Récit de la manif du 14 juin à Paris par des Lyonnais·es

La manifestation contre la loi travail du 14 juin vue par des Lyonnais·e, ou « Ce que Paris peut nous apprendre sur les manifestations ».

La manif de Paris on en avait parlé entre copains « Trop cher d’y monter ! ». On a déjà pas un radis, alors mettre 50 balles dans une place aller-retour avec la CGet… et puis en discutant un peu on a finit pas se motiver. D’autres copains ont trouvé des places gratos dans un bus. On a tous envoyé des mails.

On est parti à 6h mardi. Sur l’air de péage d’Auxerre on a commencé à comprendre qu’y allait avoir du monde. On croisait des bus de la région Rhône-Alpes et même des copains de Lyon montés en bagnole. Arrivés sur Paris, il y avait des bouchons énormes créés par les centaines de cars qui arrivaient tous à Porte d’Italie. L’heure avançant et voyant que la circulation était complétement bloquée, le chauffeur nous a déposé pile avant le périph’, comme tous les autres chauffeurs d’ailleurs. Des milliers de gens étaient déjà en train de converger vers la place d’Italie. On a pris la chaussée directement…

A 13h30, quand on est arrivé à place d’Italie, la place était déjà noire de monde. Ou plutôt colorée. On a regardé un peu sans s’attarder. Mis à part les dockers, ça avait pas l’air folichon… Eux ils avaient la classe ! Des caisses claires qui fanfaronnaient en mode militaire… Des gueules de voyoux. On voyait que ce n’était pas des rigolos.

Y’avait sans doute plein de gens « déter » parmi les syndicalistes, mais nous ce qu’on voulait c’était rejoindre la tête de cortège. On ne connaissait pas trop Paris (et on ne connait toujours pas Paris d’ailleurs parce que Paris c’est un gouffre urbain où tu ne comprends même pas où est le nord) et on ne savait pas trop comment la tête de manif fonctionnait, alors il y a eu une seconde d’hésitation. Mais franchement, avec les images qu’on avait vues sur les réseaux sociaux, il fallait qu’on se tienne à côté de la lutte. On a croisé des têtes connues sur le chemin. Il y avait cette fille sympa qu’on avait déjà vue à plusieurs reprises à Lyon. Elle venait de se faire ouvrir le crâne par des flics. Sans sommation, rien, juste parce qu’elle est déter et qu’elle se tient justement dans la lutte. Ça ne nous a pas fait peur. De toutes façons, on a capté que ça passerait par là s’il le fallait.

On a remonté un bon moment le cortège pour arriver vers les 14h30 dans la masse noire. Y’avait bien quelques couleurs, mais faut dire qu’après le sponsoring de Décathlon, on ne trouvait pas trop de chasubles rouges… Je dirais qu’il y avait bien 10 000 personnes dans cette tête de manif. Dans la foule noire, on distinguait quand même des gens bigarrés. J’ai pris l’habitude de parler aux gens dans la foule. C’est peut-être un défaut disciplinaire, vous me direz… mais on apprend plein de chose à parler aux gens qui marchent à nos côtés. On apprend surtout à se reconnaître, à s’entraider, à être ensemble.

Y’avait une femme de la cinquantaine. Je lui ai souri en la remerciant et en lui demandant ce qu’elle foutait là (bon, j’ai été un peu plus poli parce que j’ai eu un profond respect pour cette dame le temps de notre rencontre, si éphémère qu’elle ait pu être). Elle accompagnait ses enfants. Je me suis retourné et j’ai vu trois jeunes en noir. Sweats à capuche, lunettes de ski et foulards. J’ai souri. Je leur ai dit que j’aimerais bien que ma mère marche à mes côtés dans ce genre de manif.

On a croisé quelques chasubles, et pareil, en causant on a appris qu’ils venaient de Lille. D’habitude, ils marchaient aux cotés de leur syndicat, la CGet. Mais là, ils voulaient vivre, eux aussi, les images qu’ils avaient vues, se tenir à côté de la fronde, la vraie, pas celle du PS qui fait mine qu’elle va voter la motion de censure au 49-3. Ils ont raconté qu’ils avaient même tenu la ligne devant. Mais les gaz lacrymos sans sommation ça pique quand même, alors ils s’étaient mis un peu dans le cœur de la tête avant d’y retourner. Je me suis démasquée, j’ai enlevé mes lunettes et j’ai souri aussi.

Je souris parce qu’on est « en route pour la joie ».


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Localisation : Paris

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