Qu’est-ce que l’État islamique ? Éléments d’analyse marxiste

On lit souvent que l’État islamique est une création de l’Occident. Nicolas Dessaux, militant syndical d’Initiative communiste-ouvrière et animateur de longue date du site Solidarité Irak, partage son analyse sur la question.

On lit souvent que l’État islamique est une création de l’Occident. Qu’en penses-tu ?

Nicolas Dessaux : La genèse de l’État islamique, ou Daesh, en 2006, dans le contexte de la guerre civile en Irak, par le rapprochement entre Al-Qaeda en Irak et d’autres groupes armés, est bien connue des analystes sérieux. Ce nouveau mouvement s’est rapidement émancipé d’Al-Qaeda, puis s’est étendu sur le territoire syrien à la faveur de la guerre civile déclenchée par le régime de Bachar El-Assad pour écraser le soulèvement populaire lors du Printemps Arabe. Cette dynamique est indissociable de l’occupation de l’Irak par les USA et leurs alliés. Elle est également traversée par les tensions internationales entre les USA, l’Iran, la Turquie, des monarchies du Golfe persique et la Russie. Tous ces éléments forment le terrain dans lequel l’État islamique a pu apparaitre et se développer, mais ça ne suffit pas à expliquer ce qu’il est.

Au début de la guerre civile en Syrie, les états opposés au régime de Bachar El-Assad ont soutenu en argent et en armes les forces d’opposition. D’une manière ou d’une autre, une partie de ce soutien est parvenu jusqu’à l’État islamique, ne serait-ce que par les défections de combattants d’autres armées. Des financements privés directs en provenance du Qatar et d’Arabie saoudite semblent également avérés, comme c’est le cas pour de nombreuses organisations islamistes dans le monde. Daesh bénéficie surtout du soutien tacite du gouvernement turc dans le cadre de la lutte contre leur ennemi commun, le PKK et sa branche armée en Syrie, les YPG. Mais c’est bien parce qu’il représentait une force cohérente, qu’il était un acteur crédible capable de satelliser ou d’absorber certains de ses rivaux que l’État islamique a pu bénéficier de ces soutiens. Ces soutiens ont considérablement aidé son développement, mais n’expliquent ni sa création, ni sa base sociale.

Considérer l’État islamique comme une pure création occidentale, c’est considérer Daesh comme une simple marionnette en se contentant de chercher qui tire les ficelles. La version atténuée de ce mode de pensée consiste à y voir le simple produit des circonstances, en pointant du doigt les puissances impérialistes ou des considérations géostratégiques selon les présupposés politiques de l’auteur. Ce qui est gênant dans ces analyses, même si elles peuvent signaler des déterminants intéressants de la situation c’est qu’elles esquivent l’analyse de Daesh comme acteur autonome, comme sujet politique. Au fond, c’est une pensée teintée de colonialisme qui voit le moyen orient comme le réceptacle passif des tensions impérialistes, seuls véritables sujets agissants. C’est un travers fréquent de sortir du cadre de l’analyse de classe pour s’en tenir à l’analyse géopolitique dès que l’on touche au Moyen-Orient.

Lire la suite sur Marseille Infos Autonomes

À lire également...