Raconte ta grève ! Témoignages croisés après 6 semaines de mobilisation

On traverse un moment particulier, que chacun·e vit avec des nuances, des ressentis différents. Le temps et l’espace, les rapports aux autres aussi ont été modifiés. Loin des sujets faits et refaits des médias dominants, quelques personnes racontent leurs grèves, les espoirs et leurs doutes sur le mouvement, leurs joies ou frustrations lorsqu’on s’organise, qu’on s’engueule et qu’on se rencontre ; ou juste les détails qui font le corps de cette période inédite de l’hiver 2019-2020.

Est-ce que tu es en grève ? Pourquoi tu es en grève ? Peux-tu expliquer pourquoi c’est important à tes yeux ?

Rachel :
Oui, je suis en grève, parce que nous sommes à un tournant social, dans une guerre de valeurs parce que nous avons les moyens d’une société juste et qu’on ne peut pas la réaliser à cause d’un pouvoir rigide.

MILLE :
Je ne suis pas en grève, car chômeuse, mais à fond dans le mouvement, je lutte avec l’interpro du 20e, qui permet justement aux personnes isolées comme moi de prendre part au mouvement. Cette grève est importante pour moi parce qu’entre la réforme du chômage et des retraites, je suis en plein dans le cœur de cible des réformes néolibérales.

ISSA :
Je suis en grève depuis 6 ans en fait. Salariée dans une institution culturelle dont l’organisation portait tous les symptômes des effets dévastateurs du management à l’américaine… Ça sentait la mort, alors je suis partie. Depuis je suis moins dans le confort, sortie du salariat, j’ai décidé de déserter et aller à la rencontre de plein d’autres gens, d’autres endroits à la recherche de lucioles… et me sens pleine de vitalité depuis !! CHUI DAKOR + Greve générale jusqu’à la retraite et même après s’il le faut.

Y a un moment où il faut se battre pour ne pas avoir la tête sous terre avec un capitaliste/macroniste/droitard qui t’appuie dessus avec son pied.

Mona :
Je suis en grève depuis le 5 décembre. J’avais prévenu à mon boulot « Vous me reverrez en janvier. » Quand effectivement, je suis revenue en janvier pour travailler deux jours (j’ai bossé 3 jours depuis le 5 décembre), je leur ai proposé : « Pourquoi vous ne fermez pas les jours de manif ? » Je travaille dans une bibliothèque.
Un collègue suit le mouvement (c’est un mec politisé depuis longtemps qui va tous les samedis aux manifs de Gilets jaunes). Il vient aux manifs contre la réforme des retraites, nous envoie des photos et des infos par mail. Les autres soutiennent la grève, mais ne la font pas. Les services dits « support » type secrétariat, comptabilité sont plus timorés et ont fait comme si de rien n’était — ils ont pris des jours de télétravail. Ils ne se sont pas revendiqués grévistes à ma connaissance. Comme on dit entre nous, certains iraient bosser ventre à terre.

Je suis en grève parce que la réforme de Macron c’est de la merde, que toutes les réformes (mot galvaudé qui veut dire recul) proposées actuellement (loi Travail, loi assurance chômage, etc.) c’est de la merde et que nos droits reculent sans cesse. Y a un moment où il faut se battre pour ne pas avoir la tête sous terre avec un capitaliste/macroniste/droitard qui t’appuie dessus avec son pied.

En décembre, j’ai perdu la moitié de mon salaire, mais j’avais eu mon 13e mois début décembre.

RIC :
Quand je peux, je fais grève, parce que je vois déjà la merde que c’est pour ma tante qui touche 700 euros de retraite à cause du chômage dû à sa santé précaire, mais plus largement parce que je suis contre ce système.

CAMILLOU :
Je suis en grève sur les temps forts seulement, malheureusement : les AG n’ont pas réussi à reconduire. Les collègues restent soumis, préfèrent la grève par délégation ou ne croient pas à la possibilité de victoire quand bien même ils sont contre la pseudo-réforme.
Je lutte pour la justice et un monde meilleur.

CAMCAM :
Je suis en grève depuis le 5 décembre 2019. Je suis en grève pour défendre les acquis sociaux et défendre mes droits.
Il est important d’être en grève pour éviter que des lois injustes soient votées. L’union fait la force.

Est-ce que tu vas quand même au taf ? Et comment ? Ça te prend combien de temps ? Et au fait, tu fais quoi comme taf ?

Rachel :
Oui, de temps en temps, je suis prof dans le 93, ceci explique cela. On veut juste remettre l’éducation et la culture au cœur de la société.

MILLE :
Je pense que ce mouvement après les GJ et tous les mouvements précédents sera peut-être celui de la fin de règne du néolibéralisme. En espérant mieux pour les Chiliennes et Haïtiennes aussi.

J’essaie de réfléchir à une autre façon de travailler. Oui, de temps en temps, le moins possible… Le système est trop pourri.

ISSA :
J’essaie de réfléchir à une autre façon de travailler. Oui, de temps en temps, le moins possible… Le système est trop pourri.
Taf : rêver, cueillir, regarder les nuages, vivre, sourire, respirer, caresser les chiens, faire des pizzas, danser, chanter, etc.

Mona :
Je suis allée au boulot 3 jours. La première fois une journée avant les vacances de Noël, car il fallait qu’on fasse le point sur certaines choses. Puis en janvier, j’en ai profité pour chercher mon bulletin de salaire de décembre et mes tickets restau de janvier.
En janvier, je suis allée bosser à pied (1h de marche aller et un peu de bus). Je parle un peu avec les gens sur le trajet, quand l’occasion se présente, histoire de prendre la température du mouvement. Mes collègues vont donner l’argent du remboursement du titre de transport de décembre à la caisse de grève.

