Un mois après l’action Black Rock : quelques proposition tactiques et stratégiques pour une écologie offensive et solidaire !

Le 10 février dernier, l’action organisée par Youth For Climate au siège de l’infâme multinationale nous montrait la possibilité d’une écologie véner et en phase avec le contexte social. Nous proposons de continuer dans cette voie, dans cette brèche, pour faire émerger du ravage en cours un réel front apte à détruire ce qui nous détruit, sans demander pardon, et en nous préservant au maximum de la répression.

RETOUR ET ANALYSE

Le lundi 10 février dernier, à l’initiative de Youth For Climate, s’organisait une action au sein du siège parisien du gestionnaire d’actifs BlackRock. Ayant participé à cette occupation, il nous a paru important d’en dresser une rétrospective, revenant sur plusieurs réactions symptomatiques des divergences entre les différentes manières d’appréhender l’écologie, et son articulation avec les autres luttes sociales. En ayant en tête d’autres actions directes écologistes menées récemment, nous en profitons aussi pour dresser une courte liste de conseils dans le but de maximiser l’impact des prochaines tout en se protégeant face à une répression policière et judiciaire régulièrement associée à ce type de mobilisation collective.

Après un bref tour d’horizon des réactions que cette action a suscité, voilà le tableau que nous dressons. D’un côté, certain.es militant.es se sont montré.es sceptiques et critiques vis-à-vis de l’organisation de l’action, regrettant son manque de structure, ainsi que son mode opératoire. Cela s’est exprimé notamment par la réaction de certains groupes, frileux quant aux dégradations. C’est le cas d’Extinction Rebellion qui a mis plusieurs jours avant de soutenir officiellement les militant.es réprimé.es, alors même que sept d’entre elles et eux étaient de leurs membres. Cela montre bien la diversité des tendances au sein même de ce mouvement, et les problèmes posés par la gestion de sa communication par un petit nombre. C’est aussi le cas d’autres organisations du mouvement climat, comme Alternatiba qui a gardé le silence. De l’autre, une partie du milieu écolo francilien, dont nous nous réclamons, a été plus enthousiaste vis-à-vis de cette manière d’agir offensive et spontanée. Enthousiasme partagé par d’autres groupes militants, pas uniquement axés sur les luttes dites « écologistes » ; bien que pour nous, toute lutte contre la machine capitaliste destructrice des milieux vivants constitue une lutte écologiste. En témoigne la présence de collectifs de Gilets Jaunes, de zadistes et autres groupes militants jusqu’alors peu présents au sein des plus classiques blocages écolo type Block Friday. De nouvelles alliances émergent suite à ce genre d’actions plus directes, laissant place à différentes sensibilités politiques et tactiques.

En ce sens, BlackRock s’inscrit dans la continuité de l’occupation du centre Italie 2 le 5 octobre dernier où avaient convergé et cohabité Gilets Jaunes, Gilets Noirs, Comité pour Adama, Extinction Rebellion ou encore Youth For Climate. On ne peut que se réjouir de ce regain de lien entre les différents milieux en lutte créé en ce 10 février, car c’est par l’alliance et l’entraide que nous pourrons construire un rapport de force favorable à la réalisation de nos volontés et aspirations. Si c’est la dimension offensive et déterminée largement revendiquée en amont de l’action qui a entraîné d’autres groupes avec Youth for Climate, sa cible a également été considérée a posteriori comme particulièrement pertinente dans le contexte de la mobilisation contre la réforme des retraites. En effet, BlackRock, en plus d’être connu pour d’ores et déjà se frotter les mains des bénéfices issus de ses placements dans les entreprises les plus écocidaires de notre temps, entend maintenant « gérer » nos retraites pour les faire fructifier sur le dos du ravage écologique. Surtout, c’est en partie parce que cette entreprise n’était pas vue comme une cible de la lutte écologiste classique que l’intrusion dans le bâtiment fût possible, là où les Galeries Lafayette ou la Société Générale, par exemple, furent directement bouclées par la police.

