Verbatim chronologique des Témoignages sur le Tri validiste-capacitiste et âgiste de patientEs par manque de respirateurs et de lits

Suite à l’ignorance délibérée des nombreuses alertes sur l’élévation du risque pandémique, et la destruction méthodique de l’hôpital public, ayant entraîné de nombreuses fermetures de lits ces 20 dernières années, le gouvernement a poussé les soignants à effectuer un tri parmi celleux qui vivraient, et celleux auxquelles seraient refusés les soins thérapeutiques de réanimation, faute de lits et de respirateurs disponibles.

Des milliers de personnes sont mortes sans la moindre prise en charge médicale thérapeutique et réanimatoire, refusées des hôpitaux et des services de réanimation saturés, en Ephad et à domicile. Ce tri s’est fait, dans la Région Parisienne et le Grand Est notamment, aux mois de mars et avril 2020, sur recommandations de l’Ars Île-de-France, à la demande du gouvernement, sur des bases âgistes, validistes, capacitistes. Recension chronologique des témoignages paru et recueillis depuis le début de l’épidémie en fRance.

56 témoignages ; dernière mise à jour 19 mai 2020

Capture d’écran d’un document de l’hôpital de Perpignan obtenu par Médiapart

Signer la pétition  : https://www.change.org/p/non-au-darwinisme-social-et-au-tri-eugénique-par-manque-de-lits-et-de-respirateurs
Contacter, témoigner, porter plainte, rejoindre et faire connaître aux proches des victimes Coronavictimes.net  : https://coronavictimes.net/contact-coronavictimes/

  • 15 janvier 2020, “le vendredi on trie”, témoignage antérieur à la pandémie et accablant d’Agnès Hartemann, cheffe du service diabétologie de la Pitié-Salpêtrière, sur la rupture d’égalité d’accès aux soins et le tri par manque de lits  ; filmé par C à vous (France 5) lors d’une conférence de presse le 15 janvier

http://youtu.be/o3Av8wldRJc (voir à 3’30 pour le tri par manque de lits) ; Agnès Hartemann est parmi 1200 médecins qui ont choisi de démissionner de leurs responsabilités administratives pour alerter sur le manque criminel de moyens à l’hôpital public.
Liens également antérieurs à la pandémie sur ce témoignage ici et

  • 16 mars 2020, témoignage de Yannick Gottwales, chef des urgences de Colmar, mail cité par Guillaume Krempp pour rue89strasbourg.com [1], hôpital Émile Muller de Mulhouse (Haut-Rhin), hôpital Pasteur de Colmar (Alsace)

« Face à l’épidémie de coronavirus, l’hôpital Émile Muller de Mulhouse n’est pas en capacité d’hospitaliser tous les patients. Un mail du chef des urgences de Colmar indique que des réflexions sont en cours sur « les critères (notamment d’âge) de limitation d’accès à la réanimation. » « Durant ces 15 derniers jours, toutes les mesures que nous avons prises ont été dépassées et donc insuffisantes dans la journée même », peut-on lire dans le mail de Yannick Gottwales. « Nous sommes au bout d’un système, il va falloir faire des choix sur nos critères d’admission, non seulement en réanimation, mais tout simplement dans une structure hospitalière. »

  • 16 mars 2020, témoignage de Yannick Gottwales, chef des urgences de Colmar, et de plusieurs infirmières aux urgences, recueillis par Guillaume Krempp pour rue89strasbourg.com, hôpital Émile Muller de Mulhouse (Haut-Rhin), hôpital Pasteur de Colmar (Alsace)

« Le chef du pôle urgences de l’hôpital Pasteur à Colmar décrit la situation alarmante de la crise sanitaire en Alsace : manque de lits, manque de respirateur en réanimation, personnel épuisé voire contaminé… Yannick Gottwales dresse un constat clair : les urgences de Colmar sont débordées. Pour faire face, il ne reste plus que la discrimination des patients. Des réflexions sont d’ores et déjà en cours pour établir des critères d’admission : « J’ai réuni hier un collège de spécialistes (réa, infectio, med interne, pneumo, gériatre, urgentiste) afin de fixer des indications aux différentes filières, et plus clairement les critères (notamment d’âge) de limitation d’accès à la réanimation. » Plusieurs témoignages d’infirmières aux urgences de Mulhouse confirment cette nécessité. [...] « On se demande si ça vaut le coup d’intuber les personnes âgées, ajoute Bertrand* (le prénom a été modifié), c’est ça qui est dur moralement. Il n’y a plus d’égalité dans l’accès aux soins. »

  • 20 mars 2020, courriel du Conseil de l’Ordre des médecins du Vaucluse, obtenu par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart

« Partout, la perspective de saturation et de priorisation affole. Dans le Vaucluse, par exemple, d’après un courriel que Mediapart a pu se procurer, le Conseil de l’Ordre des médecins faisait le 20 mars ce constat : « Malheureusement, au vu des dernières recommandations, les patients des maisons de retraite et Ehpad, présentant des comorbidités et en détresse respiratoire ne seront bientôt plus admissibles à l’hôpital. Il devra être envisagé pour eux des soins de confort. »

  • 20 mars 2020, témoignage par Caroline Coq-Chodorge, Marine Turchi, Rachida El Azzouzi et Antton Rouget pour Médiapart, cité ici par l’Association CLE-Autistes ; CHU de Perpignan

« Le 21 mars, Mediapart a diffusé un document interne du CHU de Perpignan sur le triage. On y découvre que certaines morts sont considérées acceptables. Parmi elles, celles des personnes âgées ou polypathologisées (grande dépendance, démence…). Un score de fragilité est mis en place qui classe les patients et patientes en s’appuyant sur leur état de santé avant le covid 19. La dépendance dans les actes de la vie quotidienne est un élément majeur de refus en réanimation, tout comme les cas de démence. »

  • 25 mars 2020, courriel du Conseil de l’Ordre des Médecins du Vaucluse du 20 mars 2020, recueilli et cité par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart. Ephad du Vaucluse, hôpital de Carcassonne.

