Des alternatives aux peines plutôt que des peines alternatives

Le site de réflexion « Grand Angle libertaire » rassemble et fait dialoguer un vaste panel d’analyses qui vont de la critique de la valeur à l’anarcho-syndicalisme, de l’autonomie à la démocratie radicale, de l’individualisme libertaire à l’analyse du néolibéralisme. On y lit ce mois un entretien sur les alternatives à la prison avec Jacques Lesage de La Haye, devenu militant anticarcéral après avoir été lui-même détenu durant de longues années. Ayant pris conscience de la manière dont sa détention l’affectait psychologiquement, il a entrepris un travail sur lui-même qui l’a finalement conduit à la psychanalyse reichienne. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont La Guillotine du sexe, La Machine à fabriquer les délinquants, et La Mort de l’asile.

Grand Angle libertaire. Que reproches-tu au système carcéral ?
Jacques Lesage de La Haye. D’être essentiellement répressif. Les concepts de base de l’administration pénitentiaire sont systématiquement sécuritaires et le discours sur l’insertion qu’elle appelle la réinsertion est presque uniquement une vitrine. Les syndicats de surveillants ne revendiquent que des augmentations de crédit et de personnel.

GA. Tu dis essentiellement répressif. Il n’y a donc pas seulement du répressif, il y a du positif ?
JLdLH. Il y a des responsables à la direction de la Justice et dans certaines prisons qui se sont aperçu que les détenus sont des êtres humains. Très gênés de constater leur souffrance, ils en arrivent à proposer des améliorations des conditions de détention. Par exemple, ils s’occupent d’un suivi éducatif, mettent en place des formations professionnelles, accompagnent des aménagements de peine et essayent d’aider ceux qui décompensent au point de devenir complètement fous.

GA. Que penses-tu de ces améliorations ?
JLdLH. Je pense que c’est un plus pour les personnes incarcérées. Mais ce sont des emplâtres qui justifient et prolongent abusivement l’existence de la prison. Redorer les barreaux de la prison n’empêchera jamais que ce soit une prison. Si les prisonniers se sentent moins mal derrière les murs, ils auront moins de raisons de se révolter et se soumettront davantage à l’autorité. Ceux qui sont à l’extérieur, dupes des reflets de la vitrine, considéreront que la prison s’est humanisée. C’est une erreur : enfermement et humanité sont antinomiques.
Quant aux responsables de la pénitentiaire, ils risquent de se sentir déchargés de la responsabilité de la destruction carcérale par les couleurs pastel qu’ils auront apposées sur les murs des prisons. Au lieu de se sentir des bourreaux, ils se vivront en bienfaiteurs de l’humanité. Un atelier d’informatique peut aider un détenu à trouver du travail à sa sortie. Mais il ne l’empêchera pas d’être infantilisé, déresponsabilisé et désespéré.

GA. Donc la prison détruit. On parle depuis quelques temps de peines alternatives. Qu’en penses-tu ? Est-ce que cela détruit moins ?
JLdLH. En effet, les peines alternatives détruisent moins. Elles détruisent quand même. Farid Ben Rhadi, ancien détenu, a expliqué qu’en tant que détenu il accepterait le bracelet électronique, mais qu’en tant que militant anticarcéral, il se battrait contre. Cette alternative peut permettre à celui qui en bénéficie d’être libre, d’avoir une vie professionnelle, affective et même sexuelle. Mais ce dont il ne se rend pas compte tout de suite, c’est qu’il intériorise la prison. Il est lui-même son propre gardien, il sait qu’il ne doit pas dépasser le périmètre de sécurité. Sans cesse sur le qui-vive, il se traque insidieusement avec les horaires convenus avec ses autorités de tutelle. Finalement il se persécute lui-même et finit par se construire sur le mode paranoïaque. L’effet pervers du système est de donner l’illusion de la liberté, et de créer une autre forme d’enfermement qui est l’aliénation mentale.

Lire la suite sur : http://www.grand-angle-libertaire.net/des-alternatives-aux-peines-plutot-que-des-peines-alternatives/

Mots-clefs : anti-carcéral

À lire également...