Pourquoi la révolution ?

L’organisation sociale qu’est le capitalisme s’appuie sur des principes de domination déguisés en une science connue sous le nom d’économie, où le système de valeur imposé par la force, et la comptabilité, s’imposent sur les principes vitaux (celui qui n’est pas en mesure de trouver sa place meurt). Mais à travers l’État nation et son pouvoir despotique, le capitalisme est surtout religion et ainsi s’impose dans les esprits comme une organisation naturelle.

A travers le pouvoir, distribué inégalement entre une classe possédante et une classe à son service, mais aussi en travers des classes par des principes de discrimination, le capitalisme se maintient dans l’exercice de ce pouvoir.

Les privilégiés imposent leur regard comme étant le regard dominant, par la monopolisation du pouvoir d’expression médiatique. L’illusion démocratique entérine cette domination. Une crapule peut dire des âneries ou des mensonges, mais ces âneries et mensonges prévalent car cette crapule, parce qu’elle se tient à sa place, se voit tendus des micros. Tandis que les oppressés quotidiennement stigmatisés ne disposent jamais d’autant de moyens pour se défendre et répondre à cela.

Ainsi des personnalités comme des philosophes véreux ou des institutions comme la police peuvent mentir et faire passer le mensonge pour vérité, tandis que la vérité ne trouvera qu’un petit écho à travers les cercles militants et les réseaux sociaux. La réalité du nombre de manifestants, de blessures, la réalité telle que vécue par les insurgés… La réalité des causes sociales des événements et non des causes morales…

L’organisation sociale nationaliste se base sur une vision essentialiste des choses et cette vision est entretenue par la classe privilégiée qui l’impose dans le pseudo débat public grâce à cette inégalité du pouvoir d’expression.

L’idée qu’une nation existe en tant que telle est purement essentialiste. Les identitaires boivent cette vision religieuse d’une nation et ses symboles sacrés, ses temples, son clergé, ses textes sacrés (le roman national). La bourgeoisie, aveuglée ou purement cynique de la réalité sociale, maintient l’idée de la naturalité de l’organisation sociale, ridiculise et réprime toute vision révolutionnaire.

La nation serait le fruit d’une unité sociale culturelle, historique, politique. Alors que l’histoire montre que l’unité n’a été acquise que par les conquêtes et n’est maintenue que par la violence. Mais aussi alors que la réalité est une grande diversité interne au sein de la nation, et des conflits liés aux inégalités. Tels les garants de la religion nationaliste, les identitaires, les bourgeois et les institutions répriment toute contestation, tout affichage radical de la remise en cause de l’organisation sociale. Celui qui s’attaque à l’ordre et au status quo est attaqué ou enfermé. Celui qui se rebelle contre sa condition est lui aussi enfermé, humilié, frappé, parfois tué. L’identitaire se présente aussi en révolté car il agit aussi en réaction par rapport au pouvoir, mais ses intérêts et sa vision se nourrissent des mêmes recettes que le pouvoir. L’identitaire défend toujours l’ordre actuel même s’il se présente comme un rebelle, il est en période de crise du capitalisme persuadé par ce dernier que son ennemi n’est pas celui qui le dirige, mais un autre ennemi, extérieur ou intérieur. “Les musulmans”, “les juifs”, “les États-Unis”, “le lobby gay”… Une création de l’esprit, un essentialisme qui nie la pluralité des réalités et laisse croire que tous les membres d’une prétendue communauté partagent les mêmes intérêts en dépit des inégalités sociales En fait, le nationaliste, le xénophobe, aime à penser que les autres pensent ainsi puisqu’il souhaite penser ainsi. Au lieu de défendre l’égalité sociale, il voudra lui aussi faire ce qu’il reproche aux autres, défendre des privilèges en fonction d’une catégorie à laquelle il s’identifie et qui lui semble en droit de réclamer un pouvoir sur les autres catégories. Si son antisémitisme lui laisse à penser que toute personne juive défend avant tout les intérêts des juifs, quand bien même “les juifs” regroupe des bourgeois et des prolétaires, des privilégiés et des dominés, il aime à se penser en tant que membre éminent de la communauté nationale, de la race blanche ou de n’importe quelle catégorie purement virtuelle à laquelle il croit, et il défend ses intérêts pour cela, quitte à défendre aussi ceux des siens qui ont du pouvoir sur lui.

Le nationalisme est un essentialisme car il impose l’idée qu’au sein d’une nation existe une unité, et donc que des personnes pourtant inégales en droits partagent plus de liens que des personnes aux situations sociales égales dans des pays différents. Ou que des groupes sociaux construits (les fameuses communautés - juive, musulmane, homosexuelle, etc. menacent l’intégrité d’un groupe social “pur” dont le pouvoir serait légitime). Pourtant cette unicité n’est que totalement virtuelle et la virulence des oppositions politiques est en fait une évidence pour tous, et traverse bien sûr ces constructions sociales et ces fausses communautés qu’on nous agite devant les yeux, en niant les classes sociales.