« au vu des dernières recommandations, les patients des maisons de retraite et Ehpad, présentant des comorbidités et en détresse respiratoire ne seront bientôt plus admissibles à l’hôpital » [...] Là encore, le tri est clairement systématique, et non collégial et au cas par cas. Les équipes de ces Ehpad se retrouvent à gérer des décès « sans pouvoir même transférer leurs malades vers l’hôpital de Carcassonne et ses lits de réanimation » Chacun évoque de fait la barrière d’âge. Au-dessus de 80 ans, parfois de 75 ans, les services de réanimation déjà sous tension ou débordés n’acceptent pas ces malades... »

  • 25 mars 2020, témoignage de Ciruela*, dont a grand-mère réside dans un Ehpad du XVIIIe arrondissement de Paris, recueilli par Par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« La grand-mère de Ciruela, 94 ans, réside dans un Ehpad du XVIIIe arrondissement de Paris. Elle souffre de bronchite chronique et de troubles cognitifs. Mardi 24 mars au matin, elle s’est mise à tousser et sa fièvre est montée. « D’après la médecin de l’établissement, le Samu ne se déplacera pour aucun résident, rapporte Ciruela [...] »

  • 25 mars 2020, témoignage de Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), recueilli par Par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« chaque cas doit être examiné individuellement et pas en raison d’un âge ou de l’appartenance à un groupe, sinon c’est de la pure discrimination ».

  • 25 mars 2020, témoignage de Wilfrid Sammut, urgentiste au Samu des Yvelines, recueilli par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« Au Samu des Yvelines, l’urgentiste Wilfrid Sammut est chargé d’évaluer les urgences, et de les répartir entre les services. [...] « On avait déjà du mal à faire admettre les patients âgés, très dépendants, parce qu’ils bloquent les lits de l’hôpital. Mais on les évaluait aux urgences, on leur donnait une chance d’accéder à des soins intensifs. Aujourd’hui, à partir de 85-90 ans, et même plus jeune s’ils sont très dépendants ou malades, on ne les prend plus. Je trouve cela terrifiant. Je ne suis pas Dieu, ce n’est pas à moi de décider qui doit vivre et qui doit mourir. »

  • 25 mars 2020, témoignage de Stéphanie Lévêque, médecin coordonnateur dans trois Ehpad de Haute-Garonne, recueilli par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« Le service de gériatrie de Toulouse dont elle dépend est à l’écoute mais l’a prévenue : seuls les deux premiers cas de Covid-19 dans ces Ehpad seront hospitalisés. « Je vais donc regarder des patients mourir et c’est insupportable. On ne pourra pas sauver tous ceux qui sont atteints et on ne pourra pas non plus correctement les soulager. »

  • 25 mars 2020, témoignage de Carine*, infirmière dans un Ehpad des Hauts-de-Seine, recueilli par François Bonnet, Caroline Coq-Chodorge et Mathilde Goanec pour Mediapart.

« Carine*, infirmière, s’est portée volontaire pour intervenir dans la petite unité montée à la hâte afin d’accueillir les patients Covid de son Ehpad des Hauts-de-Seine. [...] Là encore, Carine témoigne des consignes, transmises à l’issue d’une discussion collégiale récente menée entre sa direction et le réseau médical du secteur : pas de transferts possibles des résidents Covid vers les services hospitaliers. Enfin, aucune visite des familles, même si le décès approche. »

  • 26 mars 2020, témoignages d’une équipe de médecins allemands de l’institut DIKFM qui se sont rendus à l’hôpital de Strasbourg, dont le rapport est repris dans la presse allemande (Frankfürter Allgemeine Zeitung, le Tagesspiegel, Die Welt), et de Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, recueillis par Audrey Fisné pour Courrier International. Haut-Rhin, Alsace.

« Toute personne de plus de 75 ans n’est plus intubée, titre la Frankfürter Allgemeine Zeitung, ou le Tagesspiegel. Die Welt souligne « qu’on aide désormais plus les patients les plus âgés qu’à mourir”. Le Tagesspiegel rapporte ainsi que “les personnes de plus de 80 ans n’y sont plus ventilées”, mais placées en soins intensifs et sous somnifères. “Le triage – la sélection des patients ayant de meilleures chances de survie – est depuis quelque temps à l’ordre du jour en Alsace”, déplore Die Welt, qui a interrogé Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin, qui reconnaît ainsi que « les patients de plus de 80 ans, de plus de 75, certains jours même de plus de 70 ans ne peuvent plus être intubés car nous manquons tout simplement de respirateurs ».

  • 27 mars 2020, témoignage de Jean-François Corty, médecin et directeur des opérations France à Médecins du Monde, recueilli par Pierre Tremblay pour le Hufftington Post. Paris, Île-de-France, cliniques et hôpitaux de Paris.

« Depuis une semaine (soit autour du 20 mars), on ne peut plus transférer vers les urgences de Paris et les services de réanimation des patients âgés qui seraient confirmés au coronavirus. [...] aujourd’hui, ce qui est faisable en temps normal, c’est-à-dire les référer en réanimation pour les sauver, ne peut pas être fait parce que les lits de réanimation sont préservés pour les patients plus jeunes avec plus de chances de survie.[...] En Île-de-France, depuis une semaine, on est dans cette logique de tri, nécessaire au regard des infrastructures et de la capacité d’absorption des cas graves, que ce soit dans les cliniques ou hôpitaux de Paris... »

  • 4 avril 2020, témoignage de Jérôme Aboab, chef du service de réanimation au Centre Hospitalier Delafontaine, Seine-Saint-Denis, recueilli par Faustine Vincent pour Le Monde

« Face à l’arrivée massive et conti­nue des malades, les critères de gravité ont été revus à la baisse. « Les capacités sont si limitées et l’épidémie si imprévisible qu’on laisse des personnes dans les éta­ges alors qu’il y a trois semaines, avec les mêmes critères, on les aurait envoyées en réa », recon­naît Jérôme Aboab ».

  • 4 avril 2020, témoignage d’un “médecin du Grand Est ayant requis l’anonymat”, recueilli par franceinfo avec AFP

« Un médecin du Grand Est, qui a requis l’anonymat, avait indiqué de son côté avoir été choqué par l’e-mail d’un hôpital de proximité qui jugeait « nécessaire d’adopter une stratégie de prise en charge proportionnée », pour « maximiser les chances de survie des résidents pouvant potentiellement passer un cap », et « accompagner » (sans hospitaliser) « celles ou ceux qui malheureusement ne le passeront pas *

 ».
On notera le caractère systématique de ces menaces, bien loin d’un avis circonstancié et collégial au cas par cas. [2]

« Les associations reçoivent quotidiennement des alertes du Grand Est, de Bourgogne Franche Comté, de l’Oise et d’Île de France. Des personnes handicapées atteintes par le covid19 ne seraient pas admises en soins intensifs ou en réanimation. Les critères médicaux de vulnérabilité au Covid19 au lieu de déboucher sur une attention et des soins renforcés, servent à l’inverse de critères d’exclusion des soins »

  • 6 avril 2020, témoignage de Jean-François Corty, médecin et directeur des opérations France à Médecins du Monde, recueilli par Rachida El Azzouzi pour Mediapart, clinique parisienne, services de réanimations de Paris saturés, ephad parisiens.