Non seulement il est pertinent d’étendre nos luttes dans des espaces comme BlackRock qui ne sont pas (encore) estampillés comme des fronts de la lutte écologique, mais c’est aussi stratégique. D’abord, cela nous rapproche d’autres groupes militants déjà organisés, pour peu que l’on ait la justesse de s’accorder sur le contexte social. Ensuite, le choix de cibles plus diversifiées nous rend davantage imprévisibles en tant qu’écologistes, et donc plus efficaces dans nos actions.

Pour nous, ce clivage consistant à désunir, voire à opposer, lutte écologiste et lutte sociale est une impasse, un non-sens, car l’écologie est profondément sociale. L’écologie n’est pas la défense d’une « nature » extérieure à nous-même, c’est une façon d’être au monde qui tient compte des liens et interdépendances au sein des milieux vivants : et donc aussi entre groupes humains. Partant de là, lutter de manière écologique, c’est avant tout agir en interdépendance et avec solidarité les un.es avec les autres, déterminé.es, offensives.fs et fort.es de cet entraide face à la machine qui se borne à détruire nos milieux vivants, et nous avec.

PROPOSITION D’AMÉLIORATION

Cependant, certaines choses nous semble améliorables, notamment en ce qui concerne l’efficacité et la sécurité de l’action. Il n’est pas question ici de faire le procès de Youth For Climate en leur faisant porter la responsabilité des 13 garde à vue et des 2 procès ayant touchés les participant.es à l’action, mais plutôt de réfléchir aux moyens d’augmenter la sécurité et l’efficacité des prochains coups d’éclats.

Ces interpellations ne sont donc pas, selon nous, le seul fait de l’organisation ; mais plutôt d’un manque de structure et d’autonomie de la part des personnes présentes. Ces modes d’actions étant nouveaux et les risques plus importants, il faut apprendre à s’en protéger en même temps que nos actions augmentent en intensité. Les pratiques habituelles de la désobéissance civile ne sont pas applicables à tous les contextes et toutes les temporalités. Savoir s’en détacher nous semble primordial pour assurer l’escalade de nos moyens d’action. Dans cette continuité, nous pensons nécessaire d’apprendre à nous organiser en groupes autonomes, pour créer davantage de perturbations tout en assurant la sécurité de chaque militant.e.

Contrairement à un mythe bien trop souvent répandu, la spontanéité, ou l’effervescence de l’action offensive, ne se suffit pas à elle-même : il faut s’y préparer. S’y préparer, c’est d’abord avoir confiance en notre groupe et s’y sentir bien, que ce soit par binôme, par trois ou même à dix. C’est sûrement là la force du groupe affinitaire, ou des collectifs ayant, par exemple, l’habitude de se déplacer ensemble en manifestation. Arriver sur place en confiance, en sachant rapidement qui fera quoi : certain.es mettront les caméras hors service, d’autres identifieront les sorties accessibles du bâtiment pendant que les plus préssé.es se donneront à cœur joie de refaire la tapisserie ou de réagencer un maximum de mobilier et de matériel pour le rendre utile à nous-mêmes (montant des barricades, ouvrant de nouveaux espaces, se servant dans les frigos des entreprises) et inutile aux capitalistes (dégradations, destructions...). Ce mode opératoire a bien été entrepris par quelques groupes présent à BlackRock, il reste maintenant à penser comment des militant.es isolé.es peuvent s’y retrouver. Si cela se passe de manière coordonnée, organisée, et en confiance, alors les risques s’amenuisent et le chaos joyeux surgit de toute part. Mais comment faire pour que cela arrive effectivement ?

Une véritable confiance ne naît pas qu’au moment de l’action. Elle prend du temps à se construire en amont et demande de se rencontrer, de se parler, de faire des banderoles ensemble, de se raconter des expériences militantes, autant joyeuses que tristes, celles plutôt réussies comme celles où l’on a fini la nuit en garde à vue ; en somme de générer du lien. Le briefing actuel des actions de masse ne permet pas cela, il parle consensus alors que celui-ci n’émane pas des militant.es, il impose un agenda, un ordre du jour, rendant compliqué une véritable appropriation de l’action par les activistes. De ce fait, il ne pose pas les questions cruciales : que voulez-vous faire durant cette action ; et avec qui ? Des réponses apportées à ces deux questions, les groupes organisés tout comme les militant.es les plus isolé.es pourront dégager d’avantage de sens ; et en amont déjà, se sentir actrices.eurs de leur action. Nous voyons donc la confiance et le lien fait en amont comme une condition nécessaire à une auto-gestion solidaire, fulgurante et efficace. En un sens, la spontanéité ça se prépare.

