Peut-on exporter une place ?

On parle beaucoup « d’exporter » Nuit Debout ailleurs, dans les banlieues, dans les usines... De cette bonne intention risque d’émerger une forme de « paternalisme politique » méprisant et stérilisateur.

Se rejoindre, voilà une des idées qui revient beaucoup place de la Commune – lutter avec ceux dont les intérêts nous sont communs ou, pour le dire clairement, les ouvriers et les banlieues. On a entendu à plusieurs reprises la nécessité "d’exporter" la place. Il faut alors rappeler que les règles mises en place à Nuit Debout pour faire respecter la « démocratie » sont parfaitement singulières : temps de parole chronométré, tour de parole, modération...tous ces éléments (bien que contestés) ont été crées par les occupants de la place, et ne se prêtent qu’à cette place. Ces règles sont d’ailleurs bien différentes dans les autres lieux d’occupation (universités par exemple).
Exporter le « modèle » Nuit Debout serait une négation totale de ce que cette place prétend défendre (l’émancipation collective), et donc une déclaration d’échec. Une négation du fait qu’il existe d’autres cultures politiques – une volonté d’uniformiser la lutte selon un cadre particulier (et qui est, rappelons-le, principalement blanc et aisé). Ce n’est pas nous qui fourniront le cadre et le modèle à ceux qui souhaitent lutter – nous pouvons donner des impulsions, aller soutenir, c’est tout. Pourquoi vouloir appeler « Nuit Debout » les nouveaux lieux d’occupations mis en place à Saint-Denis ? Pourquoi ne pas laisser ceux qui viendront – s’ils y viennent – choisir, eux, quel nom ils veulent donner au lieu qu’ils occupent – s’ils veulent lui donner un nom ?

Il est évident que, malgré les intérêts communs, un monde sépare les occupants de Nuit Debout, la tradition ouvrière syndicaliste, les "autonomes", et les luttes qui ont lieu dans les banlieues. Chacun a ses symboles, ses grandes figures, ses mots d’ordre. Et surtout chacun vit des luttes quotidiennes différentes : le racisme policier et le « plan social » sont des réalités différentes, que seuls les gens qui les vivent sont à même de décrire – et de détruire, car ils en connaissent les rouages intimes, quand nous n’en connaissons que la superficialité, ou l’aspect objectif-sociologique.
Le risque du bourgeois qui, en voulant défendre le pauvre, parle à sa place (n’est-ce pas la définition même du parlementarisme ?) existe dans bien d’autres cas de figure : du blanc qui décrit ce qu’est le racisme devant une assemblée de blancs, de celui qui décrit l’horreur de l’exil sans demander à un réfugié de venir témoigner. La défense de « l’opprimé » doit se faire toujours à ses côtés, jamais à sa place.
Cela ne veut pas dire que le discours sur la condition ouvrière doit être retiré des mains des « intellectuels », ou celui sur le racisme des « blancs », mais que celui-ci est toujours partiel et doit s’assumer comme tel.

Aller faire la leçon de démocratie dans les « banlieues » serait donc méprisant et méprisable, et parfaitement inefficace. Nous devons nous unir à eux, pas les faire venir à nous.

H.

Mots-clefs : occupation | nuit debout
Localisation : région parisienne

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