« Depuis quinze jours, il est de plus en plus dur de transférer des patients en réanimation à Paris. De fait, nous sommes amenés à faire dans une proportion anormale du soin palliatif, car nous n’avons pas de service de réanimation. […] J’entendais le directeur de la santé Jérôme Salomon balayer d’un revers de main le tri des patients. Son analyse ne fait pas écho à ma réalité de terrain. Que ce soit en clinique où j’exerce ou dans les Ehpad, on est obligés de faire du palliatif de manière importante. C’est simple. Pour les cas graves, c’est soit la réanimation, soit le soin palliatif, car on pense que vous avez peu de chances de survivre, chance qu’on vous aurait octroyé dans un autre contexte sanitaire. Cela s’appelle bien du TRI, de la médecine de catastrophe. »

  • 6 avril 2020, tract des soignants de la CGT HAD (Hospitalisation à domicile) de l’AP-HP (Paris), siégeant à l’hôpital de la Salpêtrière (lisible ici)

« La seule issue pour les personnes âgées en Ephad atteintes du coronavirus, la mort : inacceptable !!! Le décret du 28 mars autorise la prescription libre pour 15 jours de Rivotril (sédatif puissant) pour des patients Covid19 positifs symptomatiques. [...] Les soignants de l’HAD découvrent des situations dramatiques où certains patients des Ephad sont marbrés et en insuffisance respiratoire depuis plusieurs jours sans oxygène. Dans un premier temps le personnel soignant de l’HAD avait reçu consigne d’administrer selon un protocole unique à ces patients âgés un traitement composé de morphine et d’hypnovel pour 48h qui a fait polémique (euthanasie ?). Cela a posé un problème éthique pour les personnels. [...] La vérité : les résidents des Ephad n’ont aucune chance d’être transférés pour bénéficier de soins adaptés à l’hôpital dès qu’ils tombent malades. Les lits de réanimation en nombre insuffisant ne leur sont pas destinés. [...] Des milliers de morts sont à venir encore dans les Ephad, parce qu’ils n’ont pas été protégés du virus, et que l’hospitalisation en réanimation n’est même pas envisagée pour eux. Jusqu’où allons nous aller dans cette barbarie ? [...] Il faut que les patients infectés soient hospitalisés, et pour cela il faut : la réouverture de lits, en particulier en gérontologie, des tests et des moyens de protection [...] maintenant ! »

  • 7 avril 2020, témoignage du socialiste Emmanuel Grégoire, adjoint au maire à Paris dans une interview à bfmtv

Il explique que la pénurie (organisée, ndlr) de lits et de respirateurs s’est traduite par des refus non seulement de réanimation mais même d’hospitalisation, de résidents d’Ephad atteints du Covid-19 :

« Il est arrivé que nous soyons confrontés à des appels qui ne puissent pas être pris en charge et donc qui ont conduit à la mort en établissement d’un certain nombre de résidents atteints du Covid-19 […] Le SAMU dit « je ne viens pas », « je ne peux pas », et les patients restent dans la chambre ». Et d’ajouter : « On a toujours su que la difficulté de cette épidémie, c’est la saturation des lits de réanimation »

  • 8 avril 2020, témoignage de Michel Parigot, mathématicien au Cnrs, recueilli par Nathalie Doménégo, pour France Bleu Paris

« 

Vous avez aujourd’hui des personnes avec une espérance de vie longue, qui avaient des chances de s’en tirer, et qui ne seront pas soignées faute de moyens. Il y a aussi des personnes laissées à domicile, des personnes qui vont mourir à domicile et ne sont même pas comptées dans les statistiques. Il y a aussi les résidents des ehpads qui sont victimes d’un tri structurel. Ils n’ont pas accès aux services de réanimation. [...] Le problème est né de l’inaction de l’État en matière de prévention et d’adaptation du système hospitalier ; on demande au gouvernement d’assumer ces choix au lieu de se défausser sur les médecins ».

  • 10 avril 2020, témoignage du sénateur Philippe Mouiller, et d’un un médecin intervenant dans les établissements pour personnes handicapées dans le Grand Est, lors de l’audition de Sophie Cluzel par la commission des affaires sociales du Sénat

" Lors de l’audition le sénateur Philippe Mouiller a fait part de l’inquiétude de nombreuses associations à l’idée que les personnes handicapées puissent se voir, du fait de leur handicap, refuser des soins hospitaliers si elles contractaient le Covid-19. « Nous avons quelques remontées du terrain » a confirmé le sénateur. La tendance à faire du handicap l’un des critères de « tri » des malades a été confirmée à l’AFP cette semaine par un médecin intervenant dans les établissements pour personnes handicapées dans le Grand Est. "

  • 10 avril 2020, témoignage d’une délégation Cgt sollicitée par des personnels de l’Ephad de Bonvoisin auprès de la direction de l’hôpital de Dieppe, recueillie par Bruno Ricque pour Informations Ouvrières n°601

« Précisons pour le lecteur qu’un Ephad est très rarement médicalisé : pas de présence médicale, peu d’infirmières, peu d’équipement, pas d’oxygène et pas de radiologie... [...] Le 10 avril, après une pétition signée par le personnel de l’Ephad de Bonvoisin [...] une délégation CGT était reçue par la direction de l’hôpital de Dieppe. [...] CGT [qui demande l’hospitalisation des résidents covid+ de l’Ephad] “Nous avons les lits disponibles pour cela. Il faut le faire si ça peut sauver des vies”. La direction : “même si nous voulions le faire, les résidents ne seraient finalement pas hospitalisés, en raison du protocole d’admission instauré aux urgences de l’hôpital, qui s’opposerait à leur admission à l’hôpital”. C’est bien le protocole dicté par le ministère de la santé, avec sa fiche du 31 mars 2020 qui, en interdisant leur entrée à l’hôpital, en contraignant les médecins, met en grand danger les résidents, voire les condamne. »

  • 12 avril 2020, témoignage de Jean-François Corty, médecin et directeur des opérations France à Médecins du Monde, recueilli par Éric Delvaux pour France inter. Grand Est ; hôpitaux, cliniques et Ephad de Paris.

