Quelques considérations sur les maraudes

« Marauder » consiste à aller à la rencontre des plus socialement démunis, dans la rue, souvent en soirée. Compte tenu de son caractère mobile et pour faciliter une rencontre, les équipes proposent principalement des boissons chaudes transportées dans des sacs à dos, parfois des produits d’hygiène ou de la nourriture ; là où un camion ou une cantine peuvent proposer des repas (cela peut être une limite des maraudes, d’ailleurs).

L’objectif clair est d’identifier les « publics fragilisés », identifier leurs besoins ou les localiser, puis faire remonter ça aux services sociaux (les mairies, les coordinations de maraudes, etc.). Sur les répercussions que cela a ensuite en terme de politique publique, les maraudeurs n’ont plus aucune visibilité. Tout ce que l’on voit avec certitudes, ce sont les belles brochures des mairies, celles de Paris en particulier.
Pourtant, diffusée et améliorée, la pratique de la maraude pourrait clairement être bénéfique politiquement car si elle peut paraître caritative de prime abord, elle présente tout de même plusieurs intérêts en terme de perspectives politiques (notamment pour les milieux militants homogènes en terme de pratiques et de composition).

Sur la méthode, on peut pointer de nombreuses limites : cela ressemble à du caritatif, l’approche paraît misérabiliste et sentimentaliste.
Certes, mais très pratiquement, cela permet surtout de connaître les injustices auxquels sont confrontés les plus socialement démunis, de connaître leurs besoins. Principalement, ceux auxquels chacun de nous reste profondément attaché : la justice sociale, la liberté, la solidarité, parfois de l’internationalisme, etc.

D’autres perspectives s’ouvrent encore par la pratique des maraudes.
Il y a bien évidemment une rencontre avec une véritable altérité. Nous connaissons tous vaguement quelqu’un qui est sans-papiers ou réfugié politique. Ici, la réalité s’amplifie : sans-papiers, sans-abri, réfugiés politiques, mal-logés, Roumains et Bulgares, familles ou « isolés », mineurs isolés (MIE) refoulés par la PAOMIE, etc., dorment dans la rue, résistent à l’oppression policière, survivent, cherchent à s’en sortir ou pas, pratiquent la solidarité ou sont atomisés.
Dans les équipes de maraudeurs aussi, une certaine hétérogénéité se retrouvent : prolos, anciens sans-abri, régularisés, petite-bourgeoisie, etc. Cette composition n’est pas si éloignée du public de certains squats politiques, et loin d’un modèle politique d’homogénéité bureaucratique où une élite reconvertie décident pour tous.

Une présence concrète dans la rue, axée essentiellement sur l’objectif de rencontre, rend notre rapport à la rue plus intense, parfois aux dépens du maraudeur pas assez confronté à la réalité sociale de cette métropole (gare aux insomnies).
Sans incurie, sans stéréotype. En prise directe, il ne s’agit plus de survoler la rue comme un simple lieu de transit et de mobilité permanente, mais de se bloquer dans ses interstices, hors du flux, s’interrompre, souffler, voir, parler, entendre, écouter…
Des gens se revendiquant internationalistes ou antifascistes, par exemple, auraient beaucoup à tirer de ce genre de pratique. Une présence sur un terrain où les idées lepénistes peuvent avoir parfois droit de cité chez des populations, quelque soit leur provenance, qui n’ont aucun intérêt dans ces « idées » et au contraire en sont les premières victimes, pourraient être complètement bénéfiques pour tous : une vigilance plus forte et une meilleure consolidation du sentiment d’intérêt de classe.

S’il y a un lieu où l’internationalisme a bien sa place, et depuis longtemps, c’est dans la rue. Souvent, les solidarités qui y ont cours vous prennent aux tripes, vous retournent tout entier. Peut-être plus que les injustices, et pour d’autres raisons.
De ces maraudes naissent des liens forts, parfois des initiatives collectives ou individuelles (comme l’accompagnement dans les démarches, suivi des familles, liens forts avec un sans-abri, etc.).
D’autres initiatives pourraient naître, en nous immisçant tous dans cette réalité, pour la connaître, en tirer des conclusions, d’autres conclusions, de nouvelles pratiques.
Aujourd’hui, des mouvements « internationalisants » ou plus nationalistes l’ont compris : les fafs, les barbus, les évangélistes, pour citer les plus visibles, s’emparent de la rue et nous la confisquent, en allant à la rencontre des sans-abri et sans-papiers, à notre place, avec toute l’insanité qui en découle. Et les injustices les plus criantes restent sans solution bien sûr, mais on nous dresse les uns contre les autres.

Seulement, quoi ? La maraude, tout le monde peut la pratiquer (et sûrement aussi que tout le monde devrait la pratiquer). Tout le monde a la possibilité demain de monter une équipe. Alors pourquoi les mouvements les plus progressistes ne la pratiqueraient pas ?
La maraude n’est pas l’alpha et l’oméga de la conscientisation politique, mais elle permet déjà à tout un chacun, même les moins politisés, de constater les conséquences ignominieuses du capitalisme (ex. : conséquences des expulsions « pré-hivernales » (et « hivernales », prochainement), sort réservé aux pauvres, aux demandeurs d’asile subissant un rejet ou en attente, aux MIE, etc.).

C’est pourquoi nous posons ces quelques considérations afin d’élaborer une première base pour une pratique critique de la maraude (ou d’autre chose que la maraude).

Note

Contact : autourdesmaraudes @@@ riseup point net

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