RIC :
Pas de chance pour moi j’habite à côté de la 14 et mon taf est à Saint-Lazare, donc pas d’excuse.
Je suis serveur dans un petit fast-food on est 4 salarié·e·s ; 3 serveur·euse·s et notre patron taf avec nous. Si on n’est pas là, le risque c’est de fermer boutique. Déjà en décembre pour réduire les pertes parce que la saison forte c’est en été (on vend des salades), le patron nous a mis tour à tour en vacance une semaine en décembre et a totalement fermé 2 semaines. Là, on vient juste de rouvrir et c’est la reprise du chiffre. Mon patron (patron ouvrier) ne s’est pas payé le mois dernier. Aussi comme on taf que 2h par jour j’ai l’occasion de faire d’autres trucs et d’aider d’autres secteurs même les jours où je ne suis pas en grève.

CAMILLOU :
Je vais au taff à pied en 40min, je suis plutôt chanceux, ce n’est pas beaucoup plus long qu’à métro. Ça m’a permis de découvrir une épicerie allemande avec pas mal de bières que je ne connaissais pas.
Je bosse à la DRFIP Paris, rue Réaumur, je suis à Solidaires Finances publiques.

CAMCAM :
Il m’arrive d’aller au taf, mais uniquement 2 jours par semaine, car je fais un métier social.

Comment tu t’organises avec tes collègues ? Tes voisin·e·s ? Est-ce que tes potes se sentent concerné·e·s ?

Rachel :
Oui, parce que je n’arrive plus à parler à ceux qui ne se sentent pas concernés, on doit alimenter une caisse de grève, mais c’est compliqué.

Je n’arrive plus à parler à ceux qui ne se sentent pas concernés

ISSA :
Pas facile quand on a des proches qui ont du mal à s’intéresser à ce qui se passe, certains vont vers la petite-bourgeoisie hostile (ou peureuse) aux « mouvements sociaux ».

Mona :
Mes collègues habitent au centre de Paris et ils peuvent donc venir sans trop de problèmes au boulot, en prenant le bus. De mon côté, j’ai un vélo, mais j’avais prévenu mes collègues dès le départ que je ferais grève. Aucune surprise. Quand je suis revenue au boulot on m’a appelée « la revenante ». Ils soutiennent la grève, mais vont bosser. La bibliothèque a toutefois été fermée le 5 décembre et un ou deux autres jours. Les jours d’ouverture, c’est horaires réduits.

Mes potes se sentent évidemment concernés. Certains soutiennent, d’autres militent activement. Quelques-uns ont souffert pendant les vacances de Noël quand ils ont tenté de convaincre leur famille réac. Une copine est devenue spécialiste des régimes spéciaux à cause des discussions familiales et des vieilles rengaines autour de « ces privilégiés… »
Pour ma part, j’ai toujours un choc quand je rencontre des gens à qui la réforme convient, notamment pendant des tractages, jour de marché. Les « allez bosser » ou les remarques un peu clichées sont fatigantes. Il faut être au taquet pour contrer l’invective et la mauvaise foi. Les vraies discussions sont rares, en face, il y a souvent peu d’arguments.

RIC :
J’ai une collègue qui dépend des transports donc y a plein de moments où elle ne peut pas venir, mais sinon c’est la seule à faire grève et donc elle me permet de pouvoir faire grève quand c’est pas un jour de mobilisation nationale. Par contre, l’autre est européenne et comme elle ne veut pas rester en France, mais s’installer au Royaume-Uni elle dit qu’elle ne veut pas faire grève parce qu’elle s’en fout. Le dernier est Bengali et l’argent c’est pour sa famille restée au pays. Je n’ai pas de contact avec les voisins. Mais avant la fermeture de Tolbiac, c’est là-bas que j’allais et là depuis le retour des trois semaines de vacances, je vais au dépôt RATP à côté de chez moi.

CAMCAM :
Mes collègues sont très peu grévistes sauf lorsqu’il y a une journée de manif interpro. Je ne côtoie pas mes voisins, car leurs idées sont nauséabondes et sont souvent chômeurs.
Mes potes sont présents aux manifs.

Comment tu vois ce mouvement ? Qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ?

Rachel :
Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’on est atomisés. J’aimerais une immense joie collective.

Issa :
Il était temps que ça prenne de l’ampleur, j’aimerais atténuer la barrière, la vitre qu’il y a souvent entre les militants, politisés, et les gens apolitiques (un peu) involontairement. Que tout le monde soit plus souple les uns avec les autres. Qu’on s’unisse plus facilement.

Mona :
J’ai peur de l’effet pourrissement après presque 2 mois. J’ai peur que les plus mous se retournent contre les grévistes. La colère n’est pas assez tournée vers Macron. Je vois aussi qu’il y a une minorité de gens qui se bougent, qui sont très actifs, mais est-ce suffisant ? Heureusement, la manif de jeudi avec presque 400 000 personnes de République à Saint-Augustin m’a remonté le moral. Les gens étaient venus nombreux et motivés. Les AG et les petites actions locales aident à tenir le coup.

Je vois moins mes potes donc j’ai fait ami-ami avec d’autres gens et ça c’est grâce à cette grève.

RIC :
C’est ouf. À cause de la fermeture de mon ancienne fac (P1), j’ai été obligé d’aller voir ailleurs et donc je suis allé voir la RATP des bus. Pour être honnête, à cause du manque de mobilité, je vois moins mes potes. En fait plus du tout depuis 1 mois donc j’ai fait ami-ami avec d’autres gens et ça c’est grâce à cette grève.
On doit réinventer nos socialités localement, dans des mégalopoles, des villes où l’anonymat et l’individualisme est la norme il faut briser ces logiques.
RIC pour « révolution, insurrection, confédéralisme » démocratiques !

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