« [...] C’est vrai qu’il a été difficile depuis un mois [soit environ 12 mars - 12 avril, ndlr] de pouvoir transférer des patients lorsque l’état s’aggravait, en réanimation par exemple. Pour donner un chiffre, par an en moyenne on a 5 décès dans cette structure, là c’est environ 2 à 3 décès par semaine. Donc il y a vraiment un problème. [...] Il y a une forme de tri qui est opérée, et certains patients âgés ne peuvent pas aller en réanimation, on estime qu’on ne peut pas leur donner la même chance qu’en temps sanitaire normal, et donc la situation est tendue. [Le tri] se fait aussi en fonction des capacités d’accueil des services de réanimation, on l’a vu dans le Grand Est, on l’a vu et on le voit encore en ce moment à Paris, ça reste tendu en matière de capacités d’accueil, et donc on est amenés à gérer des soins palliatifs dans des proportions anormales, que ce soit aujourd’hui en Ephad, que ce soit en clinique ou en médecine de ville »

« Je suis une soignante, je refuse de collaborer à vos décisions, si vous aviez écouté vos »héros" comme vous le dites aujourd’hui, nous n’aurions pas besoin de Rivotril mais nous pourrions donner de l’oxygène à nos aînés, nous aurions suffisamment de masques FFP2 pour que leurs proches soient avec eux... Comment est-ce possible de ne pas donner de l’oxygène à une personne qui s’asphyxie ?... C’est ce que l’on me demande de faire normalement... Il y a quelques mois en arrière, on n’injectait pas du Rivotril à un résident en détresse respiratoire... on lui donnait de l’oxygène, on l’envoyait aux urgences »

  • 15 avril 2020, Témoignage de S.*, infirmière en EHPAD dans le 94, recueilli par Ernest Everhard pour Révolution Permanente. Ephad Val de Marne

« ... C’est déjà archi tard de s’être réveillé, sachant que les personnes âgées en EHPAD, ils le sont à cause de nous le personnel soignant. Ils sont isolés dans leurs chambres depuis le début de la crise et que les seules personnes qu’ils voient c’est le personnel soignant. Nous, on n’est pas testé. Et même si je savais que j’étais positive, je n’ai même pas les moyens de les protéger, c’est déjà trop tard. Le manque de matériel est criant alors que c’est la base de l’hygiène pour protéger les patients, en fournir massivement seul aurait pu sauver des vies ». […] A cela s’ajoute le
sentiment d’avoir tué leurs propres résidents car « ils auraient encore pu vivre de belles années, nous les EHPAD on a été abandonnés. Comme c’était des personnes âgées, ils ont décidé qu’on ne les prendrait pas à l’hôpital ».

  • 15 avril 2020, témoignage de Léa*, infirmière en Ehpad qui héberge une centaine de résidents en Alsace, recueilli par Cécile Poure pour France 3 Grand Est.

« Dans le Grand Est, selon l’Agence régionale de santé (ARS), au 15 avril, 1.500 résidents d’Ehpad et autres établissements médicaux-sociaux sont décédés du coronavirus depuis le début de l’épidémie. 335 à l’hôpital, 1.160 dans leur chambre. Une hécatombe. [...] Elle me raconte le huis clos dans les chambres de 10 m², la souffrance des gens qui y meurent sans respirateur, sans rien, sans personne, le son de la visseuse des pompes funèbres qui scelle les cercueils, et les voisins de chambre, valides, qui entendent à défaut de voir. Qui pleurent en attendant leur tour. [...] Le 16 mars, le premier cas de covid19 est décelé. Officiellement. "Nous n’avons eu pour nos 100 résidents que deux tests. Directives de l’ARS." [...] Second et dernier test trois jours plus tard sur une dame "inhabituellement fatiguée." Elle est positive. Elle meurt dans les quatre jours. Au total, en trois semaines, neuf résidents auraient succombé au virus. Auraient. Personne ne le saura jamais. Du 16 mars au 3 avril, le Samu ne se déplacera que deux fois. "À partir du 3 avril, avec l’accalmie aux urgences, ils ont pu venir plus souvent." La première intervention est vite expédiée. "On me dit, oh, c’est une fin de vie en Ehpad. On vous le laisse. On n’y peut rien." Le résident mettra une semaine à mourir. "Nous, tout ce qu’on peut faire, c’est leur tenir la main, les oxygéner un peu. C’est tout. C’est une fin de vie atroce, ils meurent asphyxiés, étouffés. Les doigts, le torse, les jambes, bleus du manque d’oxygène. Recroquevillés de douleur en position fœtale. C’est comme ça qu’ils meurent. C’est ça le souvenir qu’on gardera d’eux." [...] Pour la deuxième intervention, une détresse respiratoire sévère, le Samu a mis en place... un accompagnement médicamenteux pour abréger les souffrances. Voilà." [...] Car il y a aussi tous les autres. Ceux pour qui le Samu ne s’est pas déplacé. Ceux qui ont souffert avant de mourir. Léa m’explique que, devant cette situation aussi inhumaine qu’injustifiable, les autorités sanitaires ont mis en place il y a dix jours à peine, dans les Ehpad du Grand Est, un nouveau protocole (décret sur le Ritrovil). En option. Pas pour sauver non. Pour aider à mourir. "On leur met une perfusion, c’est une sédation profonde. Ils mettent 2 heures à mourir, au lieu de 72. Pour nous c’est très dur de faire ça. Donner la main et regarder les gens partir, c’est pas notre rôle de soignant. On les aide à mourir et non plus à vivre." Pas besoin de l’accord de la famille. "C’est le médecin qui décide, c’est comme ça." Les familles seront averties plus tard. Trop tard. [...] "Vous savez, il y a une infirmière de garde pour cent résidents. On doit s’occuper des patients covid et des soins quotidiens liés à l’âge". [...] J’ai peur pour mes papis et mamies, de les voir mourir de manière si violente. Sans aucune chance. Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu. Je suis marquée à vie. [...] si l’hôpital public avait eu plus de moyens, plus de lits de réanimation alors les personnes âgées en Ehpad, certaines du moins, auraient pu être sauvées. Là, on les laisse mourir. »

  • 16 avril 2020, témoignage de Éric Tricot, infirmier-anesthésiste, syndiqué Sud Santé, à l’Hôpital Mondor à Créteil, recueilli par Nora Pardi pour Révolution Permanente

« En fait, on est là face aux conséquences d’une politique de santé plus que délétère, pour ne pas dire désastreuse, pour l’hôpital public. [...] En vingt ans, le nombre de lits n’a cessé de diminuer : on a perdu 200 000 lits. Une interrogation demeure : combien de lits de réanimation ont été supprimés  ? Je pense que le nombre est important car trop de services de réanimation ont été transformés, avec le virage ambulatoire, et la tarification à l’acte, (T2A). La loi du marché a dirigé l’hôpital, il fallait aller plus vite et changer de modèle. »

  • 16 avril 2020, Témoignages de personnes handies, recueillis par Odile Maurin, handicitoyenne solidaire et combative, pour Handi-Social

