Quand lutter contre l’extrême droite est un prétexte pour lutter contre l’extrême gauche

Début juin, la Commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France présidée par la députée France insoumise Muriel Ressiguier rendait son rapport d’activité. Si une bonne partie des propositions visent les « crimes de haine », le rapport amalgame droite et gauche dans un gloubi-boulga argumentatif, ouvrant de nouvelles possibilités répressives contre toutes luttes radicales et révolutionnaires.

Si naturellement la première partie du rapport est consacrée à décrire l’extrême droite et ses activités, à partir de la partie deux les choses deviennent un peu plus confuses. Celle-ci se nomme « Renforcer les moyens du suivi et la connaissance du phénomène » et on y apprend que la République ne saurait s’immiscer dans ce que pensent les gens. Ainsi on peut lire que :

« Les services du ministère de l’Intérieur, dont la mission est de prévenir les troubles à la sécurité et à l’ordre public sans considération de l’idéologie politique de ceux qui les occasionnent, ont indiqué ne pas être en mesure d’identifier et d’isoler les fonctionnaires et les moyens dédiés spécifiquement à la thématique de l’ultra-droite »

et de préciser quelques lignes plus loin :

Par conséquent, l’attention portée aux groupuscules de l’ultradroite ainsi qu’à leurs membres ou à leurs sympathisants s’inscrit dans le cadre plus global du suivi de l’ensemble des mouvements subversifs qui ne respectent pas les principes démocratiques et pourraient recourir à des moyens d’action illégaux.

À partir de là, les choses sont assez claires. Si le rapport précise bien qu’il ne serait pas inutile pour les services de renseignement français d’être un peu plus au fait des différentes idéologies qui animent les groupes qu’ils doivent surveiller, on ne fera pas de l’extrême droite une priorité particulière. Et, alors que quelques lignes plus tôt, on lisait qu’à partir des attentats de 2015, les services de renseignement ne s’étaient pas du tout gênés pour concentrer toute leur attention sur l’islam radical [1], c’est bien les moyens des services de renseignement en général que le rapport préconise d’augmenter :

Recommandation n° 3 : poursuivre l’effort de recrutement, de formation et d’adaptation de la gestion des ressources humaines dans les services de renseignement ; amplifier la dynamique budgétaire au profit de ces unités ; prévoir l’affectation de moyens conséquents pour le suivi des mouvances ultras ; envisager, lors de l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015, l’éventuelle adaptation des moyens juridiques et technologiques du renseignement.

Les recommandations qui suivent sont elles aussi claires, c’est contre l’extrême droite autant que contre le mouvement social qu’il s’agit de renforcer les capacités d’actions :

Recommandation n° 4 : prévoir la remise annuelle d’un rapport au Parlement par les ministères de la Justice et de l’Intérieur, présentant les groupes subversifs violents, leurs effectifs, fournissant des statistiques relatives aux actes criminels et délictuels commis par ces groupes et présentant les mesures d’entrave et les condamnations dont ils ont fait l’objet par les autorités administrative et judiciaire.

Le rapport propose aussi un renforcement du système de dissolution, on peut par exemple lire :

Recommandation n° 7 : mettre à disposition des élus locaux un guide méthodologique présentant les instruments juridiques mobilisables par l’autorité administrative et des conseils pratiques pour prévenir les troubles à l’ordre public susceptibles d’être causés par des groupes radicaux violents.

ou encore :

« L’appel à des manifestations armées dans la rue » renvoie à des pratiques des années 1930. Aujourd’hui, si un groupuscule d’ultragauche ou d’ultradroite appelle à commettre des violences en groupe, que ces violences soient ou non dirigées contre la République, que ce groupe soit ou non armé, il me semble que l’on peut poser la question de sa dissolution, même s’il n’appelle pas précisément à des « manifestations armées dans la rue ».

Ainsi le rapport propose de :

Recommandation n° 9 : modifier le 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure [2] afin de permettre la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait sur le motif de l’appel à commettre des violences en groupe

On peut aussi noter qu’un certain nombre de propositions se proposent de continuer le transfert des délits de presse vers le code pénal. Ce changement de régime judiciaire s’accompagne de la proposition d’accepter comme nouvelle définition de l’antisémitisme une définition qui inclurait la critique contre « les institutions de la communauté juive ou les lieux religieux ».

Si une bonne partie des propositions visent les « crimes de haine », le rapport continue à amalgamer droite et gauche dans un gloubi-boulga argumentatif, ce qui donne la proposition n°31 :

Étendre le champ d’action du CIPDR (Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation) à la radicalisation identitaire et à d’autres formes de radicalisation (anarchiste, antisioniste, vegan, etc.) ; élargir le champ du site « Stop-Djihadisme » aux formes précitées de radicalisation et le rebaptiser « Stop-Radicalisation » ; introduire un module de sensibilisation aux risques liés aux différentes formes de radicalisation dans le cadre du service national universel.

Ce rapport parlementaire devra trouver son application concrète dans une éventuelle proposition de loi. Il semble probable que celle-ci soit encore une belle saloperie liberticide et finisse par alimenter les délires répressifs.
Soyons vigilants.

Note

Article d’abord publié sur rebellyon.info

Notes

[1« Pour répondre aux attaques terroristes et à la montée de l’islamisme radical, beaucoup des ressources et des meilleurs éléments sont partis suivre ces questions. La lutte contre les groupuscules d’extrême gauche et d’extrême droite a peut-être été un peu délaissée. Je ne cible bien sûr personne, mais vous livre une tendance à l’œuvre ces dix dernières années, qui s’explique d’ailleurs très bien. À nous focaliser sur le terrorisme islamiste, il ne faudrait pas risquer de passer à côté de la violence identitaire et suprémaciste » p.84

[2Sur la dissolution des ligues.

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