la pacification du mouvement et son inscription dans celui des marches pour le climat ne peut qu’aller dans le même sens. Mais derrière la rhétorique, toujours les mêmes grosses ficelles de la réappropriation politique : « toi qui va dans la même direction, rejoins-moi, ensemble nous serons plus forts et en se concentrant sur ce qui m’intéresse on pourra ensuite brasser plus large et se préoccuper de ce qui t’intéresse toi ».

La vérité c’est que derière le vernis bien-pensant des climato-concernés il y a toute une classe moyenne effarouchée par les violences qui regarde le gilet jaune avec crainte et se détourne d’une solidarité fondamentale face à la répression d’une intensité inédite de ceux qui, majoritairement, sont déjà les parias le reste du temps. Les pauvres qui sont réprimés et sanctionnés dans les tribunaux, dans les commissariats, dans les pôles-emplois, dans les CAF dans tous les aspects de leur vie sociale.

Alors moi qui ai passé le Gilet jaune, ami vert, je te le dis : avant de demander aux autres de te rejoindre, prends déjà la peine de te joindre à eux, faire partie d’eux, autour du braséro à la tombée de la nuit fraîche et humide, dans la fumée piquante des manifestations houleuses qui chantent et tempêtent comme aucun premier mai ou cortège militant ne l’a fait depuis trop longtemps. Comme tu le dis « changeons le système pas le climat » et depuis quelques semaines je n’ai jamais eu autant le sentiment de marcher dans la bonne direction que dans la fureur des rues !

Un Gilet Jaune

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