Politique de crise. Misère des élections présidentielles - Comité érotique révolutionnaire

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Texte paru sur le site Lundi Matin ou sur le site Plim-PSAO au sujet des présidentielles et de l’État d’exception (au sens d’Agamben), entres autres. Ce texte formera également l’avant-propos de « Misère de la politique, L’autonomie contre l’illusion électorale » (Divergences éditions, Avril 2017), recueil de textes,de Oreste Scalzone, Léon De Matthis, Clément Hms et Jérôme Baschet.

I – Misère des élections présidentielles

« L’administration pénitentiaire du camp de travail national change régulièrement, puisque nous pouvons depuis un certain temps et occasionnellement élire une partie (seulement) de nos administrateurs pénitenciers. Ils proposent chacun·e une gestion un peu différente de notre prison : certain·e·s proposent d’expulser des prisonniers « étrangers » au profit des prisonniers « nationaux », d’autres qu’il y ait davantage de « sécurité », d’aucun·e·s une libéralisation des échanges de prisonniers, de marchandises et de capitaux entre camps de travail nationaux, et même certain·e·s de rendre notre prison nationale « plus juste », « plus humaine » et/ou plus écologique ! Et ce, même si leur pratique est relativement identique (austérité, répression, réformes) puisqu’il s’agit de gérer une même prison en fonction des mêmes objectifs : faire en sorte qu’il n’y ait pas de révoltes des prisonniers·ères, aux moyens d’une dose variable de répression et de misère matériellement augmentée (médias, « loisirs », consommation), faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de déficit du budget pénitencier – et donc, si nécessaire, dépenser moins au service des prisonniers·ères –, et surtout faire en sorte qu’il y ait une croissance et une profitabilité maximum du camp de travail national – au détriment des prisonniers·ères évidemment. » (Comité érotique révolutionnaire, Libérons-nous du travail. En partant du Printemps 2016, Paris, Divergences éditions, 2017).

On peut l’affirmer sans aucun doute : rarement une campagne présidentielle n’aura été menée avec autant de cynisme et de démagogie, de mépris et de mensonge, avec des candidats se présentant unanimement « anti-système » alors qu’ils en sont des défenseurs patentés. Combien votent, à cette élection présidentielle comme à chaque élection, pour tenter d’éviter qu’un pire encore pire n’arrive ? L’indécision, fait significatif, ne porte plus seulement sur le choix d’un·e candidat·e parmi d’autres mais également sur le fait même de choisir l’un·e d’entre elleux, et l’abstention reste une candidate sûre pour une moitié des votant·e·s potentiels. Il apparaît en effet comme de plus en plus évident que tous et toutes sont porté·e·s par une commune vision du monde. Des libéraux de gauche, du centre et de droite à leurs adversaires keynésiens-étatistes de gauche « radicale » comme d’extrême-droite, on partage l’amour du travail, de la croissance économique et du capital national. Il faut dire qu’en vertu de leur aspiration commune au gouvernement du capitalisme national, ils ne peuvent qu’y adhérer, unanimes dans leur répression des mouvements sociaux, en se disputant seulement sur certaines modalités de gestion du camp de travail national.

On cherche malgré tout à nous vendre un·e candidat·e comme marchandise performante, dans un mauvais spectacle déprimant de vacuité se répétant à chaque campagne présidentielle. La politique, ainsi, a aussi ses marchandises, ses consommateurs et ses publicités – et ses producteurs, puisqu’il faut travailler, produire des marchandises et de l’argent pour financer cette misérable politique qui est en même temps une politique de la misère. Pourtant, aucun changement réellement positif ne peut venir des urnes : c’était déjà vrai aux époques antérieures du capitalisme, c’est encore plus vrai dans une situation de crise profonde du capitalisme où le gouvernement n’a qu’une faible marge de manœuvre et ne peut utiliser celle-ci qu’au profit du pire, c’est-à-dire du durcissement sécuritaire, identitaire, budgétaire, impérialiste, raciste, classiste, sexiste, ne constituant pas des obstacles à une poursuite du capitalisme. Le gouvernement n’a d’autre choix pour continuer de se financer que de soutenir l’économie, et donc ses ravages écologiques comme sociaux. Le vote individuel n’a pratiquement aucune signification et ne changera rien – ou si peu de chose qu’il ne faut rien en espérer, sinon peut-être un moindre pire dans l’immédiat.

Quelles options se proposent à nous à chaque élection, et notamment celle-ci ? Un libéralisme social-démocrate dégoulinant de renoncements, de mensonges et de sang. Des prophètes de l’apocalypse du capitalisme libéral-sécuritaire du centre et de droite. Un étatisme-keynésien proposant une version 21e siècle des deux premières années du gouvernement Mitterrand (relance étatiste du capitalisme national, laquelle avait lamentablement échouée, et permis au néo-libéralisme de se présenter comme sauveur), assortie d’un « anti-impérialisme » pro-Poutine et pro-Bachar et d’un attachement indécent aux frontières. Un étatisme-keynésien (auparavant libéral) d’extrême-droite avec son « État stratège », c’est-à-dire en faveur du capital national, du patriarcat franchouillard et des forces de répression aux pratiques vichystes, avec un discours subliminal de haine des musulman·e·s et des étrangers·ères. Sans compter des candidats conspirationnistes, confusionnistes, étatico-nationalistes, des restes en décomposition de l’extrême-gauche marxiste-léniniste, et quelques autres perles…