« Le triage s’effectue aussi à domicile avec le retrait de traitements ou d’appareillages de certains patients et certaines patientes pour que leur matériel puisse servir pour la réanimation liée au Covid. Ainsi, des témoignages montrent que des bouteilles d’oxygène sont retirées à des personnes ayant des algies vasculaires de la face pour être réquisitionnées dans la lutte contre la pandémie. Au niveau politique ce triage est nié. »

  • 18 avril 2020, témoignage d’une infirmière d’un grand hôpital de la région parisienne, recueilli par Christel Ridoux et publié sur son blog

« L’infirmière de nuit me fait les transmissions à propos de Mr G. « Patient de 71 ans, antécédents de SEP (sclérose en plaque), suspicion COVID, non réanimatoire. Il a 15L d’oxygène au masque à haute concentration (la plus haute aide pour respirer « standard »), mais il sature au maximum à 90% (taux d’oxygène dans le sang) ». Patient de 71 ans, qui n’est pas admis en réanimation, qui ne le nécessite pas ?! Pourquoi ?! A cause de la SEP ?! Mais 2 semaines auparavant, il travaillait ! Il était directeur d’hôtel ! Alors pourquoi ? »

  • 22 avril 2020, tableau de bord de l’AP-HP obtenu par H.L pour le Canard Enchaîné. Paris, Grand Est, Haut Rhin

« Un tableau de bord de l’Assistance Publique de Paris nourrit les soupçons. Le 21 mars - juste après la sortie de la circulaire - 19% des patients placés en réanimation étaient âgés de plus de 75 ans. Le 5 avril, au plus fort de l’épidémie, ils n’étaient plus que 7% ! Pour les plus de 80 ans, l’évolution est plus frappante encore : en quinze jours le taux est passé de 9 à 2% ! Dans le même temps, l’épidémie a explosé dans ces tranches d’âge élevées : les octogénaires représentent plus de la moitié du total des décès. Même constat dans le Grand Est : la proportion de personnes âgées mises en réa est bien plus faible dans le Haut-Rhin, l’un des départements les plus touchés, où les places en hôpital étaient rares, que dans les Ardennes où les services d’urgence n’ont pas été débordés. »

  • 23 avril 2020, transcription de l’intervention de Mathilde Fuchs pour la Coordination Handicap et Autonomie (CHA) - Vie Autonome France, lors de la réunion du Conseil de la CNSA (Caisse Nationale Solidarité Autonomie) à distance.

« On parle quand du génocide eugéniste ? Mes mots sont pesés. [...] Je vais donc expliciter mes propos, vous vous y attendez probablement, il va y avoir des procès car il y a eu, et il y a encore, du tri effectué parmi les personnes malades présentant les symptômes du Covid19, c’est-à-dire qu’il y a des personnes que l’on a décidé de ne pas soigner, c’est en cela que je parle d’eugénisme. En institution, et l’on a mis beaucoup de temps à obtenir des chiffres, l’on se rend compte de l’énormité du pourcentage de personnes décédées en EHPAD. Ce sont des gens qui allaient très mal et qui, sciemment, n’ont pas été envoyées à l’hôpital. Pareil à domicile, et là nous n’avons pas de chiffres, mais l’on a su et l’on sait qu’il y a des consignes pour les soignants, le SAMU, les médecins traitants, indiquant de ne pas envoyer des personnes comme moi, comme des personnes âgées, comme des personnes handicapées avec déficience intellectuelle, etc. à l’hôpital, parce que soi-disant nos vies valent moins. [...] »

  • 25 avril 2020, témoignage de Tassilo Hummel pour Die Zeit sur la base de documents révélés par le Canard Enchaîné. AP-HP, Alsace.

    « Mercredi, les journalistes d’investigation ont cité le journal Le Canard enchaîné, selon lequel le ministère de la santé avait publié un règlement administratif interne pour les établissements médicaux le 19 mars. Il stipule que les médecins sont tenus de réduire de manière drastique l’accès des patients fragiles aux unités de soins intensifs. Les statistiques de l’administration hospitalière de Paris, disponibles sur ZEIT ONLINE, montrent que la structure d’âge des patients dans les unités de soins intensifs a en fait sensiblement changé dans les jours qui ont suivi la promulgation du règlement. Alors que le 21 mars, environ 20 % des patients en soins intensifs avaient encore plus de 75 ans, deux semaines plus tard, la proportion n’était plus que de 7 %. Le Canard enchaîné soutient également que dans les régions particulièrement touchées par la couronne, comme l’Alsace, la proportion de personnes âgées hospitalisées est plus faible que dans les régions moins touchées et que, maintenant que la vague de maladie s’atténue lentement, davantage de personnes âgées reçoivent un traitement médical intensif. »

  • 25 avril 2020, témoignage de Michel Parigot, mathématicien au Cnrs, recueilli par Tassilo Hummel pour Die Zeit.

« Les patients âgés ont-ils été systématiquement désavantagés en France pendant la phase de pointe de l’onde corona ? Des histoires comme celles des Weissers, mais aussi beaucoup d’autres, le montrent. [...] "Ils ont fait en sorte que les personnes des maisons de retraite ne viennent plus dans les hôpitaux", explique Michel Parigot. [...] Avec d’autres militants anti-amiante, il a fondé l’alliance "Coronavictimes", les victimes de Corona. Depuis des semaines, Parigot accuse les responsables en France de discriminer systématiquement les personnes âgées dans la crise de Corona. »

  • 25 avril 2020, témoignage de Gabriel Weisser, de Blodelsheim en Alsace, dont la mère est morte du Covid19, recueilli par Tassilo Hummel pour Die Zeit.

« Le matin du 15 avril, Gabriel Weisser a reçu un appel téléphonique. Un médecin lui a dit que sa mère avait contracté le coronavirus. "Il a dit qu’il avait été avec elle dans la maison de retraite vers 5h30 du matin", a déclaré M. Weisser, qui vit à Blodelsheim en Alsace. Elle avait de la fièvre et toussait. "La seule mesure qu’il lui a prescrite est un médicament palliatif. Donc, en réalité, il ne l’a pas du tout traitée. Elle a été condamnée à mort. "Ils auraient pu au moins essayer", insiste Weisser. "Qu’ils fassent cela aux personnes âgées, dans un grand pays comme la France, le pays des droits de l’homme, c’est terrible. »

  • 26 avril 2020, témoignage d’une aide soignante de la maison d’accueil spécialisée de l’association Marie-Pire, à Riespach (Alsace), recueilli par Florence Aubenas, Grand Reporter au Monde.

