Quelques questions avant la fin du monde

Témoignage de deux occupants d’Italie 2 arrivés entre 11h et 14h et restés jusqu’à la décision de quitter les lieux à 4h. Beaucoup d’interrogations et d’incompréhensions par rapport au déroulement de la journée, mais une journée très intéressante politiquement en termes de convergence de diverses composantes du mouvement social et qui peut être annonciatrice d’une grosse semaine d’action.

Début de journée, convergence écolo-GJ-Adama-individus

L’annonce du « consensus d’action », et pas de son contenu, à l’entrée était la seule communication destinée aux personnes arrivant dans le lieu. Des fois, cette annonce n’était même pas faite. Il a manqué selon nous un vrai espace d’accueil pour orienter et parler avec les gens, ce qui aurait permis d’en discuter et de ne pas en faire un dogme. Une vraie question que l’on se pose est : où a-t-il été décidé et s’il a été rediscuté dans la journée (déso, on n’est pas allé aux AG en début de journée). Les règles étaient floues et n’étaient écrites nulle part (à part pour délimiter l’espace fumeurs…), mais ce flou n’empêchait pas des gens de reprendre ceux qui ne respectaient pas des règles qu’ils ne connaissaient le plus souvent pas ou qu’ils refusaient d’appliquer.
Des groupes avaient l’air définis pour tenir des rôles, mais semblaient assez opaques dans leur fonctionnement et très peu accessibles pour les rejoindre (Peace-Keepers [1], groupes aux portes, référents des différents groupes, groupe de blocage mobile…).

Les cadres de discussion étaient malheureusement difficiles à suivre en raison de l’espace et du bruit, mais encore plus à rejoindre en cours, car c’était compliqué de comprendre le but/le sens de la discussion.

Pendant toute la première partie de l’occupation, les allées et venues étaient libres malgré un temps d’attente souvent long et une incompréhension de la gestion des flux à l’entrée, liée à notre avis à la problématique de sécurisation de la porte et aux réunions entre les bloqueurs qui attiraient des gens dans un espace très réduit.

Quand nous sommes arrivés, les caméras étaient en train d’être recouvertes de stickers, et le peu de tags qui avaient été faits se faisait systématiquement nettoyer par des militants XR [2] Peace-Keepers.

Un stand d’une startup qui vendait des cookies avait été abandonné par sa gérante. Des camarades l’ont réinvesti et transformé en infokiosque dans lequel les cookies cuits au fur et à mesure par les militants étaient offerts. Puis un débat a eu lieu par rapport à la vente ou non à prix libre de ces cookies pour rembourser les pertes de la gérante du stand. Qu’est devenu l’argent ?
Les diverses interventions, l’aspect intergénérationnel et la diversité des groupes militants présents nous rendent optimistes pour la suite bien que de nombreuses incertitudes persistent que l’on va essayer de pointer par ici.

