Un dimanche au Parc des Fachos

Retour d’expérience d’un manifestant s’étant rendu au Parc des Expositions de Villepinte, à l’occasion du premier meeting de campagne d’Éric Zemmour.

Quand je suis arrivé sur le quai du RER, des manifestants étaient déjà présents, éparpillés en petits groupes. Dans deux minutes, le train passerait nous prendre et nous atteindrions notre destination à midi, soit l’heure dite pour se rassembler. Rien d’inquiétant à l’horizon, et je me suis pris à imaginer que sur toute sa longueur le quai en abrite plein d’autres, des groupes. Que ce soit le cas dans chacune des gares traversées. Et qu’à l’arrivée, toute la ligne B soit antifa.

Ma présence ici était d’abord liée à un énervement. Forcément, je déplorais la manifestation déclarée à Barbès en parallèle du meeting à la Villette. J’arrivais cependant à y trouver du sens : un rendez-vous efficace pour celles et ceux prêts à mener la lutte de front, et un rendez-vous inoffensif pour celles et ceux qui ne veulent pas, ou plus, ou pas aujourd’hui, sans être totalement réduits au silence. La manifestation prévoyant tout de même d’arriver à la Villette, les deux rendez-vous restaient en interaction. Le cortège inoffensif n’allait pas manquer d’être nassé avant son arrivée, ce qui occuperait bien quelques compagnies de CRS. Diversité des tactiques, en quelque sorte.

L’énervement est venu après, quand le meeting a été déplacé en banlieue. Avec une hypocrisie indécente, les grosses orgas se sont targuées d’avoir fait fuir l’extrême droite, et ont maintenu leur rendez-vous, désormais vidé du sens que j’avais pu lui trouver. Pour se justifier, la CGT, dans la plus pure tradition des défaites qu’on lui connaît, a invoqué un risque de « perdre du monde » en cas de changement de lieu. À l’inverse, le maintenir était faire le « pari du nombre » [1]. Dès lors il m’est apparu inconcevable de ne pas aller à Villepinte, autant pour ne pas laisser le terrain libre aux fascistes que contre une conception mortifère de la manifestation.

Le train arrive, donc. Et dans la rame, déjà. Des hommes, comme moi. En noir, comme pas mal d’entre nous. Tête rasée, mais ce n’est pas suffisant. Et très vite, des signes distinctifs observés à la dérobée, fleurs de lys, insignes tricolores, viennent dirent avec certitude ce qu’on a tous su au premier coup d’œil. Le reste du trajet se déroulera dans une ambiance moite, les groupes amis se sont tus, les regards évitent de se croiser. Certains descendront à Villepinte, une station avant le Parc.

Étais-je simplement monté dans le mauvais wagon ? L’arrivée est un désastre. Une marée de crasse virile, noire par les habits, blanche par le crâne, vient envahir la gare, faisant étrangement peu de cas de nous autres restés en retrait. Une fois n’est pas coutume, pas de contrôles en vue à la sortie, ils sont vite dehors et, une fois leur bloc formé, chargent les manifestants déjà présents sur place. La différence visuelle entre un black bloc de gauche et un black bloc de droite ? Dans un bloc de droite, personne n’a de K-way. Avoir la police de son côté, ça permet un dress code plus soigné.

Les manifestants ont déguerpi et les nazillons occupent la place, sous l’œil bienveillant des flics. Je vais voir ailleurs, déjà on apprend que plusieurs groupes sont nassés ici et là. Partout les voltigeurs patrouillent, les bruits de leurs moteurs sont omniprésents, tout rassemblement est rendu impossible. Aucun slogan ne retentit. Une manifestante demande, mais pourquoi nous poursuivre alors que vous les laissez tranquilles, ceux qui nous ont attaqué ? « Dégage, quand ils en auront fini avec toi, je viendrai te ramasser à la petite cuillère ».

Et puis les motards reviennent et là encore il faut courir. Brusquement il y en a un qui tourne vers toi, tu dérapes sur le parvis mouillé, tu changes de direction, par ici ou par là ? Et cette fois-ci tu te trompes, tu vois trop tard que la personne qui aurait pu être un manifestant a une matraque télescopique, tu es par terre et déjà ils sont cinq sur toi. Game over.

Le baqueux qui t’a plaqué avait le même regard que les types du RER.

Se faire interpeller pour la première fois en 2021, ça a un air de déjà vu. D’habitude les images des bottes sur le sol, tout autour, sont filmés par la GoPro d’un journaliste ; en ce moment elles sont là en vrai. C’est la première fois et en fait je sais tout, je me laisse faire, j’attends des coups et des insultes qui même pas ne viennent, trop blanc, sûrement. Je serre les dents quand les menottes me lacèrent les poignets, mes mains s’engourdissent, mais j’ai la certitude que si je dis quelque chose ils les fermeront encore davantage. « Bah alors qu’est-ce que tu es venu faire là ? » Serrer les dents.

Au commissariat, on découvre les flics branchés sur le live du meeting. « À quelle heure il parle notre futur président ? » Cette journée aura eu pour elle le mérite de la clarté.

Au commissariat, entre deux coups de pression, on a du temps pour réfléchir. Je revois les évènements de la journée et je me fais la réflexion que dans beaucoup de milieux militants, il est devenu courant de penser que la crise écologique est la menace numéro un. Pourtant, nous vivons dans un pays où les seules forces armées en présence soutiennent quasi-ouvertement l’avènement du fascisme. Présentement, la menace numéro un, elle est là. Selon toute probabilité, ça va très mal se finir, et il n’y a pas de scénario où organiser des marches pacifiées en autarcie y changera quelque chose. La crise écologique met en danger l’ensemble de la vie sur Terre. Le fait que 1% des humains les plus riches soient responsables de deux fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que 50% des plus pauvres, met en danger l’ensemble de la vie sur Terre. Pour y remédier, on peut s’occuper comme il faut des 1%. Ou des 50... Cette deuxième option, on peut compter sur le chtar qui vient me demander si je veux lui donner mon ADN pour la mettre en application. Désolé mais ça ne sera possible qu’en te crachant à la gueule.

À la sortie, j’apprends que 62 personnes ont été embarquées au total. On devait être 200, grand maximum. Un tiers des manifestants furent donc arrêtés, bravo à la préf pour ce beau score.

un manifestant arrêté

Mots-clefs : arrestation | répression
Localisation : Villepinte

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