Quand une manifestation est interdite, on ne s’en aperçoit même plus

Ce compte-rendu va être un peu particulier, le déroulement des événements du samedi 19 juillet sont bien trop complexes et chaotiques pour prétendre à une quelconque vue d’ensemble ou objectivité. Des éléments supplémentaires sont disponibles sur le site de paris-luttes.info. Comme d’autres l’ont déjà fait, je vais donc tenter de donner ma vision des événements dans laquelle des camarades se retrouveront sans doute.

En fin de matinée je reçois des textos de copains me disant qu’étant donné l’interdiction de la manifestation de Barbès certains se réuniraient devant la Gare du Nord à 15h. On arrive sur place à l’heure dite alors que les flics en sont déjà à leurs première sommations. Le rassemblement compte quelques centaines de personnes (peut-être deux cent, mais j’ai toujours du mal à juger), mais il continue de grossir rapidement. Tout de suite après la deuxième sommation les flics et les gendarmes commencent progressivement à encercler les gens, n’attendant pas la troisième sommation pour agir. On s’extirpe de la nasse et on retrouve quelques camarades qui arrivent au compte-goutte. Quand la souricière se referme il doit bien y avoir 500 personnes encerclées par les anti-émeutes, et autour d’eux peut-être 200 personnes, un mélange de curieux et de manifestants arrivant après-coup. Ca stagne un peu, mais la tension monte. Au niveau du Quick les flics envoient quelques coups de familiales pour faire reculer les gens, les civils présents sont casqués, prudence donc. Les gens ne sont néanmoins pas entièrement bloqués, l’entrée de la gare du nord n’est pas verrouillée.

Nous décidons d’aller vers Barbès, il doit être pas loin de 16h. Le dispositif dans les environs est assez impressionnant, des lignes de flics séparés par des zones-tampons nous empêchent d’approcher à moins de quelques centaines de mètres de la station. On ne voit même pas ce qu’il s’y passe. En tentant de contourner les barrages par les petites rues on finit par tomber sur quelques centaines de manifestants remontant de Barbès vers le Sacré-coeur par l’escalier Est ; nous décidons de les suivre et retrouvons d’autres copains et copines. L’atmosphère est détendue, les gens plaisantent, du haut des marches quelqu’un s’adresse aux manifestants « pour ceux qui font pas ramadan, on a trouvé une fontaine ! » ce qui fait bien marrer le cortège. Arrivé en haut on souffle un peu, on profite de la vue, quelques-uns s’exclament ironiquement « vive la commune ! ». D’ici on entend le bruit de grenades qui explosent en bas vers l’est, probablement Barbès, et on voit parfois la fumée des lacrymos s’élever au dessus des immeubles. On ne reste pas longtemps tranquilles néanmoins, les sirènes se font entendre à proximité. Deux voitures de flics déboulent au milieu de manifestants en train de grimper la colline sur la route à mi-chemin du sommet. Ces gros malins se font caillasser pour la forme et accélèrent pour se dégager tout en aspergeant le groupe de lacrymo. Fallait pas jouer aux cow-boys les gars. Peu après, cette fois arrivant de derrière l’Eglise, les flics (sans doute les même), tentent de s’approcher des manifestants présents sur le parvis. Décidément y’en a qui comprennent pas vite. Plus d’une centaine de personnes se mettent à charger immédiatement tout en les caillassant et les flics reculent à toute vitesse. Certains hésitent à investir l’Eglise, l’idée est assez amusante, mais n’a pas l’air de faire rigoler les responsables du bâtiment. Ce sont d’ailleurs probablement eux qui ont appelé la police, bien que personne n’ai fait preuve d’agressivité vis à vis de l’établissement, ce qui expliquerait que ce soit deux patrouilleuses qui soient arrivés avant les anti-émeutes. À partir de là, il va y avoir un moment de flottement, des flics en civils sont clairement présents à certains accès du Sacré-Cœur mais se font discrets. Sur la route à mi-chemin du sommet les anti-émeutes finissent par arriver mais restent en position sous les jets de bouteilles venant du haut et d’en face d’eux. Je m’arrête ici pour faire remarquer que l’atmosphère malgré les diverses échauffourées est plutôt détendue, et que le soucis principal pour les gens semble de se faire entendre et de réagir à cette interdiction injuste. Les affrontements que j’ai pu observer sont toujours le fruit de l’autodéfense spontanée des manifestants contre les tentatives d’incursions policières. Le suite de la manifestation le prouvera d’ailleurs.