« Un vendredi soir, Alain, 58 ans, se met à suffoquer. L’aide-soignante se souvient d’avoir appelé le SAMU : « Venez vite, il va me mourir dans les bras ! » L’opérateur évoque la surcharge. Deux jours plus tard, Alain expire dans sa chambre. »

  • 26 avril 2020, extraits du cahiers des transmissions internes de la maison d’accueil spécialisée de l’association Marie-Pire, à Riespach (Alsace), recueilli par Florence Aubenas, Grand Reporter au Monde.

« Le cahier des transmissions internes raconte la nuit du 25 mars. A 20 h 30, le SAMU est alerté pour Marie-France, à 21 h 15 pour Bruno, à 1 h 30 pour Gilbert, à 2 h 45 pour Françoise.A 3 heures, c’est le SAMU qui rappelle lui-même : « Arrêtez de téléphoner, on est saturé. »

  • 26 avril 2020, témoignage de Pierrick Buchon, directeur de la maison d’accueil spécialisée de l’association Marie-Pire, à Riespach (Alsace), recueilli par Florence Aubenas, Grand Reporter au Monde.

« Le lendemain, Pierrick Buchon sollicite l’Agence régionale de santé (ARS). La conversation dure dix-huit minutes. « Ils me le font comprendre très clairement : les personnes handicapées ne seront pas prises en charge. Vous vous les gardez. On vous aidera à mettre en place un accompagnement de fin de vie et une cellule psychologique pour le personnel. »

  • 28 avril 2020, interview télévisée de Florence Aubenas, Grand Reporter au Monde, par Mouloud Achour pour Canal+. Haut-Rhin, Alsace, maison d’accueil spécialisée de Riespach (Alsace).

« On privilégie la norme ». Écouter à partir de 3’30

  • 28 avril 2020, témoignage de Pierrick Buchon, directeur de la maison d’accueil spécialisée de Riespach (Alsace) dont 4 résidents sont décédés en moins de deux semaines « faute de soins », et directeur général de l’association Marie Pire, qui prend en charge 330 personnes en situation de handicap moteur et mental à Altkirch et Riespach, recueilli par Anne Ducellier pour L’Alsace.

« Quand le ministre de la Santé affirme qu’il n’y a pas de tri entre les malades dans les hôpitaux, je réponds : ‘‘C’est faux !’’ [...] On a appelé le Samu à plusieurs reprises. On nous a répondu : ‘‘Vous les gardez, on n’a pas de place…’’ Deux résidents sont décédés dans leur chambre ». [...] Contrairement aux ministres, une interlocutrice de l’Agence régionale de Santé (ARS) n’a pas pratiqué la langue de bois… « Elle m’a clairement dit que les personnes âgées en Ehpad et les personnes handicapées ne seraient pas prises en charge. Il fallait qu’on les garde chez nous, qu’elles décèdent dans notre structure. Un médecin devait nous donner le protocole à suivre avec la mise en place d’un accompagnement de fin de vie, de soins palliatifs et d’une cellule psychologique pour le personnel. »

  • 28 avril 2020, témoignage de Bernadette, aide médico-psychologique de la maison d’accueil spécialisée de Riespach (Alsace) et de ses collègues Caroline et Lætitia, recueilli par Anne Ducellier pour L’Alsace.

« Le premier, Alain, 51 ans, a rendu son dernier souffle le dimanche 22 mars. Bernadette, aide médico-psychologique, l’a vu agoniser pendant trois jours. « Le vendredi, il allait très mal. On a appelé le Samu, mais comme les hôpitaux étaient saturés, on nous a dit qu’il n’y avait rien à faire. La seule prescription qu’on a eue, c’était d’augmenter l’oxygène. » Le samedi, la santé d’Alain se détériore. Et le dimanche, « je l’ai trouvé dans un état grave. Très encombré, il luttait pour respirer », confie Bernadette. « Il n’avait rien bu, rien mangé depuis le vendredi. Alors j’ai sollicité le chef d’astreinte pour lui faire au moins une perfusion, l’hydrater ou même le sédater. » En vain. « Rien n’a été prescrit pour soulager ses souffrances », relève Caroline, collègue de Bernadette. [...] « Il y a un sentiment d’injustice, un manque de considération. On a l’impression que les handicapés sont des personnes de deuxième catégorie », témoigne Lætitia. »

  • 29 avril 2020, témoignage de Anissa*, aide-soignante à l’Ehpad Emile Gérard à Livry-Gargan dans le 93, recueilli par Cécile Manchette pour Révolution Permanente.

« Le gouvernement a laissé les Ehpad sur le côté. On devait être un des premiers maillons étant donné que les personnes âgées sont les plus vulnérables mais en réalité on a été le dernier maillon de la chaîne. [...] On n’a pas eu de masques chirurgicaux avant le 17 mars, et les masques FFP2 ce sont juste pour les soignants qui sont dans le service dédié au CoVid. Cette unité CoVid qu’ils ont ouvert le 27 mars avec de l’oxygène, des perfusions mais pas de respirateurs, et où il y a seulement 13 lits. [...] ça [refus d’hospitalisation] nous est arrivé pour deux ou trois résidents, les infirmières disent que le Samu n’a pas voulu se déplacer. Quand un résident est en détresse respiratoire, on ne peut pas gérer parce qu’on a peu de matériel, on ne peut pas prodiguer les mêmes soins. Les infirmières ont appelé le Samu et on leur a dit qu’ils ne se déplaçaient pas pour des personnes âgées de plus de 90 ans. Ils ont refusé de prendre nos résidents en service de réanimation. Tout ça est basé sur des coups de fils entre les infirmières, le Samu et les hôpitaux. »

  • 30 avril 2020, témoignage de Corinne B., directrice d’un pôle médico-social pour personnes handicapées en région parisienne, hospitalisée du Covid19 en réanimation à l’hôpital Lariboisière de Paris, recueilli par l’Afp et repris par Inès Rossi pour Révolution Permanente.

