Récit des journées du 6 et 7 décembre au Lycée Mozart du Blanc Mesnil

Ce matin du 6 décembre 2018, nous avons constaté en arrivant au lycée que les élèves du lycée Mozart avaient entrepris un blocus. Ils avaient préparé un tract en s’appuyant sur l’appel de l’UNL pour formuler leurs revendications : refus de la sélection à l’université et de parcoursup ; refus de la réforme du baccalauréat et de celle de la voie professionnelle ; refus des suppressions de postes dans l’éducation.

Les élèves du lycée professionnel Jean Moulin voisin ont également organisé un blocus de leur côté indépendamment des élèves du lycée Mozart et ils étaient manifestement animés d’une forte colère. Certains d’entre eux étaient masqués. S’ils n’ont pas rédigé de tract, ils ont fait oralement part à certains d’entre nous de leur volonté de rejoindre les gilets jaunes, de leur sentiment de ne pas être écoutés, de leur refus de la politique de Macron ou encore de leur révolte à l’égard de la « tenue pro ». Nous avons rapidement appris que des troubles avaient eu lieu à Aristide Briand, le troisième lycée de la ville.
La situation s’est ensuite rapidement tendue. 

Un groupe d’élèves pour la plupart masqués et ne provenant pas du lycée s’est constitué et s’est mêlé aux élèves qui bloquaient. Des échauffourées se sont produites devant la grille. Puis un feu de poubelle a été allumé devant la grille du lycée Jean Moulin. Après l’intervention des pompiers, les élèves se sont déportés devant la grille du lycée Mozart. Un car de police a fait son apparition, ce qui a accru la tension, mais ils se sont finalement rapidement retirés. Le groupe d’élèves masqués ont voulu faire un nouveau feu de poubelles devant la grille de Mozart ce que des élèves du lycée ainsi que la vie scolaire et les enseignants présents sur le parvis sont parvenus à éviter. Le groupe des élèves masqués a donc déplacé les poubelles sur la rue pour y mettre le feu, ce qui a permis d’éviter tout dégât au niveau du lycée. Quelques bouteilles ont également été jetées sur la grille du lycée.
Nous sommes finalement parvenus avec des élèves du lycée à établir un dialogue avec le groupe des élèves masqués et à éviter qu’ils mettent le feu à une voiture garée à l’entrée du lycée. Dans cette discussion, ils exprimaient cette même colère dont certains élèves du lycée Jean Moulin nous faisaient part, de leur volonté de s’associer aux différents mouvements de protestation, de leur refus de parler à la presse, de leur solidarité à l’égard de nos revendications.

Malgré les incidents, on ne peut que constater le calme et la responsabilité de nos élèves qui ont su atténuer les tensions malgré la peur qui pouvait également les animer. Ainsi au même moment, un drame sans rapport avec le mouvement des élèves s’est déroulé dans un logement à proximité du lycée. Les élèves ont rapidement été prévenus et le message a été transmis au groupe masqué pour leur demander de laisser passer le SAMU et la police qui devaient intervenir à ce moment et ils ont entendu et respecté cette demande.

En discutant avec les élèves , nous avons pu également constater leurs sentiments partagés. De nombreux élèves qui s’étaient mobilisés pour organiser un blocus désapprouvent les modalités d’action du groupe masqué et les déplorent. D’autres élèves s’interrogent : à quoi bon continuer à faire des tracts et des blocus pacifistes puisque depuis longtemps plus personne ne nous entend ? Reste-t-il d’autres voies possibles que la violence ? Ces élèves masqués n’ont-ils finalement pas raison ? Telles sont les questions qu’ils nous posaient.

