A nos ami·e·s blanc·hes

Contribution antiraciste au mouvement social actuel du point de vue de blanc·hes.

Ce texte s’inscrit en soutien à la création du collectif Riposte Antiraciste Populaire et à la suite de leur texte « Du racisme dans le mouvement social et étudiant ».
Nous ne faisons que répéter ce que ces organisations antiracistes ont déjà dit, théorisé et expliqué longuement et depuis des années au sein des mouvements. Nous écrivons ce texte car nous voulons affirmer que, pour les blanc·he·s également, l’antiracisme doit être une des priorités de la lutte. Nous espérons que ce texte puisse être entendu, écouté et débattu au sein de toutes les organisations et milieux blancs.

Sur le racisme de la gauche institutionnelle :

La gauche française se caractérise par son absence de prise en compte de la question raciale [1]. Les exemples sont nombreux et depuis la lettre de démission écrite par Aimé Césaire en 1957 dénonçant le « fraternalisme » du PCF, rien n’a changé. Au sein de la France Insoumise, par exemple, la majorité des député·es ne semblent pas voir les couleurs : quand François Ruffin l’enquêteur fait un hommage, lors de la Journée Internationale du Droit des Femmes, aux femmes membres du personnel d’entretien de l’Assemblée, il omet de dire que ces femmes ne sont pour la plupart pas blanches.

De même, quand Frédéric Lordon et François Ruffin lancent un appel à faire la « fête à Macron » le 5 mai sans même mentionner les luttes antiracistes, les luttes des exilé·es ou la loi Asile et Immigration actuellement portée par LREM et soutenue par le FN, à quoi jouent-ils ? Ont-ils peur du grand remplacement, eux aussi ? Ou font-ils preuve de paternalisme, s’imaginant que les exilé·es et les non-blanc·hes sont incapables de s’organiser politiquement ? Car l’argument de l’ignorance ne fonctionne plus : les organisations antiracistes n’ont jamais cessé de tenter d’éduquer les blanc·hes à l’antiracisme politique. La hiérarchisation des luttes opérée par Lordon et Ruffin n’est pas qu’un enjeu théorique : elle est aussi une question de qui est mis en lumière, et qui est mieux rétribué symboliquement dans sa lutte.

« Nous sommes de celles et ceux qui s’organisent », et pourtant :

Dans nos milieux militants, autonomes ou libertaires, nous sommes les premier·es à critiquer la centralité absolue de la lutte des classes affichée par les centrales syndicales ou les partis : pourtant, nous nous devons de faire notre autocritique face à un antiracisme qui n’est bien souvent que de façade. Lorsque les antiracistes parlent de race, nous répétons trop souvent qu’iels mettent de côté la lutte des classes : en réalité, l’antiracisme politique radical a toujours été acteur de la lutte des classes, et en est même l’un des protagonistes principaux, depuis les luttes de décolonisation jusqu’aux combats actuels de l’immigration et des quartiers populaires.

Face à la multiplication des luttes, nous devons tou·tes faire des choix et, même si personne ne peut être présent·e partout, nos choix reflètent au quotidien l’importance secondaire que nous accordons aux luttes antiracistes.
Le milieu autonome est marqué par une glorification de l’émeute et de la spontanéité, et le cortège de tête semble être une fin plutôt qu’un moyen pour beaucoup : dès lors, nos choix sont dictés par nos affects et par un égoïsme certain car nous favorisons toujours les luttes dans lesquelles nous pouvons avoir le beau rôle, être protagoniste, avoir et prendre la parole considérée comme légitime, obtenir notre dose d’adrénaline.

Or nous nous faisons les allié·es du racisme d’État et d’une hiérarchisation des luttes lorsque nous favorisons systématiquement les mobilisations blanches ou parisiano-centrées, quand nous préférons les manifs des cheminot·es ou les 11h Nation aux rendez-vous antiracistes. Le 13 avril, les militant·es et collectifs autonomes ont préféré appeler à la manifestation cheminote en désertant le rassemblement devant la préfecture de Bobigny qui devait permettre à 150 exilé·es de construire un rapport de force pour l’obtention de papiers, favorisant une fois de plus le grand frisson du cortège de tête au rôle de personnes solidaires de second plan.

Nous nous faisons les allié·es de l’exotisation des luttes antiracistes lorsque nous nous déplaçons en banlieue uniquement pour des mobilisations contre les violences policières : là encore, il s’agit de rassemblement dans lesquels nous attendons l’étincelle et l’émeute et fantasmons un sujet révolutionnaire qui serait le jeune racisé de banlieue. Nous exotisons les luttes antiracistes quand nous nous rendons aux manifestations pour Théo et pas à celle des exilé·es et des collectifs de sans papiers, car ce qui nous intéresse au final c’est le fantasme d’une haine partagée de la police, et que nous ne nous investissons pas dans la charge politique difficile et longue des luttes antiracistes autres.