Changement d’ambiance et montée de la pression

Vers 17-18h, grosse arrivée notamment de GJ (surement après la manif), passage d’une ambiance écolo tranquille à une ambiance GJ festive (chants pendant 30 min sans interruption, on avait mal au crâne après =) ). La régulation des entrées a été de plus en plus étroite, car saturée. Puis la décision a été prise de fermer complètement les entrées et de déplacer la sortie de l’autre côté du centre commercial, aux alentour de 19h15, 19h30, incompréhension générale d’une partie des gens même si beaucoup n’en avaient même pas conscience. Le centre s’est progressivement vidé même si beaucoup de gens étaient toujours dedans.
Vers 20h, la porte qui servait d’entrée (en face de la HSBC) a vu les flics repousser les gens qui faisaient une chaîne à l’extérieur ce qui a conduit à une montée en tension générale (et des appels aux bloqueurs), cette période correspond à la fermeture de l’autre partie du centre commercial qui avait fonctionné toute la journée. Dans l’heure qui suit, le climat ambiant s’est crispé et le moindre déplacement de policiers entrainait des mouvements de foule, d’ailleurs ceux des journalistes rapaces et des médics affolés participaient à renforcer l’aspect anxiogène de la situation. On a alors vu les keufs se mettre en place derrière la grille dans la zone vide du centre commercial. Les différentes portes étaient alors défendues par des lignes de militants assis ou faisant des chaînes ce qui était assez rassurant pour les gens en termes d’organisation. Avec d’autres camarades, on fait le tour de toutes les entrées et sorties, pas rassurés par le comportement préintervention des keufs (arrivé de la BRI), des gens de XR, notamment une AG improvisée à 100 qui discutaient de partir, mais n’a à aucun moment prévu ni de prévenir ni de demander leurs avis aux autres personnes présentes dans le centre. Une fois une issue trouvée, nous sortons du bâtiment par la terrasse située derrière le théâtre et allons prendre place sur l’esplanade centrale de place d’Italie avec une cinquantaine de personnes pour suivre la situation, entre live-Facebook et vue des évènements, nous constatons la résistance admirable des gens à l’intérieur qui réussissent à empêcher la police de rentrer avec la constitution d’une grosse barricade (au niveau du Nature et Découverte) tenue au moins par 50 personnes.
Une fois cet assaut repoussé, départ des nombreux effectifs policiers présents, incompréhension générale.

Réouverture d’une des portes qui donnent sur l’esplanade

Une fois les keufs partis, les gens sur l’esplanade et ceux qui avaient bougé devant les autres entrées (avenue d’Italie et rue Bobillot) reviennent devant l’entrée principale d’Italie 2. Les gens à l’intérieur décident d’ouvrir une des portes ce qui permet désormais une libre circulation sans attente ni régulation des flux par les « organisateurs ». Après quelque temps passé sur l’esplanade, nous décidons de revenir à l’intérieur du centre. L’ambiance a changé, beaucoup de gens sont partis, il y a encore la liesse de la tentative d’évacuation repoussée. Les zones fumeurs et l’interdiction de l’alcool ne sont plus respectées. Le nombre de Peace-Kepper et de militants XR s’est réduit en proportion des autres occupants (Gilets jaunes, autonomes, etc.). Après avoir fait le tour du centre est aperçu un journaliste proche de l’extrême droite, qui avait déjà été sorti de l’occupation en début de journée et qui est revenu. Assez rapidement, un groupe de personne se masque et décide de le faire sortir et si possible de lui prendre sa carte mémoire qui contient de nombreuses images qui, données à la police ou à l’extrême droite, mettraient des gens en danger. Cependant, cette tentative a été interrompue par les Peace-Keeper, qui souhaitaient éviter à tout prix la moindre violence. Le manque de dialogue entre les deux groupes a fait que le journaliste a pu sortir avec sa carte mémoire et a même reçu des excuses de la part d’un militant non violent.

Quelque temps plus tard, une AG au sous-sol a été annoncée, nous y allons. L’espace du sous-sol est saturé et il est difficile d’entendre ce qui se dit dans les échanges. Le débat est un bilan de la journée et pose la question de rester plus longtemps ou de partir maintenant. Il est à peu près minuit. Des militants de XR expriment qu’ils ne veulent pas que ça dégénère ce qui changerait l’image médiatique que donne l’occupation, et songent à partir. C’est perçu par certaines personnes comme une désolidarisation de la suite des évènements, même si XR s’en défend. Se confrontent alors deux points de vue, l’un voulant voir cette journée comme une victoire déjà acquise à l’écho médiatique positif et important, félicitant l’absence de dégradations majeure et les solidarités créées. L’autre plus réservé, de militants Gilets jaunes ou autonomes, rappelant que ce n’était pas vraiment une victoire puisque rien n’est changé en profondeur, et que si le « consensus d’action » avait été respecté ce n’est que grâce à la bonne volonté des occupants qui ne défendent pas une ligne de non-violence stricte. Des militants XR rétorquent alors qu’ils ont été souples avec le « consensus d’action », sous-entendu que nous devrions nous estimer heureux de leur tolérance. Un occupant pose alors la question des vitrines, il estime que l’interdiction de se servir dans les magasins, bien qu’il la comprenne et l’accepte, est « une violence de classe ». Il ne lui sera répondu que par l’argument médiatique. Est alors voté que « le consensus d’action » sera respecté jusqu’à 8h du matin. Et que la prochaine AG se tiendrait aux alentours de 2H30.
À chacune des prises de paroles, l’organisation d’appartenance des intervenants n’est pas exprimée, hormis pour le « médiateur » de l’AG, qui tient de fait une tribune et distribue la parole tant bien que mal. Il est alors compliqué de faire la différence entre les individus et les personnes défendant une ligne d’organisation. Ce manque de transparence d’XR, assez politicard, n’est peut-être pas conscient et délibéré ou du moins, pas assumé.