« Des fois, ça prenait une nuit entière au téléphone, pour avoir le 15, pendant que les gens, dans leurs chambres, étaient en train de mourir. C’était dur de leur dire au revoir sans les accompagner. »

  • 2 mai 2020, témoignage d’Angela*, infirmière dans une unité covid19 à l’Hôpital Avicenne AP-HP Bobigny, durant le mois d’avril, à propos du témoignage du Canard Enchaîné du 29 Avril 2020, recueilli par le groupe “Covid-19, Non au darwinisme social !” sur le canal Telegram du mouvement des soignants Bas les Masques. Hôpital public d’Île-de-France, hôpital Avicenne AP-HP Bobigny

« Témoignage du Canard Enchaîné : « Dans un hôpital public d’Île-de-France – des documents en possession du « Canard » en attestent – aucun patient de plus de 70 ans n’a été admis en réa durant les 6 jours les plus critiques de la crise. »
Témoignage d’Angela* : "C’était ça dans l’unité covid où je bossais à l’hôpital Avicennes AP-HP Bobigny, [93]. Tous les patients de +70ans notés "ntbr" [Not To Be Reanimated], les 3 premières semaines d’avril [...] On a aussi perdu un patient de 53 ans qu’on n’a pas pu envoyer en réa parce que cancer du pancréas réfractaire aux ttt (chimio inefficace). Sans ce contexte, il aurait eu cette possibilité, car il avait un abcès du foie. Ç’aurait pu l’aider à passer cette phase. Sans certitude qu’il s’en sorte. Et aujourd’hui je bosse en gastro**, hors covid officiellement. Du coup on est en sous effectif classique ( 1 infirmière pour 15 patients), comme hors covid, on n’a qu’un masque chirurgical en protection. Pas de surblouse, pas de charlotte, pas de ffp2. Patients diabétiques non testés au covid...

 »
* le nom a été changé
** le service a été changé

  • 2 mai 2020, témoignage télévisé du Professeur Bruno Megarbane, chef du service de réanimation, hôpital Lariboisière, 10ᵉ arrondissement de Paris, recueilli par Tomas Lequertier pour Cnews Journal de 7h30.

à 19’30 : « Alors, aujourd’hui disposant d’un nombre de lits vacants plus important, nous sommes capable d’accepter des patients un peu moins graves en réanimation [...] ; il y a un mois, ces patients ne pouvaient être admis en réanimation faute de place, et étaient pris en charge dans les services de médecine. [...] »

  • 9 mai 2020, témoignage de Caroline Wodli, aide-soignante à la MAS (maison d’accueil spécialisée) du Mont des Oiseaux à Wissembourg (Bas-Rhin) qui héberge 40 adultes handicapés congénitaux, recueilli par Cécile Poure pour France 3 Grand Est.

« Le directeur a dû harceler le Samu pour qu’il vienne chercher une de nos résidentes qui avait 40 degrés de fièvre et présentait des symptômes du covid. Le Samu ne voulait pas venir. Et ensuite pas la garder. Le directeur a insisté pour qu’elle soit testée là-bas avant de revenir. Elle était positive. C’est une collègue qui s’est dévouée pour aller la chercher avec un véhicule de chez nous, avec une surblouse en plastique et pas de lunettes. Nous l’avons mise trois semaines en quarantaine à l’accueil de jour transformé en unité covid. Aux urgences ils n’en voulaient pas car, selon eux, elle n’était pas hospitalisable. Les handicapés ne sont pas hospitalisables voilà ce qu’on nous dit." La résidente non hospitalisable est âgée de 10 ans. »

  • 11 mai 2020, Entretien téléphonique réalisé ce 18 avril avec Isabelle*, déléguée syndicale CGT au CHU de Lille, recueilli par audioblog.arteradio.com

Manque de respirateurs et tri des patients dans le Grand Est : écouter des minutes 19’ à 21’

  • 13 mai 2020, témoignage de Virginie*, soignante pour les Ehpad du Val de Marne, recueilli par Les Pieds sur terre de Sonia Kronlund pour France Culture.

« Nous sommes démunis. Entre le 11 et le 27 mars, le gouvernement se rend compte qu’il y a une surmortalité parmi les personnes âgées. Et il ne fait rien, hormis sortir un décret le 28, donnant le droit de sédater les résidents. Faire en sorte qu’ils ne souffrent pas, légitime le fait de ne rien faire pour les sauver...Il n’y a pas un hôpital qui ne trie pas les patients. Ils appellent ça "la perte de chance". Dans cette société, il n’y a pas de place pour les vieux. Si notre pays se souciait des personnes en fin de vie, les Ehpad ne seraient pas en manque de moyens depuis des années. »

  • 13 mai 2020, témoignage de Eric Lacoudre, directeur d’un Ehpad en Haute-Savoie, recueilli par Les Pieds sur terre de Sonia Kronlund pour France Culture. Ehpad en Haute-Savoie.

    « Le 2 mars, l’établissement est fermé et les soignants se mettent à porter des masques. “ Quand on a compris le 9 mars qu’une personne était atteinte du Covid, elle avait déjà contaminé en amont, pendant des jours, d’autres résidents. Au début lorsque nous appelions les urgences, ils venaient prendre les résidents. Puis, lorsque l’épidémie s’est répandue, ils ne sont plus venus les chercher. Seulement cinq personnes sont mortes à l’hôpital, et nous en avons perdu treize sur place. »

  • 13 mai 2020, témoignage de Gabriel Weisser habitante du Haut-Rhin, dont la mère a été contaminée par le Coivd-19 en Ehpad, recueilli par Les Pieds sur terre de Sonia Kronlund pour France Culture.

« J’ai demandé aux médecins ce qu’il y aurait comme soins. Ils m’ont répondu qu’il n’y aurait que des soins palliatifs, seulement un accompagnement vers la mort. Jusque dans le deuil, c’est la population qui doit prendre sur elle. Macron parle de retrouver des jours heureux... ma mère ne reviendra pas. Ma mère est morte pour des raisons ridicules de pénurie de masques et de tests.On découvre que gouverner c’est prévoir, et que le gouvernement n’a rien prévu. Je poursuivrai l’Agence régionale de sante du Grand Est et dans un deuxième temps, je poursuivrai le ministère de la santé. Je veux qu’ils reconnaissent au moins leurs erreurs. »

  • 15 mai 2020, témoignages des journalistes Étienne Girard et Laurent Valdiguié de Marianne.

“Or, un patient « refusé » d’un service de réanimation peut tout de même être soigné dans un autre département de l’hôpital. La différence principale est qu’il ne bénéficie pas d’un appareil d’assistance respiratoire. L’histoire que racontent nos témoins est différente : de nombreux patients résidents d’Ehpad n’ont pas eu accès du tout aux soins hospitaliers. Ils étaient livrés à eux-mêmes… et aux moyens limités des établissements pour personnes âgées.”

