Quand la répression stoppe la réflexion

Suite aux actions menées en France depuis l’annonce de la loi travail, une assemblée générale à l’université Tolbiac devait avoir lieu le jeudi 17 mars. Le rendez-vous était fixé à 18h. L’objectif : faire le point sur la journée, discuter de la loi et de ce qu’elle représente afin de trouver des actions possibles. Le tout ancré dans une volonté de briser les cadres classiques des AG.

Une fois la manifestation finie un appel à la tenue d’une AG circule et de petits groupes quittent la place. Devant Tolbiac il n’y a pas grand monde, des pique-niques débutent afin de patienter et de reprendre des forces. Les gens discutent, en groupes épars, de la journée (blocage de Paris 8, la manif lycéenne de 10h, la manif syndicale de 14h etc.).

Aux alentours de 17h30 le parvis se rempli réellement et un peu plus de 100 personnes se retrouvent devant les grilles fermées de la fac. Pour éviter la tenue d’AG, d’éventuelles occupations ou autres actions dans leurs murs, les administrations des universités ont décidé de fermer leurs portes purement et simplement. Face à cette situation, il est d’abord proposé de se déplacer dans le jardin de Paris 7, qui est en fait l’espace de verdure qui sépare les bâtiments où se tiennent les cours. Avant qu’une décision soit réellement prise, des personnes trouvent un accès possible à Tolbiac par le parking situé dans une ruelle en contrebas. Une grande majorité des présents profite de cette ouverture et investit l’intérieur de la fac. Une fois dans le hall d’entrée, un amphi est ouvert ainsi que ses portes donnant sur l’extérieur. Arrivent alors les premiers gardes mobiles (gendarmerie) qui bloquent l’accès aux portes de l’amphi donnant sur la rue. Certaines personnes réussissent néanmoins à escalader la grille principale mais les forces de police mettent vite fin à cette initiative. Compte tenue de la pression policière, les participants à l’AG bloquent les accès du hall et de l’amphi avec ce qu’ils trouvent. Tables et chaises sont posées contre les portes, les lances incendie déroulées.

L’AG semble pouvoir débuter. Un texte lu en introduction insiste sur le fait que le retrait de cette loi n’est pas une finalité, mais que celle-ci n’est qu’une des nombreuses conséquences désastreuses d’une organisation sociale, politique et économique. Avant la fin du texte des coups sont portés sur les portes de l’amphi. Certains participants tentent de les bloquer , mais les gendarmes les enfoncent. Un groupe descend et des affrontements commencent. Les forces de l’ordre gazent et matraquent abondamment, ce à quoi certains répliquent par des lancés de projectiles rudimentaires (2 chaises et quelques bouteilles vides). Hélas notre maigre défense ne fait pas le poids face au « blue block » policier, bien que l’un deux, dans une chorégraphie de style french-cancan, glisse sur une flaque de liquide d’extincteur et manque d’entraîner ses collègues dans cette subite tentative d’expression corporelle. Les gendarmes entrent alors dans la place, et refoulent l’ensemble des gens présents vers l’extérieur à grand renfort de matraques et de boucliers. Des insultes fusent. Debout sur une table un CRS fend l’air de sa matraque en gueulant sur un peu tout le monde.

Une fois à l’extérieur nous sommes piégés entre deux murs étroitement séparés l’un de l’autre. Tout le monde en profite pour mettre du sérum dans ses yeux rougis par l’air saturé de gaz . Peu de temps après, une partie d’entre nous fait une percée dans l’un des rangs des forces de l’ordre. Une deuxième tentative est faite mais la BAC intervient, poursuivant les fuyards et s’acharnant parfois à 3 ou 4 sur une personne. Deux finiront à l’hôpital suite à ces « arrestations ». Commence alors une série de négociations qui aboutiront au départ des manifestants par groupe de 5 à 10 sans contrôle d’identité, mais tout de même filmés de près par la police. Vers 18h30 tout le monde est sorti.
Une fac a été réouverte afin de permettre la tenue d’un espace de discussion et de réflexion. Initiative immédiatement empêchée par les forces de l’ordre qui ont littéralement pris le bâtiment d’assaut. Pourquoi une telle intervention alors que les dégradations survenues en sont la conséquence, non la cause ? Pourquoi empêcher la tenue d’une réflexion sur le monde qui nous entoure au sein d’une fac, lieu sensé justement stimuler la réflexion ? Reprenons les caractéristiques de cette action : un appel à l’ensemble des gens, quelle que soit leur activité, à se rassembler pour discuter, hors d’un cadre institutionnel, de leurs conditions de vie et ainsi voir ce qu’il est possible de faire. Constatant que la loi travail n’est pas une dérive d’un système bien huilé qui pourrait fonctionner, mais bien une mesure découlant des principes même de ce système, les discussions peuvent remettre en cause bien des choses et les actions se tourner vers d’autres modalités qu’une promenade de 2 ou 3h suivie de négociations avec le gouvernement. L’action policière montre bien la volonté de briser toute tentative, aussi minime soit elle, de questionner le travail, son organisation, notre fonctionnement collectif, la façon dont nous produisons nos richesses... en bref, lorsque nous cherchons à changer le monde dans sa globalité et non à s’y adapter. Ne plus faire avec mais autrement. La voici la fameuse convergence des luttes. Sortir nos revendications de la réaction à l’attaque d’un secteur en particulier, et comprendre que c’est une logique de fonctionnement collectif qu’il faut changer. Car si la loi travail est retirée qu’allons nous faire ? Retourner bosser comme avant ? Mais étions nous heureux avant ? Il est important de ne plus chercher à revenir à un état qui était apparemment meilleur, je pense ici aux fameuses années du « plein emploi ». Car même si cette période semble plus acceptable, elle n’en reste pas moins fondée sur un modèle économique dont le but est l’accumulation sans limite des richesses pour soi même. Hors, le moyen pour y arriver est de tirer le maximum du travail d’un grand nombre ainsi que des ressources naturelles. De fait pour que peu possèdent énormément il faut que beaucoup n’aient rien, ou presque. Cercle vicieux sans fin qu’aucune réforme ne pourra changer.

Le même raisonnement est applicable à notre fonctionnement politique. En quoi l’élection d’un parti peut changer notre organisation collective ? Il ne faut pas être dupe, si un groupe participe aux élections c’est bien qu’il accepte les règles du jeu et ne voit, par conséquent, aucun problème à perpétuer une organisation étatique pyramidale. Sans compter que l’accession au pouvoir est grandement conditionnée par l’approbation des détenteurs de la puissance économiques (grandes entreprises, établissements financiers,...) [1]. Podemos et Syrisa sont un bon exemple de ce double constat : une société hiérarchisée s’assure un cadre légal qui empêche la transformation, ou la destruction, de ses structures fondamentales, et une organisation économique fait en sorte que rien ne puisse modifier sa logique de fonctionnement - la loi étant, là aussi, un moyen de contrôle. En résumé, il est vain de changer un système de l’intérieur. Que nous reste-t-il alors ? Tout simplement d’arrêter de penser dans les limites qui nous sont imposées. Tenter de s’organiser autrement et penser le monde selon d’autres principes. L’assemblée du 17 mars était une de ces tentatives qui espérait ouvrir le champs à de nouvelles actions et expérimentations, un appel à construire un monde différent...a suivre.

1 :

Notes

[1Sur le poids des lobbies en Europe : faut-il faire sauter Bruxelles, François Ruffin, fakir éditions, 2014.

Mots-clefs : luttes des classes
Localisation : Paris 13e

À lire également...