La constitution garantit a priori l’égalité des droits, ce que contredit la réalité, et ce que contestent les identitaires et nationalistes. A ce titre, l’État-nation n’est pas une construction sociale légitime, il n’existe pas de contrat social dans un contexte d’inégalité et de servitude.

Pourtant les identitaires aiment imposer leur avis parfaitement minoritaire comme étant celui “du peuple national” (la construction sociale virtuelle par excellence). Même certains révolutionnaires rêvent que lorsqu’ils parlent “du prolétariat”, ils puissent exprimer leur avis comme réellement partagé. A vrai dire la pensée révolutionnaire est selon la situation sociale, très inégalement partagée, surtout avec l’apparition de “classes moyennes”, partiellement dominées, menacées perpétuellement de déclassement (peur construite pour les tourner contre leurs frères et sœurs prolétaires), défendant finalement les institutions, se rêvant bourgeois.

Mais la pensée révolutionnaire ne s’appuie pas sur des concepts religieux, elle s’appuie sur des vérités sociales mesurées objectivement, contrairement à la pensée dominante. Et la pensée révolutionnaire n’a pas pour projet de remplacer les dominants par d’autres, mais de renverser l’organisation sociale pour restaurer l’égalité, par l’auto-défense et dans un but d’émancipation. Projet constamment menacé par des forces contre révolutionnaires.

Dans les représentations qu’impose ce despotisme essentialiste de la pensée dominante, tout est essentialisé selon les besoins. Une personne est réduite à sa religion, sa couleur de peau, l’origine de ses ancêtres, son sexe, son genre… Et les constructions sociales que sont ces notions de race, de genre, de religion sont autant de stigmates sur les individus qui leur ôtent leur personnalité, les renvoient à une image publique construite, lui font subir les conséquences de ce regard et enfin lui retirent l’idée même de se concevoir comme faisant partie d’une classe. Les individus ont le devoir, l’obligation plutôt, d’être des citoyens, des collaborateurs, et de se sentir comme faisant partie de cette famille. Ceci rappelle la religion qu’est celle de l’entreprise. L’État-Nation est patriarcal, tout comme l’Église, tout comme l’entreprise capitaliste.

Si les révolutionnaires, comme tous les êtres élevés dans ce cadre et en lutte avec eux-mêmes et la société pour l’émancipation, ne sont pas immunisés à l’essentialisme, la vision de classe révolutionnaire puise dans des réalités sociologiques (et donc statistiques, mesurables, et un mot, scientifiques). Mais la pensée révolutionnaire existe surtout de fait par des réflexes profondément vitaux : la survie, l’empathie. La révolte apparait quand la vie imposée devient invivable, matériellement ou psychologiquement. Là où le nationalisme va rediriger la colère vers des directions inoffensives pour le système de privilèges capitaliste, la pensée révolutionnaire envisage l’émancipation et des principes humanistes et plus largement écologiques.

Les sciences et la philosophie ont rendues caduques ces visions essentialistes que sont le racisme, l’homophobie. Et l’histoire des luttes dévoile les mensonges du pouvoir. Et pourtant ces visions perdurent ou arrivent à s’imposer par la domination médiatique, culturelle. La réalité sociale, étudiée, démontrable, mesurable, elle, est niée.

Un individu n’est pas appelé à se concevoir comme ce qu’il est, ou tout du moins assumer cette part de lui en lutte avec l’ordre : un colonisé, un prolétaire, un racisé, un exploité, ou encore un collaborateur d’instruments de domination, ou même à l’opposé comme un privilégié. On se cache par tous les moyens la réalité pour se persuader de la validité de nos choix, ou plutôt de nos non choix, de notre soumission ou des privilèges que l’on tire de la situation. Le racisé qui commence à s’affirmer comme un être en lutte, et à parler de la race sociale qu’on lui impose, sera traité de racialiste, tandis que lorsqu’il évoquait le racisme, on relativisait ou niait son vécu. Un patron sera encouragé par tous les moyens à se voir comme un bienfaiteur de la société, un rouage positif, et non comme un exploiteur, bien entendu. C’est ainsi qu’on nie la réalité conflictuelle et qu’on impose l’idée religieuse de la nation dans un contexte de hiérarchie sociale.

La religiosité de la vision dominante impose de concevoir comme légitime la violence d’État et illégitime l’auto-défense, la lutte du dominé. Mais la révolution ne peut mourir, car le capitalisme est une machine à tuer - et que la vie impose d’essayer de survivre.

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