« Ici on meurt comme des mouches » : Témoignage depuis Bergame

Un témoignage d’une habitante de Bergame, en Lombardie, désormais considérée comme épicentre du coronavirus dans le monde, et alors que le pic de contamination semble s’éloigner dans le temps [1]. S’il est proposé ici, c’est que l’on sait que ce qu’il se passe en Italie a un décalage d’une grosse semaine avec ce qu’il se passe en France, pour des mesures semblables et des retards conséquents dans les prises de conscience et de décision. Avoir donc un regard depuis l’intérieur peut peut-être aider à réaliser le caractère sérieux de la situation.

Depuis le ventre de la bête - Considérations énervées sur la gestion du Coronavirus

Je suis de Bergame et je suis malade, probablement du Coronavirus.

Je lis encore des posts dans lesquels sont cités des experts qui cherchent à tranquilliser tout le monde : « 80% de la population sera touchée par le Coronavirus, mais ne nous inquiétons pas trop : pour la grande majorité, ce sera seulement une grippe. La mortalité est basse et concerne principalement les personnes âgées ou présentant des pathologies antérieures ».

Ce 14 mars. Encore ces conneries.

Je ne suis ni scientifique ni statisticienne mais je bous de colère : je suis terrorisée à l’idée qu’en-dehors d’ici, les gens ne comprennent pas ce qu’il se passe. Ici on meurt comme des mouches. C’est assez clair ?

Des dizaines de morts par jour. Des dizaines et des dizaines. Le cimetière de la ville n’arrive pas à gérer tous les corps [2]. Les clochers des villages ne font plus sonner les cloches pour les morts, parce qu’ils devraient le faire sans interruption. Les médecins sont épuisés ou contaminés, et commencent à mourir eux aussi.

Nous sommes tous malades, ou presque. Les trois quarts de mes connaissances sont malades : amis, famille, collègues, et même les médecins traitants des familles.
Nous avons des fièvres très longues et résistantes, très éprouvantes, de fortes douleurs dans certaines parties du corps, des troubles respiratoires, de la toux et des rhumes persistants. Heureusement, pas tout le monde.

Mais cela veut dire qu’on ne peut pas parler de « banale grippe ». Grippe banale mon cul.

Trois semaines de fièvre, fatigue hallucinante, mal à la tête, souffle court, résistance à n’importe quel médicament, le spectre de la thérapie intensive toujours à planer au-dessus de nos têtes comme un corbeau maléfique et, bien sûr, isolement et solitude : ce n’est pas une banale grippe. Et je me sens personnellement très chanceuse.

Les journées se passent en grande partie au téléphone, avec des bulletins médicaux en continu : comment ça va, aujourd’hui un peu mieux, demain un peu pire, comment va papa, tatie, l’ami, l’amie, et toi qu’est-ce que tu as, moi j’ai ça, ah oui plein de gens m’ont dit ça alors tu l’as probablement chopé, ouais je crois bien que je l’ai.

Ici, on est dans l’auto-médication, tout seuls. Quand on a un peu de chance on parvient à avoir quelques indications au téléphone, parce que même nos médecins traitants n’arrivent plus à nous suivre tous.

Les sirènes ne s’arrêtent jamais derrière nos fenêtres, de jour comme de nuit, et même si tu appelles le 112 [NdT : le 15 en France], ils ne peuvent pas te répondre avant un temps indéterminé. Et ils ne t’emmènent à l’hôpital que si tu es déjà dans des conditions graves.

Parce qu’il n’y a pas de place. Parce qu’ils n’arrivent pas à nous soigner. Les tests sont réservés à ceux qui arrivent aux urgences (et aux secrétaires de parti et footballeurs), les autres doivent déduire, imaginer et, dans le doute, s’isoler en quarantaine, ce qui fait que même ceux qui n’ont qu’une « grippe banale » doivent renoncer à la possibilité d’aider ceux qui en ont besoin, leurs parents âgés par exemple.

Effectivement le taux de mortalité de ce virus est faible, oui. Si nous sommes tous malades et qu’il ne meurt « que » des dizaines de personnes par jour, oui, le taux de mortalité est faible. Mais nous sommes tous malades et l’on meurt sans arrêt, continuellement, et en grand nombre.
C’est une tragédie. Grippe banale mon cul.

Mots-clefs : hôpital | Italie | covid

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