A midi, quelques élèves étaient toujours confinés dans l’enceinte du lycée avec interdiction de sortir sans que leurs parents ne viennent les chercher, cela, alors même qu’ils souhaitaient partir et qu’à ce moment précis, il aurait été possible de les faire évacuer sans danger.
Alors que les autres lycées du secteurs avaient fermé, que tout indiquait que les troubles allaient reprendre dans l’après midi si le lycée restait ouvert, que les fumées avaient envahi les locaux, la proviseure a refusé de fermer le lycée, sur les ordres de la préfecture et de l’inspection académique. Les personnels du lycée enseignants, vie scolaire et agents ont donc massivement fait valoir leur droit de retrait.

Vendredi 7 décembre

Nous sommes arrivés ce matin au lycée vers 7h45. Vers 8h00, nous avons constaté que les élèves étaient massés sur le parvis du lycée, et qu’ils refusaient d’entrer : ils faisaient blocus sans utiliser de poubelles. Tout était très calme et apaisé. Nous avons appris que plusieurs élèves avaient été interpellés le matin plus tôt, apparemment car ils cherchaient des poubelles pour organiser le blocus. Nous avons appris ensuite que ces élèves, une dizaine et non un seul comme il nous a été dit par la direction, avaient été emmenés au commissariat pour une vérification d’identité. Ils ont ensuite été relâchés.

Nous avons été plusieurs à souligner dès le début de la journée et depuis la veille que le lycée devait être fermé : des appels au rassemblement de tous les lycéens des environs tournaient sur les réseaux sociaux. Pour éviter toute violence contre les élèves ou contre l’établissement, fermer le lycée aurait été la bonne chose à faire : cela aurait évité qu’il ne devienne une cible. Nous n’avons pas été écoutés.

Lors d’une AG qui s’est déroulée sur le parvis, les professeurs présents ont voté la grève à l’unanimité. La grève a été votée en soutien aux élèves, et également pour protester contre la réforme du bac et Parcoursup.

Plusieurs élèves ont exprimé leur volonté de rejoindre la manifestation parisienne à Stalingrad. Plusieurs professeurs ont décidé de les accompagner, pour éviter tout débordement éventuel. Il faut dire que les images de 150 lycéens agenouillés, mains sur la tête, filmés par des policiers goguenards qui ont été diffusées hier ont été particulièrement choquantes : comment envisager de laisser les élèves livrés à eux-mêmes ?

Un cortège d’une cinquantaine de personnes s’est rendu à la gare de Drancy criant les slogans du lycée et recueillant de nombreuses marques de soutien. Une trentaine de personnes a rejoint la manifestation parisienne qui était d’un très grand dynamisme et a rassemblé plusieurs milliers de lycéens très déterminés et aucune casse ni débordement n’a été constaté, la police étant invisible jusqu’à République.

Pendant ce temps, une altercation très violente a eu lieu entre le hall et la grille du lycée. Une élève demandait depuis une demi-heure à sortir, or sa mère ne pouvait pas venir la chercher, et le père est absent. Cette élève était en larmes et hurlait pour qu’on la laisse sortir. Elle a été physiquement empoignée et retenue, tandis qu’un membre de la direction faisait barrage devant la grille du lycée pour l’empêcher de sortir. Elle se débattait et était contrainte physiquement. Cela a évidemment attiré d’autres élèves, qui ne comprenaient pas pourquoi elle était retenue ainsi. Il est inacceptable qu’on assiste à des scènes d’affrontement ou d’altercation physique entre des adultes du lycée et un élève.

La situation s’est tendue du fait de l’arrivée d’un groupe de jeunes masqués qui se sont saisi de poubelles, en ont incendié une sur la chaussée, malgré l’opposition des élèves et du personnel éducatif. Nous avons à nouveau demandé à ce que le lycée soit fermé. L’inspectrice du rectorat présente a dit que le lycée devait rester ouvert, que les élèves étaient en sécurité à l’intérieur. Elle a sous-entendu que nous, enseignants, avions une responsabilité dans cette situation.