Enfin, dans un climat de dénonciation des élu·e·s corrompu·e·s, nombre sont celleux espérant encore un·e « candidat·e intègre ». La corruption des gestionnaires de l’État capitaliste est pourtant structurelle : comment des individu·e·s privé·e·s poursuivant leur intérêt capitaliste, une fois élu·e·s, pourraient-ils se transmuer pour devenir d’intègres élu·e·s n’ayant que le bien commun pour objectif ? Il y a là une contradiction insoluble. Toute autre contestation de cette corruption n’est qu’un fantasme moraliste et une pure « indignation ». Mais cette contestation vaine nous révèle quelque chose. La politique réellement existante produit idéologiquement son double permettant de la justifier in fine, la politique « pure », « vraie » et « bonne », même si celle-ci ne peut tendanciellement exister – et ne serait de toute façon guère souhaitable.

Un retour non-exhaustif sur l’histoire du réformisme anti-libéral de gauche – celui d’extrême-droite ayant montré en Allemagne en 1933-45 ce qu’il faisait au pouvoir une fois élu avec un programme « anticapitaliste » – devrait suffire à achever de nous convaincre que non, vraiment, il n’y a rien à chercher de ce côté là :- En 1918-19, la social-démocratie allemande au pouvoir écrase avec l’aide de l’extrême-droite et de l’armée une révolution populaire (République des conseils de Bavière, insurrection spartakiste de Berlin, conseils ouvriers dans l’ensemble du pays), tandis qu’en Italie, sa consœur du Parti Socialiste Italien contient l’explosion du prolétariat et ses grèves monumentales, et prépare donc indirectement l’avènement du fascisme en 1922 ;- En 1936, le Front Populaire de Léon Blum, notamment composé des stalinien·ne·s du PCF souhaitant une alliance avec l’URSS et son « capitalisme d’État » (Lénine), des socialistes abandonnant définitivement l’idée de révolution au profit d’une gestion réformiste de l’État bourgeois et des radicaux défenseurs d’un compromis avec Hitler comme avec Mussolini, fait tout pour mettre fin à une grève générale inédite dans l’histoire de France et au fort potentiel insurrectionnel, offrant en pâture deux semaines de congé payés et la semaine de 40 heures, mesures contre-révolutionnaires finalement abandonnées deux ans plus tard, et aboutissant au désarmement du prolétariat français face aux évènements de 1939-1940 ;

  • Les bureaucrates du grand syndicat anarcho-syndicaliste espagnol CNT, en 1936-1939, sabordent leur propre programme de révolution sociale et de communisme libertaire au nom de l’alliance « anti-fasciste » avec Staline et une République bourgeoise ultra-répressive, mettent leurs militant·e·s au travail dans des usines capitalistes « autogérées » ou au front dans une armée classique au lieu d’entamer une guerre sociale de guérilla contre l’ordre répugnant du travail, livrent leurs militant·e·s révolté·e·s en Mai 1937 à une terrible répression stalinino-républicaine, abandonnent leurs camarades des communes d’Aragon aux colonnes staliniennes en Août 1937, et rentrent dans un gouvernement stalino-socialiste au mépris de leurs principes libertaires ;
  • De 1971 jusqu’au coup d’État de Pinochet du 11 septembre 1973, Allende, socialiste élu grâce au vote massif du prolétariat chilien, désarme celui-ci, incite au calme plutôt qu’à une révolution préventive, ne prend aucune mesure contre l’armée, créant ainsi un contexte favorable au coup d’État ;
  • De 1968 jusqu’en 1977, un mouvement de grèves, de révolte et de refus du travail balaye l’Italie, pendant qu’un Parti Communiste Italien aux aguets dénonce cette révolte, sabote ces grèves, incite à une négociation salariale sous l’égide de syndicats réformistes, négocie avec une bourgeoisie italienne aux aguets un « compromis historique » qui n’aboutira pas, et accepte l’envoi des chars pour reconquérir Bologne insurgée en mars 1977 ;
  • En 1981, l’élection de François Mitterrand met définitivement fin aux années 68, avec une mystification électoraliste annonçant un changement radical, et finalement un programme de relance keynésienne aboutissant deux ans plus tard (du fait de leur échec) au tournant néo-libéral de 1983, annonçant ainsi 15 ans d’apathie du mouvement social ;
  • Le « socialisme du 21e siècle » d’Amérique latine, enfin, n’a guère donné de meilleurs résultats : en-dehors de mesures électoralistes d’aide aux plus pauvres et de quelques réformettes, ce sont des capitalismes nationaux avec un État fort, dépendants des hydrocarbures et des ressources minières, alliés aux Russes et autres « anti-impérialistes », avec à leur tête une bureaucratie corrompue, une armée forte et une nouvelle bourgeoisie, et réprimant au nom du « peuple » tout mouvement social indépendant du pouvoir.

Bref, si certain·e·s veulent voter pour un moindre mal, qu’iels votent sans aucune illusion et se préparent à une lutte sociale sans merci contre leur propre candidat.