Lors de l’AG de 2h30, qui dure jusqu’à 3h40, la discussion ne tourne plus qu’autour de la question des flics qui seraient dans les sous-sols et du départ le plus vite possible. Cela aboutit à la sortie de tous les occupants en abandonnant beaucoup de matos derrière…

Interrogations

Cela nous amène à mettre sur la table certaines de nos interrogations, sans animosité, mais qui nous semblent nécessaires pour pouvoir continuer à nous engager sereinement à vos côtés :

— Qui a organisé ça, XR ou juste une partie d’XR ? Cette question est revenue de nombreuses fois lors de la journée.

— Quel était l’objectif initial ? Un coup médiatique ou une convergence entre différentes composantes du mouvement social ? Les deux réunis ? Ou l’occupation durable était-elle envisageable ?

— Quels sont les rôles des gens présents (XR, référent, peace-keeper…) ?

— L’ouverture à d’autres sensibilités lors de vos actions vous questionne-t-il sur le rapport au média et autre format vidéo (live Facebook…) qui sont présents ? Chacun ne devrait-il pas avoir le choix de voir sa tête affichée publiquement ou non lors d’une action illégale ?

— Le manque d’espace d’accueil et de formation des personnes chargées des entrées pose de nombreux problèmes en termes d’infiltration policière ou d’extrême droite.

— La gestion de la présence des mineurs et le manque d’information générale sur les questions juridiques (jusqu’à l’arrivée d’un référent) nous posent un problème en termes de responsabilité.

— Initialement était-il prévu quelque chose sur les caméras de surveillance ? Leur masquage a-t-il juste été fait à l’initiative d’individus ?

— Pourquoi la communication a-t-elle été aussi compliquée alors qu’il aurait suffi de récupérer le micro ayant servi à différentes interventions en début d’aprèm pour faciliter la communication/information auprès du plus grand nombre ?

— Y a-t-il eu des liens/négociation avec la police ? Si oui, de quelle nature et par qui ?

— Si l’intervention policière avait réussi, quel choix auriez-vous fait pour y répondre ? L’aspect binaire de l’offre de réaction qui a été proposée lors de la journée est problématique (Die in ou occupation des escaliers centraux). En termes de défense juridique quel est votre point de vue ?

— Si des interpellations avaient eu lieu, auriez-vous soutenu juridiquement et/ou financièrement des individus ne faisant pas partie des collectifs organisateurs, mais ayant participé à l’action ? Si oui, à quelles conditions ?

Note

PS : On interpelle beaucoup Extinction-Rébellion, mais la plupart de nos réserves s’appliquent également aux autres collectifs organisateurs.

PS2 : On ne nie pas la diversité de points de vue au sein des organisations, mais on cible ici l’aspect général des évènements.

Notes

[1Les Peace-Keepers étaient les personnes chargées de faire respecter le « consensus d’action » et d’apaiser les conflits quand il y en avait. Ils étaient reconnaissables à leurs gilets orange

[2Extinction Rébellion

Localisation : Paris 13e

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