Sur la grève des bourgeois·e·s (dit contre le projet de loi LPPR)

Coup de gueule (devoir ?) d’un étudiant de Paris 8

Sur la grève des bourgeois·e·s (dit contre le projet de loi LPPR, la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche)

Les facs et labos en lutte se seraient réunis en urgence il y a quelques semaines (le 1er et 2 février 2020) à plus de 750 personnes à Saint-Denis pour discuter de « comment on arrête tout  ».
Et la décision est de tout arrêter, le 5 mars « l’université et la recherche s’arrêtent ».

Ce qui me choque c’est la pseudo spontanéité. Soit il y a une grande liste mail de plus de 750 personnes, « personnels titulaires et précaires et étudiant·e·s » de toute la France, dans laquelle la majorité a décidé que c’était le moment de se réunir, en trouvant un consensus sur la date et le lieu en un très court temps ; soit c’était bien préparé.

Le jeu dans lequel nous étudiant·e·s sommes mené·e·s est ridicule. Alors que rien n’est arrivé lorsque notre camarade à Lyon a tenté de s’immoler et qu’il est toujours dans un mauvais état, et que la lutte contre la réforme des retraites s’en va rejoindre progressivement les oubliettes, une professeure me propose de rejoindre la commission contre la précarité pour signifier mon mécontentement à la présidence de l’université.

Mais comment dire ? Pourquoi on ne ferait pas une commission LPPR et une lutte contre la précarité ? On pourrait quémander à la présidence des choses à ce sujet et commencer une lutte étudiante contre celleux qui meurent. Les bourgeois·e·s se pleurent leurs conditions de travail (exceptionnel).

Moi, étudiant précaire, issu de l’immigration, en situation de handicap, issu d’une cité en banlieue parisienne, qui a vu mes parents et mes grands-parents trimer tous les jours, depuis toujours je me demande ce qui se passe dans la tête des blancs.

En plus de leurs caprices à ne pas nous donner ce pour quoi nous nous sommes battus depuis toujours, un accès aux études supérieures pas évident (seuls environ 23 % des 17-18 ans ont passé un bac général dans ma ville en 2018), il·elle·s trouvent à redire lorsqu’on leur dit que leurs conditions d’évaluation sont une vaste blague, et quand on leur dit que pour faire un compte rendu de conférence de trois pages, il faudrait un minimum de contenu dans leurs conférences. La réponse est sans appel : nous devons allumer la télévision. Je me demande donc comment faire un compte rendu de conférence sur les violences policières en regardant BFM TV.

Initialement « en grève » pour nous permettre de nous mobiliser, les professeurs nous ont depuis le premier semestre accablé de devoirs maisons, balayant d’un revers de main nos objections lorsqu’on leur dit que la charge était trop importante, et nous disant que nous sommes évidemment tou·te·s des cas minoritaires. Nous n’avons toujours pas les notes du premier semestre, on comprend : iels sont en grève. Mais on doit déjà rattraper les matières non validées… Sans les notes. Tout cela n’a ni queue ni tête.

Il y a bien sûr un devoir à faire par matière à valider (et à rattraper) pour avoir la note de 12 minimum dans chaque matière. La note de 12 minimum avec rendu de devoir est une note décidée par les profs lors d’une réunion (mais bon apparemment les étudiants présents l’ont votée, sachant qu’iels n’étaient que les rapporteurs de décisions d’une réunion étudiante en amont - sur ce sujet entre autres, mais qui visait essentiellement à ne pas avoir de devoir maison pendant la mobilisation (dit : « des dossiers »)).

Les devoirs possibles :

• Devoir maison de 5 pages (ordinateur) sur un des sujets de cours (sans le cours).
• Compte rendu d’une conférence de l’université ouverte, 3 pages (ordinateur), pour l’instant vide de contenu.
• Compte rendu d’action 3 pages (ordinateur), je vais sûrement raconter sur 3 pages le récit du camarade traîné·e par les pieds et étranglé·e, avec de belles images littéraires (ça me rapportera des points), la manif de la CGT où rien ne se passe, l’AG préparée et manipulée, où encore l’action préparée avec les camarades pour laquelle je risque d’aller en prison.
• Atelier/conférence à préparer, l’optique de partage est, je trouve, très bonne. On doit rendre un compte rendu d’une page en plus (ordinateur).
• Vidéo de 5 minutes.
• « Dire pourquoi on est contre la grève » 3 pages (ordinateur)

Pourquoi ça ne sert à rien ?

Sans parler du fait que ce type d’engagement est politique et personnel, devoir étaler nos pensées est déjà problématique, le faire à des professeur·e·s qui ont leurs intérêts l’est encore plus. Une professeure a demandé à ses étudiant·e·s de lui envoyer tout ce « qu’iels voyaient et entendaient » (le fameux journal de bord).

Il faut surtout commencer par se demander ce qui est réellement nécessaire. Est-ce que rentrer dans un des dispositifs du NPA dans la fac a un réel intérêt ? Est-ce que ce que les professeurs nous imposent nous permet vraiment de nous mobiliser ? Et surtout pour quel motif ? La précarité étudiante n’apparaît même pas dans les emplois du temps des « universités ouvertes », on peut y lire « Fac mobilisée contre la réforme des retraites et la LPPR… entre autres. » Je ne sais même pas comment je fais pour ne pas être vulgaire, il paraît que ça rend mal dans l’oreille bourgeoise. Et que pour être entendu par le blanc il faut adopter ses codes.

Est-ce que, dans cette situation, le mieux à faire c’est n’importe quoi, de toute façon, c’est déjà organisé, le planning jusqu’au mois de mai est déjà quelque part ? Et qu’aller contre dans ces conditions c’est n’être que minoritaire ? Ou est-ce que faire ressortir le politique qui est en nous dans cette situation n’est que le rapport de force nécessaire à une lutte véritable, pas pour des emplois bourgeois, mais pour une vie qui est la nôtre ? Quand j’entends une professeure se plaindre en assemblée générale qu’elle ne gagne que 3 200€ net et qu’elle ne peut pas se permettre d’aller vivre à Paris, je me demande pourquoi et comment ce sont elleux nos professeur·e·s.

La « gauche » (lol) est morte de tou·te·s ses con·ne·s et on se demande, nous, jeunes, issus de l’immigration et des cités ce qu’il manque pour qu’enfin « la chaleur fasse fondre les barreaux des cellules. »

Et l’extrême droite ? Sérieux il se passe quoi ? La société part en sucette totale et on va se construire en faisant des conférences-débats « Politique universitaire : 15 ans de mise en crise du service public » et des « bagarres rendez-vous » (#lAFA) alors qu’iels en sont déjà à un réseau financier d’ampleur internationale, des camps d’entraînement en Autriche, des actions de très grandes envergures nécessitant argent et logistique (#lesAlpes), qu’un des leurs a même rejoint la Maison-Blanche (#Bannon) et qu’ils tuent partout, dans les mosquées et dans les synagogues du monde entier.

Ce coup de gueule sera peut-être mon premier devoir, celui où j’explique « pourquoi je ne suis pas pour la grève », c’est tellement manichéen, vide de sens. Un·e professeur·e prend toujours un·e étudiant·e de haut, a lieu d’expliquer qu’iel a tort, sans jamais se remettre en question, alors que ça fait x années qu’iels font la même merde (oups).

PS : ça fait bien 3 pages avec des interlignes doubles.

Note

Il s’agit là de mon université et n’inclut nullement les autres mobilisations.

Mots-clefs : université | grève | LPPR
Localisation : Saint-Denis

À lire également...