Covid-19 : un traitement de classe de la prévention ?

Alors que la crise sanitaire est officiellement terminée, les mesures de prévention du Covid-19 sont devenues un privilège de plus des riches. Pour nous autres, les gueux, des infections à répétition accroissent le risque de Covid long et les mesures de précaution sont inexistantes. Au nom de quoi devrions-nous subir un traitement de classe de la maladie ?

Un luxe de précautions pour les riches

L’année dernière, les chefs d’État et les grands patrons réunis à Davos avaient pris un luxe de précautions pour ne pas transformer la fête du capital en cluster géant : tests systématiques, masques pour les larbins, purification hyper efficace de l’air. Comme si le Covid, ça existait encore, alors qu’à nous autres on répète que la crise sanitaire est derrière nous. La différence de traitement avait dérangé, jusque dans les rangs de la presse financière. Cette année, les mesures ont donc été plus discrètes mais on a pu repérer dans les coins des purificateurs d’air.

À voir ces précautions, on dirait que le Covid-19 est un virus aéroporté qui provoque une maladie grave, ce qui est cohérent avec l’état des savoirs. Pour nous autres, ce sera une maladie anodine qui se transmet par les mains sales. Un peu de gel hydroalcoolique suffira et les investissements pour adapter l’aération des lieux publics ou des lieux de travail seront inutiles.

C’est un traitement de classe de la crise sanitaire. Les riches mettent les moyens pour se protéger contre le virus, délaissent les avions de ligne pour les jets privés, investissent dans les procédés d’aération des établissements scolaires pour les enfants de la grande bourgeoisie. L’École alsacienne à Paris s’est dotée de « purificateurs d’air dans les lieux de restauration » et d’un « capteur de CO2 dans toutes les salles de classe et de réunion », « mesures spécifiques » qui étaient encore en place à la rentrée 2022. Le lycée parisien Stanislas reçoit en 2023 un demi-million de subventions pour « la réfection de deux ascenseurs et d’une centrale d’air ».

Dans l’enseignement public également, des crédits ont été mis sur la table mais la fin de la crise sanitaire semble avoir été sifflée plus vite que dans les établissements de la bourgeoisie. En Auvergne-Rhône-Alpes, 10 millions ont été consacrés en 2021 à l’équipement des lycées et des écoles. On peine à savoir si ou quand leur maintenance a été abandonnée. En décembre 2023 est décrété le « remboursement à Santé publique France (SPF) de crédits [20,9 millions d’euros] rendus sans objet par la fin de la crise sanitaire, initialement à destination d’achat de masques, matériels et capteurs CO2 pour les établissements scolaires et les personnels de l’éducation nationale ». Entre le déni de la possibilité d’infection des adultes par les enfants et l’annonce de la fin de crise, ces millions n’ont pas été affectés.

La crise sanitaire se serait achevée depuis la prééminence fin 2021 des variants Omicron, lesquels seraient inoffensifs et autoriseraient des infections de masse successives. Une situation à laquelle appelait la déclaration de Great Barrington, issue des milieux d’affaires libertariens, depuis 2020. En France, le masque est tombé dans les transports en commun juste avant la farce électorale de 2022 et aujourd’hui c’est dans les lieux de soins (y compris de soins Covid-19) qu’il est devenu dispensable. Aux États-Unis, Joe Biden prouvait en 2022 que la crise sanitaire, c’était fini en montrant que plus personne ne portait de masque. Plus personne ne porte de masque car les chefs d’État ont imposé le récit selon lequel la crise sanitaire était finie. Et pourtant…

Et pourtant la pandémie est encore en cours. La surmortalité ne baisse pas depuis 2020, ses causes deviennent seulement plus diffuses. Quelle est la part de l’infection de masse au Covid-19 dans le mauvais état sanitaire des populations ? S’agit-il d’une « dette immunitaire » à rembourser indéfiniment ou des conséquences d’une maladie qui ne cesse de nous surprendre ?

Le Covid long, du déni à la prise de conscience

Depuis un premier rapport publié par Santé publique France en 2022, l’état des connaissance s’affine sur le syndrome post-Covid (SPC) ou Covid long. Le Covars, Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires, a publié à l’automne 2023 une étude importante qui décrit la maladie, estime sa prévalence et ses conséquences sociales et économiques.