Mais une action réussie, c’est aussi celle où l’on prend soin de soi et des autres, où l’on est conscient.e des risques encourus par nos modes opératoires, et où l’on sait comment s’en prémunir au maximum et en prémunir nos camarades, y compris celles et ceux ne faisant pas partie de nos groupes affinitaires. C’est une action où l’on se sent, le plus possible, en sécurité. Alors, s’il s’agit de mettre à mal une entreprise destructrice de nos milieux vivants, n’oublions pas que quand bien même l’expression de notre colère soit légitime, elle sera toujours sujette à une répression largement plus violente. Évidemment, nous assumons nos actions, nous voulons les porter haut et fort, mais ne nous offrons pas pour autant sur un plateau à l’appareil répressif.

Pour revenir sur l’exemple de BlackRock, des sorties avaient été identifiées et garanties comme sûres par des militant.es depuis l’extérieur du bâtiment. Malgré cela, il a été décidé collectivement de sortir par l’entrée principale de l’occupation au sein de laquelle des dégradations avaient été commises, alors qu’une ligne de policiers attendait à la sortie. Outre les risques inutiles que cela provoquait pour tout.es, il est important de rappeler que nous ne sommes pas tout.es égales.aux face à la police. Être solidaire, c’est aussi opter pour des tactiques inclusives vis-à-vis de personnes particulièrement exposées à la répression (les personnes sans papier ; sans garanties de représentation ; déjà condamnées ; portant des traces de méfaits...). Les actions offensives du type de BlackRock se suffisent à elles-mêmes et n’ont pas besoin de martyr.es passant 48h en garde à vue. Nous devons sortir de l’hégémonie du symbolique. L’heure n’est plus à la seule massification écologiste via les marches, climat et blocages pacifiques de désobéissance civile, censés être appuyés ensuite par les médias. Les questions écologiques ont déjà pris une place importante dans la sphère médiatique et de la politique institutionnelle, notamment durant l’année 2019 rythmée par ses nombreux feux de forêts, son été aride, et l’émergence du mouvement climat ainsi que d’organisations proposant des structures pour lutter. Beaucoup ont déjà pris conscience de l’urgence et sont prêt.es à agir, alors arrêtons d’espérer un mouvement toujours plus massif. Nous sommes passé.es à l’offensive, et voulons la répandre. Cela implique d’autres manières d’agir et de s’organiser. Désormais, on zbeul et on s’barre.

Plus nos actions seront offensives, plus la répression le sera : c’est le système qui se défend. Alors protégeons-nous. Nous ne sommes pas venu.es occuper BlackRock, nous sommes venu.es marquer ses locaux de notre profond désaccord : exprimer notre colère, une preuve de notre passage, et partir aussi vite que l’on est arrivé.e. Alors si cette action n’est pas une occupation (car nous ne comptions pas nous y installer), la protection de nos identités, tout comme une sortie rapide et non-maîtrisable par les forces de l’ordre est nécessaire pour multiplier ce type d’actions. 13 gardez-à-vue et 2 procès. A ce rythme, les forces vives de l’écologie que nous voulons porter seront épuisées avant même d’avoir réellement émergé. Bien sûr, il y aura de la répression, comme il y en a déjà, mais nous voulons et pouvons nous y préparer, car nous devons nous en protéger, au maximum. Voilà une liste non-exhaustive de conseils et astuces pour se prémunir de longues heures de garde à vue, d’amendes, de procès et de prison ; et surtout pour se sentir le plus en confiance possible pendant une action.

Protéger son identité et celles des autres

  • Ne pas filmer nos visages. Éviter le plus possible de filmer des signes distinctifs en général (chaussures, tatouages, accessoires reconnaissables...). Préférer l’auto-média (documenter soi-même ses actions) !
  • Prévoir des vêtements de rechange pour être moins reconnaissable et pouvoir se changer après s’être « exprimé.e ». Éviter les marques incriminantes, comme les taches de peintures dans le cas de dégradations artistiques.
  • Se masquer le visage (masques d’animaux, de Macron ou autres criminels, cagoules...).

