Pourquoi nous sommes les cibles, pourquoi ils sont les assassins

Comment faire le lien entre ce que l’on vit ici dans nos quartiers et la mort d’un jeune militant en pleine campagne ? La lettre de Farid est l’expression de ces liens qui se tissent entre ceux qui luttent et dont les causes paraissent pourtant éloignées. Extrait de Quartiers libres.

« J’ai perdu mon frère dans des conditions très proches de celles dans lesquelles vous avez perdu votre fils. Mon frère qui prenait tant soin de ma mère nous a quitté, il ne reviendra plus. »

Dans une lettre qui a peu circulé, Farid El Yamni s’adresse en ces termes aux parents de Rémi Fraisse, le jeune militant tué par un gendarme pendant la lutte contre le barrage de Sivens dans le sud de la France. Farid écrit cette lettre car il a perdu son propre frère, Wissam El Yamni, victime d’une bavure policière à Clermont-Ferrand pendant son transport au commissariat. Comment faire le lien entre ce que l’on vit ici dans nos quartiers et la mort d’un jeune militant en pleine campagne ? La lettre de Farid est l’expression de ces liens qui se tissent entre ceux qui luttent et dont les causes paraissent pourtant éloignées.

De la Gauthière à Sivens

Regardons en bas de chez nous, filmés par des voisins ou par la famille, les bavures policières jalonnent l’histoire de nos quartiers. Elles sont un choc pour tout le monde et provoquent de brutales prises de conscience qui nous bouleversent et nous obligent à reconsidérer ce que nous prenions pour acquis ou ce qui nous était indifférent jusqu’alors. Passé l’état de colère et de sidération. vient le moment de comprendre et dans le cas d’une bavure policière de demander justice. On se heurte alors au fait que le meurtre commis par un policier ne sera jamais reconnu comme tel par la société, on comprend peu à peu que cette violence policière n’est pas un fait divers mais une violence couverte par l’État. On constate que le ministère fait bloc pour soutenir ses policiers fautifs, que l’État et l’institution judiciaire cautionnent le déni de justice et l’évidence apparaît que tous les citoyens ne sont pas égaux devant la loi. Cette constatation, cette énergie déployée à revendiquer pour la justice, à organiser un comité de soutien, à interpeller les pouvoirs publics est celle du militantisme.

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Pourquoi nous sommes les cibles

(...) Lorsque la police assassine, le choix des cibles révèle l’état des forces dans ce pays. Il ne s’agit pas de cibles symboliques désignées par le gouvernement et qui servent d’épouvantail à la gauche (Dieudonné et Soral, le FN, la galaxie nationaliste, qui sont toujours actifs, institutionnalisés et finalement si peu inquiétés). Il s’agit de cibles réelles, qui payent de leur vie, leur couleur de peau ou leur engagement politique. La police est un corps répressif de l’État, elle est là pour en maintenir l’intégrité, et elle exacerbe les inégalités qui structurent la société. Elle ciblera les éléments désignés comme ennemis intérieurs par le pouvoir. Les militants et les jeunes des quartiers populaires. Les premiers car leurs activités menacent les intérêts de l’État français et du patronat, les deuxièmes car objet du racisme institutionnalisé.

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Lutte des classes et écologie politique

(...) Au fond ce qui gène le Front National c’est que les luttes des écologistes radicaux s’opposent aux intérêts d’un patronat national en direction duquel il opère un intense lobbying. Il sait qu’un des verrous de l’accès au pouvoir est cette bourgeoisie. Le FN et Egalité & Réconciliation vendent du rêve en enfumant les classe populaires, ils mettent en scène un ennemi inaccessible « les élites mondialisées… » et tentent de disqualifier toute opposition militante qui ne sert pas son projet. Celui de renforcer la bourgeoisie nationale, rétablir un ordre nationaliste et des valeurs chrétiennes sous l’appellation de « pacte républicain ». Diviser la gauche pour l’empêcher de se rassembler et de penser les termes de son exploitation. Rétablir l’ordre avec le meilleur instrument dont il dispose, le bâton. Celui qui sert à battre les saisonniers immigrés qui revendiquent pour un meilleur salaire, dans les exploitations agricoles ; celui qui sert à battre les pauvres dans les zones de relégation urbaines ; celui qui sert à faire rentrer les militants dans le rang, si ce n’est à les conduire au tombeau.

Nos quartiers sont des Zad

Alain Soral pense que baver suffit à comprendre. Ce n’est pas un hasard si le mot « parasite  » revient si souvent lorsqu’il qualifie les militants écologistes. Ce même mot employé par les nationalistes pour désigner nos générations issues de l’immigration si souvent taxées de profiter des aides sociales.

Les militants de Sivens ou de Notre-Dame-des-landes dont les luttes paraissent éloignées de celles des habitants des quartiers populaires, sont plus proches de nous que nous le pensons. La répression dont ils sont la cible nous rassemble dans une communauté de destin. Les ZAD, comme ils ont nommé leurs campements temporaires sont des Zone A Défendre. Nos quartiers aussi sont des Zones à Défendre, contre la présence policière d’une part, contre les promoteurs immobiliers d’autre part, qui organisent l’insalubrité de nos logements pour pouvoir détruire et relouer plus cher et éloigner encore nos quartiers d’habitation des centre ville afin de spéculer sur le prix des logements. Nos quartiers sont eux aussi parfois des ZAD, des zones ou la vie s’organise comme elle peut dans une précarité certaine, mais dans une solidarité qui fait tant défaut au reste de la société.

Extrait du site Quartiers Libres

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