  • 15 mai 2020, témoignages unanimes des acteurs de terrain interrogés par Marianne, et de Florence Arnaiz-Maumé, secrétaire générale du Synerpa, le syndicat professionnel des Ehpad privés, recueillis par Étienne Girard et Laurent Valdiguié

« ... pendant près d’un mois, jusqu’à la dernière semaine de mars, certains centres de régulation du Samu ont refusé d’hospitaliser nombre de résidents d’Ehpad. Réduisant ainsi leurs chances de réchapper du Covid-19. [...] Florence Arnaiz-Maumé, secrétaire générale du Synerpa, le syndicat professionnel des Ehpad privés, confirme elle aussi [...] Son syndicat a demandé à ses adhérents de conserver trace de tous les refus… « Certains jours, il fallait des heures et des heures pour obtenir le SAMU »

  • 15 mai 2020, témoignages de salariés des pompes funèbres et de Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef), recueillis par Étienne Girard et Laurent Valdiguié journalistes à Marianne.

« ... ces témoignages de salariés des pompes funèbres, qui voient pulluler, ces dernières semaines, des certificats de décès comportant la seule mention de « détresse respiratoire », sans la case Covid. « On nous a remonté de nombreux cas », affirme Claudette Brialix, présidente de la Fédération nationale des associations et amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef). »

  • 15 mai 2020, témoignages de Isabelle Jallais, déléguée FO au sein du groupe Korian et de Étienne Girard et Laurent Valdiguié journalistes à Marianne.

« Pendant près d’un mois, jusqu’à la dernière semaine de mars, des centres de régulation du 15 ont refusé d’hospitaliser nombre de leurs résidents. « Dans beaucoup de nos établissements, le Samu ne venait plus raconte Isabelle Jallais, déléguée FO au sein du groupe Korian. J’ai eu des collègues infirmières en pleurs au téléphone. Avec des résidents qui mouraient dans leur chambre et pour lesquels on ne pouvait rien… »

  • 15 mai 2020, témoignage de Florence Arnaiz-Maumé, secrétaire générale du Synerpa, le syndicat professionnel des Ehpad privés, recueilli par Étienne Girard et Laurent Valdiguié journalistes à Marianne. Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Île-de-France et d’autres régions.

« Dans le Grand Est, en Bourgogne-Franche-Comté, pendant trois semaines, puis en Ile-de-France et dans d’autres régions, certes moins longtemps, le 15 a refusé d’hospitaliser nos résidents à de très nombreuses reprises. [...] « Il y a des personnes âgées qui auraient probablement pu être sauvées », estime Florence Arnaiz-Maumé, sans que leurs familles, pour l’heure, soient en mesure de le réaliser. »

  • 15 mai 2020, témoignage du journal de bord du Professeur Pascal Meyvaert, intervenant dans deux Ehpad du Bas-Rhin, publié dans le Journal du médecin coordonnateur daté d’avril 2020, rapporté par Étienne Girard et Laurent Valdiguié journalistes à Marianne. Bas-Rhin, Grand Est, CHU de Strasbourg

« La situation est tellement grave dans le Grand Est que le CHU de Strasbourg nous a dit que les personnes en GIR 1, 2 et peut-être 3 ne seraient plus admis aux urgences », écrit-il à la date du 16 mars, la veille du confinement. En jargon médical, les GIR 1, 2 et 3 désignent des états de dépendance décroissants. Les GIR 3 sont des patients qui ont « leur autonomie mentale, partiellement leur autonomie locomotrice, mais qui ont besoin plusieurs fois par jour d’une aide pour les soins corporels » . Auprès de Marianne, Pascal Meyvaert confirme que ces types de patients ont vite été exclus de l’hospitalisation, par manque de place. « Au bout d’un moment, on avait tellement l’habitude qu’on nous refuse des patients qu’on pensait à peine à appeler le Samu », se rappelle le médecin, qui officie également en tant généraliste. Puis, la situation a encore empiré. « Le dernier samedi de mars, on m’a refusé une patiente de 52 ans, sans comorbidité, qui avait beaucoup de mal à respirer », révèle le médecin. A ce moment-là, les malades de plus de 70 ans n’avaient plus aucune chance d’être hospitalisés. »

  • 15 mai 2020, témoignage à partir d’un document du 23 mars, émanant d’un hôpital francilien, et s’intitule « Prise en charge des patients suspects de Covid-19 » en possession de Marianne et ici, et témoignage de Cédric Lussiez, directeur général du groupe hospitalier Nord-Essonne. Hôpital de Longjumeau, en Essonne, sud de la région parisienne.

« Un document en possession de Marianne montre que, au plus fort de la crise, la seule donnée de l’âge a pu être utilisée. Il date du 23 mars, émane d’un hôpital francilien, et s’intitule « Prise en charge des patients suspects de Covid-19 » . Un paragraphe surligné en jaune prévoit les critères de « non-réanimation » . Le premier d’entre eux est l’âge : supérieur à 75 ans. Combien d’hôpitaux en France ont opéré la même sélection ? [...] au plus fort de la crise, cette unique donnée de l’âge a pu être déterminante, plus particulièrement concernant les services de réanimation. Il émane de l’équipe de l’hôpital de Longjumeau, en Essonne, dans le sud de la région parisienne. Ce document s’intitule « prise en charge des patients suspects du Covid 19 » et rend compte d’une réunion qui a eu lieu le 23 mars en présence de six médecins du centre hospitalier : un pneumologue, trois réanimateurs, un urgentiste et un médecin généraliste. Une série de critères de « non hospitalisation » sont détaillés. En clair, des barrières pour fermer la porte de l’hôpital à certains malades. En tête de liste, l’âge supérieur à 70 ans, associé à une série de « co-morbidités isolées » comme des insuffisances respiratoires chroniques, des insuffisances cardiaques, des cirrhoses avancées, des antécédents cardio-vasculaires, du diabète et de l’immuno-dépression. Plus loin, souligné en jaune dans le texte, le document se penche aussi sur les critères de « non-réanimation », autrement dit des critères qui suffiraient à barrer la porte de la réanimation à des patients dont l’état de santé serait dégradé à cause du virus. En rouge souligné : âge supérieur à 75 ans. En une phrase, les médecins de Longjumeau, ce 23 mars, envisagent de ne pas admettre en réa les plus de 75 ans. Même barrière pour les patients âgés entre 70 et 75 ans, mais qui présenteraient aussi des « co-morbidités lourdes ». Cédric Lussiez promet de mener son enquête. Le soir même, il s’explique par mail. Le document émane bien de son hôpital et bien été élaboré à la date du 23 mars par une équipe médicale, « sur la base des recommandations régionales parues le 19 mars ».

Recommandations de l’Ars IdF pour le tri des patients surnuméraires en contexte de saturation covid-19

Note

Plus d’informations et nouveaux témoignages à retrouver sur le groupe « Covid-19 Non au darwinisme social ! » https://www.facebook.com/groups/591274398144542

Notes

[2rappel : des centenaires covid19+ gravement touchés ont survécu à la réanimation, ndlr

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