Anticiper et se protéger de la répression

  • Prévoir des garanties de représentation (document stipulant de ta bonne santé sociale auprès de la société, comme un certificat de scolarité, un justificatif de domicile, un contrat de travail...) pour une éventuelle garde à vue/procès. Les donner à un.e proche qui pourra les fournir à l’avocat.e en cas de besoin, pour éviter notamment la comparution immédiate.
  • Ne jamais croire la police, elle ment. A BlackRock, les militant.es sont sorti.es notamment parce qu’un policier avait promis aucune répression si le groupe acceptait de sortir par la porte principale, face à la police. On sait ce qu’il en a été...
  • Si la situation se complique, ne pas hésiter à abandonner les objets/matériels incriminants (marteau, caillou, bombes de peinture, lunettes de ski, autres...).
  • Identifier, et éventuellement neutraliser les caméras.
  • Réfléchir la question de la pièce d’identité : en prendre pour potentiellement sortir d’une garde-à-vue plus rapidement voir l’éviter durant un contrôle, ne pas en prendre pour ne pas être fiché, mais potentiellement patienter plus longtemps. Également réfléchir à des comportements collectifs prenant en compte des personnes n’ayant pas ce choix (personnes sans-papier).

S’organiser en fonction de l’action, en amont et sur le moment

  • Ne pas s’éterniser dans un espace si ce n’est pas utile, penser la sortie, donc savoir où elles sont. Pour cela, il peut être judicieux de faire du repérage sur les lieux, et ensuite, durant l’action, de communiquer clairement les informations utiles (matériel particulièrement pertinent à dégrader/détruire, nombres et places des sorties et entrées, caméras...) et agir en fonction. Encore une fois, pour BlackRock, utiliser les sorties indiquées par certain.es camarades aurait évité les gardes à vues.
  • Avoir des liens avec l’extérieur, savoir où en est la police.
  • Définir collectivement et en amont les objectifs de l’action.
  • S’organiser de telle manière à ce que les différents groupes puissent avoir accès aux informations logistiques nécessaires. Dans le cadre d’action précises et préméditées, on pourrait par exemple imaginer un système de référent.es de confiance auxquels.les seraient données ces informations, et qui orienteraient la préparation de l’ensemble de leur groupe en fonction, sans tout divulguer.

Prendre soin de soi et des autres

  • Ne pas hésiter à quitter le lieu si l’on ne s’y sent plus/pas à l’aise.
  • Savoir en amont sur qui l’on peut compter pendant l’action, avoir un binôme ou un groupe, qu’il soit connu de longue date ou rencontré dans le cadre de l’organisation de l’action.
  • Veiller les un.es sur les autres. Pour les militant.es peu expérimenté.es, ne pas hésiter à se tourner vers des personnes ou groupes semblant plus aguerris pour des conseils ou questions. Être dans une démarche d’entraide et de bienveillance, y compris et surtout dans l’affrontement avec la police s’il advient.
  • Avoir une idée de ce que l’on veut faire pendant l’action, en discuter avec son binôme ou groupe en amont de l’action, pour éviter les peurs liées à des risques non réfléchis et/ou non consentis.

Youth for Climate, bravo et merci, car vous nous ouvrez une nouvelle voie. Nous voulons l’emprunter avec vous, défendre cette écologie offensive, subversive et imprévisible. Et pour autant, pour continuer sur ce mode opératoire fracassant, nous sommes convaincu.es qu’il faut s’adapter, apprendre de nos expériences passées et ne pas s’enfermer dans des logiques et modes opératoires que votre inventivité semble avoir dépassée. Apprendre à se faire confiance, à se connaître et savoir nous protéger, nous pensons que ces conditions sont nécessaires pour poursuivre nos luttes. Alors continuons à augmenter d’intensité et de véhémence contre le système qui organise le ravage et prétend être en mesure de le gérer. Face à ce grand mensonge, organisons-nous pour continuer l’offensive.

En espérant que ce texte puisse aider à l’appréhension et à l’organisation des nombreuses actions à suivre !

Des camarades admiratives.fs et motivé.es

Localisation : Paris

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