Récit de Nestor (le prénom a été changé).

Vendredi 7 mars, en fin de tournée, on apprend qu’on doit distribuer un tract du FN dans la tournée de lundi et mardi (on fonctionne par équipes, c’est donc ces équipes-là qui doivent s’en charger).

Samedi 8 au matin (hé oui on travaille le samedi aussi !) on a discuté en équipe réduite et la CNT-AIT a décidé qu’elle prendrait la parole devant toute l’équipe lundi matin.
Pendant le week-end, les autres syndicats (Sud, CGT) se sont aussi bougés.

Lundi 11 mars au matin, les trois syndicats ont fait des prises de parole lors d’une assemblée générale, le mardi aussi.
En gros, une dizaine de postierEs sur une quarantaine ont refusé de poster ce tract du FN.
Je pense que s’il n’avait pas été disposé de manière à entourer les autres publicités (ça s’appelle les « mains »), ce qui était vachement long à enlever et engendrait un temps de travail supplémentaire décourageant, d’autres postierEs l’auraient sûrement fait.

La répression a été immédiate : des huissiers sont venus constater tout ça (qu’on faisait « mal » notre travail en un mot), la sécurité de la Poste aussi, et nous avons eu l’honneur de recevoir deux personnes de la direction de la communication, qui sont venues parce qu’ielles ont eu la frousse de deux étudiantes en journalisme.
10 enquêtes administratives vont suivre avec des risques de sanction.
Sud a diffusé un bon communiqué sur ce sujet que vous avez publié.

Pourquoi ce tract du FN est arrivé dans notre service ?
Il faut savoir qu’il y a quelques temps, nous avons mené une lutte contre un nouveau concept de distribution dans lequel la Région Parisienne est pilote, les IP (Imprimés Publicitaires).
Les médias n’en ont pas du tout parlé. C’est un nouveau dispositif où les postierEs sont obligés de mettre dans les boîtes des pubs (mais la définition de « pub » pose problème, on en reparlera plus tard).
On s’est battuEs pour que cette nouvelle tâche soit rémunérée et soumise au volontariat mais on a perdu cette lutte et une personne a été sanctionnée.
Résultat : on n’est pas payéEs pour du travail supplémentaire et en plus on est obligéEs de mettre des pubs dans les boîtes...
Tu imagines l’aubaine pour les annonceurs et... du coup les partis !
Tu passes tous les digicodes, il y a plein de main d’oeuvre qualifiée dont c’est le boulot, et elle n’est même pas rémunérée pour ce travail supplémentaire...

Avant, il y avait ce qu’on appelait de la « publicité non adressée », et les dépliants qui séparaient les piles c’étaient ceux des annonceurs qui payaient un peu plus cher. Je ne sais pas si c’est le cas de ce tract du FN aujourd’hui, on n’a vraiment aucune lisibilité sur le dispositif IP pilote qu’on subit.
On a appris ce lundi-là, justement, qu’on avait déjà mis dans nos tournées des semaines précédentes de la propagande politique UMP, mais elle était sous pli, donc on ne s’en est pas doutéEs.

En début de semaine, on a invoqué notre droit de réserve et d’objection de conscience : unE employéE du service public n’a pas à faire de propagande politique, religieuse ou syndicale.
On n’est pas les militantEs de tel ou tel parti !
L’ironie, c’est que si tu mets dans les boîtes un tract syndical, c’est briser ton droit de réserve... On nous en menace assez souvent...
Et là pour le FN, c’est une obligation ?

La Poste nous oppose des trucs opaques : une décision de 2006 qui définit nos obligations à distribuer les Imprimés Publicitaires, mais en même temps elle refuse de nous donner les termes du contrat actuel d’IP...
En gros, pour eux, ce tract du FN (ou d’un autre parti politique) serait un imprimé commercial, publicitaire... Mais on n’a aucun texte qui nous le stipule clairement !

Les lois en terme de propagande politique s’appliquent aux professions de foi : mais franchement, pour nous cet imprimé n’est pas une publicité, c’est bien de la propagande politique !

Je n’ai pas envie qu’on se batte pour que cette propagande soit mise sous pli, sous enveloppe : j’ai juste envie qu’on ne soit pas obligéEs de distribuer des tracts de partis politiques ou autre !
Quand tu vois marqué : « Journal des Municipales - le rassemblement Bleu Marine avec Bernadette de la Bourdonnaye », tu te dis : à quand les pubs pour le Denier du Culte, la Scientologie ?
Déjà que les promos Franprix ça m’énerve...