« Une organisation criminelle qui envoie des innocents à la mort »

Armés d’un sac à vomi, on a écouté l’interview de Fabrice Leggeri sur France Inter. Alors que l’agence Frontex, dont il est le directeur exécutif, est responsable de milliers de morts aux frontières de l’Europe, une manifestation aura lieu vendredi 24 avril. Elle partira à 15 h de la place de la République.

« Il y a une organisation criminelle qui envoie à la mort des innocents » , c’est ainsi que Fabrice Leggeri qualifie les passeurs mafieux qui envoient les migrants vers l’europe sur de vieux bateaux surchargés après les avoir rackettés. Cette phrase définit également parfaitement Frontex, l’agence dont il est directeur exécutif depuis janvier 2015.

Mais qui est Fabrice Leggeri ?

Français, passé par Science po et l’ENA, après un parcours par les ministères de la Défense et celui des Affaires étrangères, il est responsable de la lutte contre l’Immigration illégale au ministère de l’intérieur et contribue en 2003 (sous la tutelle de Sarkozy) à la rédaction de la Commission qui a abouti à la création de l’agence Frontex. En décembre 2014, il a succédé au militaire Ikka Lattinen à la tête de cette administration chargée de militariser les frontières européennes.

Il semble avoir les idées très claires quant à son mandat :

Rester attentif sur tous les fronts : maritime, terrestre et dans les aéroports car les menaces viennent d’un peu partout

Pour Leggeri il faut :

construire une culture commune et soutenir une approche solidaire pour renforcer la coopération dans la gestion des frontières extérieures européennes

C’est quand même beau la novlangue xénophobe

Irresponsable

Interviewé par Léa Salamé sur France Inter lundi 20 avril, elle lui pose la question « Vous sentez-vous responsable ? » Il rejette toute la faute sur les passeurs comme si l’agence dont il est directeur exécutif et qu’il a contribué à créer n’était pour rien dans ces drames.

Après avoir barricadé toutes les frontières terrestres de l’Union européenne et délégué la détention et l’expulsion des migrants à des pays tiers, après qu’une des voies les moins inaccessibles vers l’europe pour les migrants soit devenue la traversée de la Méditerranée via la Libye (depuis que Kadhafi n’est plus là pour enfermer les migrants dans des camps de rétention), Fabrice ne se sent donc pas responsable des milliers de disparus en mer.

frontière de Melilla, enclave espagnole sur le sol marocain

Il insiste sur le fait que beaucoup de ceux qui tentent la traversée malgré les risques sont des migrant économiques irréguliers qu’il faudrait de toutes façons expulser vers leurs pays d’origine. Leggeri rappelle que Mare Nostrum, opération militaro-humanitaire, dépendait uniquement de l’Italie. Triton, qui lui a succédé, dépend de Frontex mais dispose de trois fois moins de moyens et est surtout moins ambitieuse dans le sauvetage de bateaux en perdition.

Il se félicite même, malgré l’absence de compétences de l’Union européenne sur le secours en mer (pour refouler les migrants elle a les compétences), que Triton ait depuis le premier janvier contribué au sauvetage du tiers des personnes sauvées en Méditerranée. Il ne se félicite étonnement pas pour la totalité des personnes mortes noyées durant ce laps de temps.

Leggeri reconnaît qu’il est soumis à des impératifs totalement contradictoires qu’il doit gérer « de façon très équilibrée » :

  1. obligation au titre du droit de la mer (fait chier ce droit) de sauver les personnes qui se noient en mer.
  2. l’accueil des réfugiés où il a encore, vu les risques que ceux-ci sont obligés de prendre pour rejoindre l’europe, beaucoup de progrès à faire.
  3. Enfin, et là il excelle, « veiller à ne pas favoriser le trafic d’êtres humains »

Je crois qu’il faut être attentif parce que si nous offrons la garantie que n’importe quel migrant, après avoir payé très cher pour arriver en Libye, pourra avoir l’assurance d’être transbordé par la Méditerranée vers l’Union européenne nous aurons alimenté un trafic d’êtres humains, et je crois que ça il faut l’éviter.

Ne pas sauver trop de migrants, après leur avoir fermé toutes les autres voies, pour « ne pas favoriser le trafic d’êtres humains » est effectivement contradictoire avec le droit de la mer et l’accueil des réfugiés, Fabrice.

Léa Salamé dans une de ses rares mais toujours hallucinantes interventions lui demande, après avoir regretté que Kadhafi ne soit plus là, si l’ONU ne devrait pas accorder un mandat à Frontex pour surveiller les côtes libyennes et contrôler les départs.

Leggeri conclut l’interview en regrettant que peu de migrants en situation irrégulière soient expulsés dans leurs pays d’origine. Pour lui, ce serait « un message positif » envers les demandeurs d’asile. Rejeter le sort des réfugiés sur les migrants « seulement » économiques, voilà comment conclure avec classe.

Prévoir un seau à vomi pour écouter l’interview :


Fabrice Leggeri : "Il y a une organisation...

Abolir Frontex

Lors de l’élection de F.Leggeri à son poste, Cazeneuve se félicitait dans un communiqué du ministère que «  la confiance ainsi accordée au candidat français constitue une reconnaissance particulière de la France sur ce dossier et les qualités de son candidat ». Ou encore il « assure M.Leggeri et l’agence FRONTEX dans son ensemble de la détermination du gouvernement français à permettre aux États membres de l’Union européenne de mieux faire face aux défis pesant sur ses frontières extérieures, en particulier au Sud et à l’Est. » Ces deux-là sont faits pour s’entendre.

Rares sont les politiques à émettre autre chose qu’une condamnation morale devant l’atrocité de ce qui se passe actuellement en Méditerranée et à remettre en cause la politique guerrière de l’U.E contre ses ennemis de l’extérieur qui sont si dangereux qu’elle en laisse mourir des dizaines de milliers à ses portes. De timides voix commencent à percer, espérons qu’elles se fassent entendre.

Depuis sa création de multiples critiques ont été adressées contre Frontex. La semi-privatisation de l’organisme, son côté para-militaire ainsi que ses buts sont critiqués. Frontex s’insère dans un dispositif général d’externalisation de l’asile et de délégation aux pays-tiers à l’Union européenne du contrôle, de la rétention et de l’expulsion des migrants.

En 2013, vingt et une organisations européennes et africaines d’aide aux étrangers et aux immigrés lancent une campagne internationale nommée Frontexit. Cette campagne vise à dénoncer les activités de Frontex et à demander l’annulation du règlement créant l’agence Frontex, s’il est démontré que le mandat de l’agence est incompatible avec le respect des droits fondamentaux.

Pour l’abandon des politiques meurtrières xénophobes.
Pour la suppression des États et des frontières, pour l’abolition du capitalisme.
No Border No Nation

Suite au naufrage d’un chalutier chargé de plus de 800 hommes, femmes et enfants cette fin de semaine entre la Libye et Lampedusa et contre le projet de loi relatif au droit des étrangers, la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP75) appelle « tous les collectifs, UNSP, associations, syndicats, partis politiques, citoyens et sans voix à une manifestation vendredi 24 avril en direction du Parlement européen et de l’Assemblée nationale ».

Rassemblement place de la République à 15 h, départ à 15 h 30.

Note

Pour en savoir plus sur Frontex l’Atlas des migrants en Europe et la Carte des Camps mis en ligne par Migreurop et une petite vidéo de 3 minutes.

Mots-clefs : migrants | Frontex

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