Le face à face s’éternisant et craignant de nous faire encercler nous descendons par l’escalier principal à la suite de manifestants qui tentent de relancer le mouvement, quelques minutes plus tard le gros de la manif descend à son tour et continue sa progression dans les rues bondées de touristes. Fait amusant, en redescendant vers le sud nous retrouvons les forces anti-émeutes de Barbès, déployées dans le mauvais sens, les CRS se retrouvant coincés entre leurs grilles et nous. Cela amuse pas mal les gens, mais comme les policiers ne semblent pas décidés à intervenir personne ne s’en prends à eux et nous passons sans encombre. Même la quinzaine de civils lourdement équipés ne tente rien. Nous allons alors zigzaguer dans les rues, évitant les barrages policiers, jusqu’au forum des Halles...

Sur le trajet, deux fait notables néanmoins. Une baston vite calmée à une terrasse de bar, mais je n’ai pas eu l’occasion de voir ce qu’il se passait exactement. Et plus embêtant la présence de quelques soraliens, identifiés par un autocollant du dessinateur Zéon, notoirement connu pour son militantisme auprès de Soral et Dieudonné. Prudence ces autocollants ne sont pas signés par Égalité et réconciliation, ils représentent la main d’un soldat de Tsahal se servant de l’État d’Israël représenté sous forme de couteau tuant un enfant palestinien, le tout sur fond de drapeau israélien. Un camarade les a clairement entendu parler de tenter de détourner la manifestation vers une synagogue (alors que nous approchions du Marais). Nous les avons donc collés pour s’assurer qu’ils ne tenteraient rien mais nous n’étions pas suffisamment organisés pour les virer. Arrivés à proximité des Halles, la manifestation a été brutalement stoppée par une charge des anti-émeutes qui a fait refluer les gens sur la place Nelson Mandela ; la manifestation à ce moment là devait avoisiner les 2000 personnes. C’est alors qu’on a pu constater une rupture au sein de la manifestation. Un petit groupe d’une vingtaine de personnes s’est clairement mis à part en appelant à aller rue des Rosiers, autrement dis, à aller s’en prendre à des juifs. À la différence des soraliens dont l’apparence respirait le bobo-blanc, ces jeunes étaient habillés façon « quartiers » et plusieurs se démarquaient par une appartenance religieuse affichée. Leur tentative de faire suivre la manif n’a pas pris, nous avons été assez nombreux à protester et à nous opposer, les gens préférant de toutes façons écouter les quelques prises de paroles plutôt que ces abrutis. Une minute de silence a également été observée en mémoire des morts de Gaza. Suite à cela, la vingtaine d’antisémites a continué a haranguer les gens, mais les policiers se faisant pressants le consensus était plutôt à la dispersion, qui s’est effectué dans le calme. Les gens avec qui nous discutions protestant même contre l’antisémitisme de ces énergumènes, qui se servaient de leur manif pour tourner cela en conflit confessionnel. Un camarade a tout de même failli s’écharper avec cette graine de fasciste, nos efforts pour décourager les gens de les suivre et pour les prévenir n’étant pas de leur goût.

Il ne faut pas bouder notre plaisir, on peut considérer cette journée comme une victoire, la police a clairement été dépassée et a en partie perdu le contrôle du nord-est de Paris pendant quelques heures, malgré les fanfaronnades de la préfecture au JT. Evidemment, « force reste à la loi » en fin de journée, mais cela est inévitable. Il est également probable que l’absence relative de flics dans notre manif sauvage soit à mettre en relations avec les affrontements plus dur ailleurs dans Paris, sur lesquels nous n’avions que très peu d’informations. L’interdiction a été rendue inopérante par la force du mouvement populaire. Ces manifestations ont été très massivement des manifestations de protestations contre l’État d’Israël et de soutien à Gaza, et non des manifestations de haine, n’en déplaise aux antisémites, à l’État, aux médias et aux partisans de l’apartheid. Il ne faut cependant pas nier plusieurs choses, il y a des éléments craignos minoritaires dans ces manifestations, et les anti-autoritaires ne sont pas encore suffisamment coordonnés pour les virer. À n’en pas douter nous ne serions pas les seuls à le faire si nous exposions leur présence au reste de la manifestation. Il faut que nous allions dans ce sens, la coordination minimale que nous avons eu entre libertaires au cours de ces événements est de bonne augure si nous arrivons à perfectionner ces apparitions collectives. Au boulot.

Pour finir, nous souhaitons exprimer notre entière solidarité aux personnes ayant subi la répression la plus dure, à Barbès, à la trentaine de personnes arrêtées, ainsi qu’au jeune homme qui vient d’écoper de quatre mois ferme pour « rébellion » lors d’un contrôle au faciès pendant la manifestation de la semaine dernière.

Contre le racisme d’État, ici et partout ! Contre la guerre au peuple et l’apartheid israélien ! Contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne !

L. F. du Groupe Regard noir de la Fédération anarchiste

Mots-clefs : Palestine
Localisation : Paris

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