Ensuite les AED qui avaient pourtant réussi à établir un dialogue et à contenir les violences, ont reçu l’ordre de rentrer dans le lycée. Et là, la situation a dégénéré : départs de feu, renversement d’un conteneur à verre. Des jeunes non identifiés ont commencé à jeter des bouteilles et des projectiles sur le lycée passant au-dessus de la tête des élèves. Des vitres ont été cassées. Des personnels et des élèves ont été soumis à un stress et à une angoisse importante. Les fenêtres de la loge et du logement attenant ont été brisées. Tout ceci sous l’œil placide des forces de police.
Les personnes masquées s’en sont alors prises à la grille du lycée, qu’ils ont arrosée d’essence et enflammée.

A ce moment-là, l’inspectrice académique qui avait soutenu envers et contre tout que le lycée devait rester ouvert et que les élèves et personnels à l’intérieur étaient en sécurité, s’enfuit en voiture. Un agent parvient alors à éteindre le feu devant le lycée, permettant aux AED de reprendre le dialogue pour apaiser les choses. Un ordre d’évacuation avait été donné. Mais les personnels et les élèves se sont ensuite retrouvés confinés au lycée Jean Moulin, et n’ont pu partir qu’aux alentours de 11h.

Comme nous le faisons observer depuis le début de l’année scolaire, il n’y a eu, encore une fois, aucune communication officielle à l’adresse de l’ensemble des enseignants de la part de la direction. De nombreux professeurs qui commençaient leurs cours après 10h sont arrivés sans connaissance aucune de la situation. Vendredi après-midi à 15h30, alors que nous rédigeons ce communiqué, la direction ne s’est toujours pas adressée à nous.

Plusieurs questions méritent d’être posées :

• Pourquoi, alors que depuis plusieurs jours des appels aux rassemblements, blocus et violences contre les établissements scolaires sont légions sur les réseaux sociaux, la décision n’a-t-elle pas été prise de fermer le lycée ? Nous avons réitéré la demande de fermeture à de nombreuses reprises, notamment lorsque nous avons exercé notre droit de retrait le jeudi 6 décembre, nous avons souligné les risques auxquels les élèves, les personnels et l’établissement étaient confrontés, et nous n’avons jamais été entendus. Pourquoi avoir attendu qu’il y ait des dégâts pour prendre cette décision ?

• Les personnels de l’établissement sont-ils autorisés à faire usage de la force physique contre une élève souhaitant sortir de l’établissement ?

• Depuis des années, nous demandons plus de moyens humains pour le lycée ; plus de postes de CPE, d’AED. Et nous nous sommes mobilisés contre les suppressions de postes annoncées par le ministre Blanquer. Nous avons constaté aujourd’hui qu’à la minute où les AED sont rentrés dans le lycée, les violences ont commencé. Et que, hier, c’est grâce à l’intervention d’un professeur et d’un CPE qu’une voiture n’a pas été brûlée. Nous affirmons à nouveau que seule la présence d’adultes en nombre permet de contenir les éventuelles violences et surtout de les prévenir. Alors pourquoi avoir contraints les membres de la vie scolaire à rentrer ? Pourquoi culpabiliser, diffamer, et menacer les professeurs présents sur le parvis d’une retenue sur salaire ? Pourquoi intimider les élèves qui se mobilisent pour leur avenir ?

• Pourquoi une gestion aussi catastrophique alors que tous les évènements qui se sont produits étaient largement prévisibles ? Les professeurs qui ont participé à la manifestation ont rencontré des collègues d’autres établissements, ce qui leur a permis de constater que seuls les établissements dont le rectorat a décidé qu’ils resteraient ouverts ont été la cible de violences.

La responsabilité des directions d’établissement et du rectorat est donc patente dans l’apparition de violence dans et autour des blocus d’élèves. Nous ne pouvons que craindre qu’il s’agisse d’une volonté politique de faire taire les lycéens et d’écraser leur mouvement en le marginalisant par la violence.


Des professeurs du lycée Mozart présents ce jour

Mots-clefs : grève | luttes lycéennes
Localisation : Le Blanc-Mesnil

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