Le Covid long est une « persistance virale sanctuarisée, une inflammation chronique, une dérégulation immunitaire, une atteinte du système nerveux central, un déséquilibre de la flore intestinale, une atteinte microvasculaire ou encore une modification du métabolisme énergétique ». Les symptômes les plus courants sont la fatigabilité, des troubles neurologiques (maux de tête, troubles du sommeil et de l’humeur, troubles cognitifs dont le « brouillard cérébral »), des difficultés respiratoires, des douleurs thoraciques, des troubles digestifs, de la vision, des troubles anxieux et dépressifs. Il n’y a pas de rétablissement linéaire, « les signes, symptômes et affections peuvent être multi-systémiques et peuvent présenter un schéma cyclique et une progression ou une aggravation avec le temps » (selon les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies états-unien). Il peut persister pendant des mois, voire des années.

Avec quatre ans de recul et malgré les récits des autorités de santé qui ont d’abord mis le Covid long sur le compte de troubles psychiques, le sujet est aujourd’hui mieux connu et mieux évalué. On estime à « plus de 17 millions [le nombre] de personnes qui ont souffert d’un SPC en Europe entre 2020 et 2021 », 10 % des personnes infectées sont touchées, particulièrement après une forme grave mais pas seulement. « Les personnes les plus à risque de développer des troubles persistants de la Covid-19 sont les femmes actives sans comorbidités dont la médiane d’âge est de 45 ans », ce biais genré pouvant être attribué au manque de repos lors de l’infection, qui est un facteur de risque. « La littérature scientifique semble suggérer que le SPC est davantage répandu chez les personnes ayant contracté plusieurs infections que chez celles n’ayant été malades qu’une seule fois. »

Le ministère de la santé prend enfin au sérieux le Covid long et travaille à l’amélioration de sa prise en charge, ce qui est heureux, mais sans envisager des mesures de prévention. Or depuis le variant Omicron, le nombre d’infections est multiplié d’une part par les propriétés propres du virus mais également par la disparition des mesures de protection, jusque dans les établissements de santé. Avec quelles conséquences sur notre état de santé global ?

Prévention du Covid pour toutes et tous !

Aujourd’hui, en France, « plusieurs centaines de milliers de personnes souffrent actuellement de SPC avec un retentissement au quotidien nécessitant une prise en charge spécifique ». « Les conséquences en termes de décrochage scolaire, perte de productivité, arrêt maladie prolongé, adaptation au travail, perte de travail, démission sont réelles », les « retentissements multiformes sur la vie quotidienne : difficultés financières, familiales, professionnelles, et difficultés d’accès à une protection sociale efficace ». Voilà qui mériterait quelques efforts pour protéger les populations. Masques FFP2 ou FFP3, détecteurs de CO2 associés à une aération régulière via l’ouverture des fenêtres et, surtout, purificateurs d’air, les outils pour « vivre avec le virus » sans se le refiler à tour de bras existent et devraient en toute logique être répandus dans tous les lieux où se concentre la population mais, étonnamment, on constate la présence de purificateurs d’air et de dispositifs virucides plutôt en haut de l’échelle sociale.

Le Covid-19 n’a pas disparu, il impacte toujours notre santé collective et brise toujours des vies. L’absence de mesure de prévention collective exclut de la société des personnes qui doivent se protéger des contaminations à tout prix et reste un risque pour celles qui s’imaginent invulnérables. Si l’État ne mène aucune politique de prévention, nous devons lutter pour les imposer à tous les niveaux, contre les autorités, contre nos patrons, y compris contre nos camarades qui acceptent la stratégie du déni. Nous ne sommes pas dupes de discours comme la fin de la lutte des classes et le ruissellement des fortunes des plus riches sur le petit peuple, au nom de quoi faudrait-il accepter les appels à l’immunité de groupe, le déni de la gravité du Covid et le récit d’une crise sanitaire achevée ?

Ces questions doivent engager le monde du travail et les syndicats. Nous nous mobilisons déjà contre les jours de carence qui empêchent une part significative de personnes infectées de se reposer, dans un contexte où tout arrêt maladie est devenu suspicieux. Nous devons également nous battre pour faire reconnaître le Covid long en affection longue durée et pour le maintien du revenu en cas d’arrêt de plus de trois mois. Enfin, alors que les autorités ont fait le choix de laisser filer la diffusion du virus et de tester sur nos corps une illusoire recherche de l’immunité collective, nos syndicats doivent imposer la prévention et la protection des salarié·es sur le lieu de travail et en premier lieu dans nos locaux syndicaux : information sur le Covid-19 pour lutter contre les idées fausses et mise en place de mesures de protection adaptées. Nous attendons l’exemplarité de nos syndicats sur ces questions pour permettre à chacun·e de participer sans crainte pour sa santé à la vie syndicale. Et, au-delà, nous appelons le camp des luttes à ne pas accepter un traitement de classe de la maladie et de la prévention.

Des syndicalistes

Mots-clefs : syndicalisme | covid

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