Passer au camp d’Austerlitz et voir le temps passer.

Austerlitz est une gare. Une date. Un pont, un arrêt de métro. Mais surtout, Austerlitz est un camp. Invisible de la surface de la ville, si loin des riverain.e.s ; un zoo pour les passant.e.s, un stock de pathos. Un camp, un camp pas cher et sans bruit.

Imaginez vous quatre murs.
La Seine, le quai de la gare, les tours de bureaux.
Invisible depuis la surface, le camp de réfugié.e.s et de migrant.e.s dit « Austerlitz » est réparti le long du quai de Seine, rive Gauche. Deux sites principaux qui se situent sous le pont Charles de Gaulle, le gros pont blanc, et sous le 34 quai d’Austerlitz. Vous savez, le bâtiment vert qui ne ressemble à rien, et que l’on appelle cité de la mode. Et des petits camps éparses, de moins de dix personnes, en allant vers Notre Dame ainsi que vers Vitry.

150 personnes vivent là, dit-on.
Presque uniquement des hommes, une femme, peut-être deux. Depuis une semaine, un mois, sept mois. Aucun enfants, mais certains très jeunes, qui découvrent l’âge adulte en France, sous un pont ou dans un parking, sous une boite de nuit. Des migrant.e.s, des sans-papiers. Plus loin vers l’ouest, il y a un camp d’européen.e.s qui n’ont pas le problème des papiers.

La vie, là bas ?
Tout dépend de quoi on parle. Pour dormir, on pourrait croire que c’est bien. Beaucoup de tentes, enfin, il en manque huit. Plus de tapis de sol et de couvertures ne serait pas du luxe. Mais les migrant.e.s ne s’en plaignent pas, non.

Illes se plaignent de leurs voisin.e.s.
De la boite de nuit. Du son, fort, jusqu’à 3h du matin. Des projecteurs qui ne s’éteignent qu’au levé du jour. Des bouteilles qui tombent du balcon de la boite, de la pluie de mégots brûlants, des crachats. Et tout ça sur les tentes, à vos pieds, sur la tête pour les plus malchanceux.se.s. Des photos, prises par les hipsters ayant trop bu, trop fumé, trop sniffé. Et par certain.e.s journalistes, les indélicat.e.s qui ne pensent pas que la caméra est un prédateur quand on est traqué.

Ils n’y a pas que des salauds me direz vous.
Des associations passent, certaines régulièrement. RESF s’occupe des cours de français. Médecins du monde, la CIMADE, le secours catholique... 10, 15 associations peut être, la coordination se fait, lentement, difficilement. Des riverain.e.s aussi bien sûr, des gens de toute l’air urbaine en fait, qui ont entendu parlé, veulent aider. Avec ou sans cartes politiques sur le nez.

Les repas ? Hé bien, ça dépend.
Avant, le PCF passait tous les jours, à 18h, avec de la cuisine préparée au 75 boulevard Vincent Auriol, leur siège. Avec le ramadan, ça a changé. Ill.e.s ne viendront plus aussi souvent je crois, mais ont toujours des dons. Sinon, des associations passent, après 22h. On parle de la Chorba, d’un Pas vers Demain. Des riverain.e.s. aussi, tous les jours, avec des conserves, du pain, des fruits.
Et puis parfois, un truc comme « Urgence Darfour » vient pour se faire de la pub.
Un truc téléguidé par SOS Racisme, le PS donc, avec pas mal de nourriture, le patron de France Terre d’Asile, et des journalistes. Ill.e.s sortent leur banderole, qui va bien sur la photo. Et la photo, chaque migrant.e doit l’affronter s’il.elle veut manger. Et quand bien même un tiers du camp refuse de prendre sa part plutôt que de se faire voler son image, ce n’est pas grave, on ne racontera pas ça dans l’article.

Les services, dans le quartier ?
Vous avez des laveries, pour lesquelles il faut trouver des sous. Dans la gare, il y a des toilettes, et de quoi charger le téléphone. De l’autre coté de la Seine, un centre « Aurore », qui propose des douches, du café, un accès internet pendant un cours moment, une salle de repos, pour sortir un temps de la rue.

Sur place, l’hygiène, c’est compliqué.
Les gens donnent du savon, des gants de toilettes. Mais pas assez. Et il.le.s manquent de bassines. Enfin, de toute façon, la mairie à coupé l’eau des fontaines à proximité. Pour se venger, les gens les ont transformé en pissotières. Pour les autres besoin, on attend l’heure d’ouverture des toilettes publiques, à 10 minutes à pied. Et des rats, bien gras, des dizaines, qui lorgnent en permanence sur les réserves de bouffe.

Et la journée ?
Le temps est long. Très long. Et je vous raconte ça vécu avant le début du ramadan. Les coureurs trottent toute la journée, même par 30 degrés. Au moins, ça fait sourire dans le camp, on se demande bien après quoi il.lle.s courent si vite, les Française.s. Des gens qui vont bosser d’un pas pressé ou à vélo. Des enfants qui s’extasient devant le nombre de tentes, des parents qui accélèrent le pas. D’autres encore, qui viennent boire une bière après le boulot, avant le métro. Tou.te.s s’en foutent, mais au moins, il.le.s ne sont pas dans la boite à bombarder les gens du camp de leurs déchets.

Après, il y a de l’espoir.
Le bruit qui court sur les papiers pour les Érythréen.ne.s. Les contacts avec les gens de la Chapelle. Les nouvelles du pays pour certain.e.s. Un moment autour d’une chicha. La solidarité entre les personnes vivant du camp, aussi. Parce qu’il en faut, de la patience, et de l’entraide, pour vivre à 100 dans un 100 mètres carrés. Les gens se parlent, et s’organisent malgré les différences. Et même s’il.le.s sont trop souvent pris.e.s pour des enfants.

Venez. Pour savoir. Pour enseigner un peu de français. Apportez de la bouffe, ou mieux encore, du matériel à donner pour faire de la bouffe. Un panneau, des tableaux blancs afin que les gens s’organisent. Pour gueuler sur les salauds qui jettent des bouteilles à la tête des réfugié.e.s. Pour voir et pouvoir raconter. Pour parler du temps qui passe.

Venez, nombreux.se.s, vite et longtemps. Le temps est long à Austerlitz.

Mots-clefs : migrants
Localisation : Paris

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