Nous nous faisons les allié·es du racisme d’État quand nous parlons d’expulsion de la ZAD et des universités, et jamais des expulsions des exilé·es ; quand nous parlons des militant·es incarcéré·es, et pas des Centres de Rétention Administrative ou des milliers de personnes non-blanches de nationalité française qui représentent la majorité de la population carcérale ; quand nos tracts actuels parlent de convergence des luttes avec les cheminot·es ou les postier·es sans évoquer la lutte contre la loi Asile et Immigration. Quand quelqu’un s’exclame, à Tolbiac, que la mort d’Adama Traoré « n’est pas une question raciale mais une question sociale », il ne fait pas que révéler son ignorance de l’existence du racisme d’État : il étouffe (même inconsciemment) toute revendication antiraciste pour lui imposer son analyse de classe qu’il considère comme absolue.

L’invisibilisation des luttes antiracistes dans nos combats ne correspond pas à un manque de temps ou à un défaut d’organisation. Nous sommes capables de nous organiser collectivement  : en à peine 48h, de toute la France, des renforts se sont organisés pour aller secourir la ZAD et la défendre. Nous sommes puissant·es et capables de créer des rapports de force qui entrainent des victoires. Le problème n’est donc effectivement pas un manque d’organisation.

Pourtant, combien des universités parisiennes ayant voté un communiqué de soutien à la ZAD ont voté un communiqué de soutien aux exilé·es de Paris 8 ? Combien d’universités en lutte se sont-elles organisées pour faire ne serait-ce qu’une seule récupération de nourriture, une seule caisse de solidarité, sans que ce soit des exilé·es de Paris 8 et des personnes solidaires qui soient venues intervenir en AG ? Combien de pages de collectifs ont publié un agenda des luttes reprenant la moindre petite manifestation syndicale sans relayer le rassemblement de Bobigny ou les deux dernières manifestations contre la loi Asile et Immigration ?

Il faut se rendre à l’évidence : la convergence des luttes est une convergence blanche, un concept vide de sens qui permet aux blanc·hes de demander aux racisé·es de réduire au silence leurs propres luttes et de les accuser de diviser le mouvement lorsqu’ils critiquent le racisme au sein de la gauche blanche.

La gauche blanche n’est même pas digne d’être une alliée, alors qu’on lui demande d’être une complice.

Sortir de la moralité, passer au politique :

« Assez de l’antiracisme folklorique et bon-enfant dans l’euphorie des jours de fête. »

Le constat est fait : nous sommes absent·es des luttes antiracistes. Nous en revenons à l’éternelle question de la gauche : « que faire ? ».

Pierre Tevanian nous offre une solution pratique, qui « consiste à être autant que possible aux côtés des sans-papiers, des filles voilées exclues de l’école, des émeutiers emprisonnés, de tous ceux qui luttent contre l’impunité policière… – à être en somme partout où des non-blancs se réunissent pour détruire la domination blanche. (...) Elle consiste à être non pas un blanc honteux ou un blanc complexé, comme des adversaires m’accusent de l’être, mais un traître blanc. Il ne s’agit pas de détester sa couleur ou de détester les siens, mais de détester son privilège, et le système social qui le fonde. »

Nous ne devons pas considérer que si des groupes antiracistes se montent, que des collectifs en non-mixité racisée s’organisent, la lutte antiraciste doit être rayée de l’agenda politique blanc.

Il nous faut d’abord investir les luttes antiracistes et être présent·e à leurs appels à rassemblement, manifestation, mobilisation, à offrir notre soutien matériel et politique. Au sein de ces luttes, il nous faut accepter de nous voir renvoyer à notre statut de blanc·he, peiner à trouver notre place, se questionner sans cesse.

Il nous faut aussi et surtout rendre nos luttes réellement antiracistes : inviter systématiquement des collectifs antiracistes à nos conférences, se tenir à disposition pour effectuer le travail de pédagogie antiraciste souvent très coûteux pour les racisé·es, soutenir l’auto-organisation des racisé·es au sein de nos AG, collectifs ou associations, accepter et faire accepter que certaines décisions ne nous appartiennent pas. Il nous faut être le relais permanent de leur parole - sans nous approprier ces luttes et nous projeter au devant de la scène -. Il nous faut parler de Mai 67, qui en 3 jours de révoltes en Guadeloupe a vu plus de revolté·es noir·es tomber sous les balles de la police que mai et juin 68 n’ont vu d’étudiant·es blanc·hes tué·es.

Il nous faut faire un travail constant en interne, dans nos groupes affinitaires, orgas, communautés blanches : pousser la problématique antiraciste, lutter pour l’hégémonie culturelle. En bref : cesser de faire de l’antiracisme un débat pour en faire un préalable obligatoire de toutes nos luttes.

A la suite de la rencontre autour des problématiques racistes dans les mouvements sociaux organisée par Riposte Antiraciste Populaire le 23 avril, nous souhaitons que ce texte contribue à une réflexion collective au sein de la gauche blanche.

Cette discussion n’est pas une simple discussion : c’est une convocation pour les blanc.he.s qui se prétendent antiracistes.

Tâchons d’être acteur·trices de la destruction de la domination blanche.

Tâchons d’être des traitres·ses à notre race.

Signé : quelques blanc·hes.

Notes

[1La « question raciale » n’est pas la question de la « race » au sens biologique. Il est entendu qu’il n’y a pas de races biologiques, la « race » est uniquement et purement une construction sociale, mais qui a des conséquences matérielles.

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