Partisans dans la métropole

Alors que l’époque est à la confusion et au brouillage idéologique, que le sens des mots se trouve fréquemment retourné ou manipulé, il nous a semblé nécessaire d’entamer un travail de clarification – pour expliquer la manière dont on se réapproprie les termes qui traversent nos discours et nos luttes. Après un premier texte consacré au mot « populaire », nous proposons ci-dessous une réflexion sur le mot « partisan », son héritage et son actualité possible.

Situation historique

Partisan.e.s : se dit de ceux et celles qui prennent parti. Prendre parti, dans les conditions actuelles, répond d’abord à une intuition immédiate. Face à l’accentuation toujours plus violente du programme néo-libéral qui ravage les conquêtes sociales de l’après-guerre, produisant une extension continue du domaine de la précarité et de la misère ; face au développement toujours plus autoritaire d’un mode de gouvernement des populations qui s’appuie sur l’état d’urgence permanent et sur un usage aussi brutal que décomplexé des appareils de répression – se satisfaire d’une posture d’indifférence ou de neutralité passive revient à se rendre complice de l’ordre dominant. Mais prendre parti est aussi bien pour nous, aujourd’hui, une exigence dont la formalisation reste ouverte.

Durant les trois premiers quarts du siècle précédent, la question du parti disposait d’une réponse stable et relativement partagée par les révolutionnaires à travers le monde – celle dont les linéaments théoriques avait été exposés dans le Que faire ? (1902) de Lénine, et qui avait ensuite permis aux bolchéviques de conquérir la victoire en 1917. Soit un parti d’avant-garde, structuré par une discipline hiérarchique et militaire, centralisé, dont l’objectif fondamental est la conquête du pouvoir d’État. À notre époque, la forme-parti léniniste traditionnelle n’est pas reproductible pour au moins deux raisons. D’une part, l’expérience a fait la preuve de ses insuffisances radicales quant à la période post-révolutionnaire : fusion du parti et de l’État, négation de l’indépendance prolétarienne, dégénérescence bureaucratique, traitement systématiquement terroriste des contradictions. D’autre part, nouée à la figure de l’ouvrier professionnel des premières décennies du XXe siècle, elle ne correspond plus aux transformations qui ont impacté la composition de classe au cours des dernières décennies.

Et pourtant la question demeure. Entre la réactivation ossifiée de schémas obsolètes et la pure dispersion mouvementiste que n’accompagnent aucune consistance de long terme ni aucune visée stratégique, il est clair que l’un des principaux défis de notre temps est l’invention – ou plutôt l’expérimentation, pas à pas – d’une nouvelle hypothèse d’organisation, d’une nouvelle forme d’agrégation collective. Depuis le mouvement contre la Loi Travail jusqu’à celui des « Gilets Jaunes », chaque soulèvement, chaque explosion contestataire nous renvoie en miroir la faiblesse et l’indigence de nos outils d’intervention. Beaucoup partagent ce constat qu’aux périodes d’intense fécondité de la tactique répond une désorientation ruineuse de la stratégie, doublée d’une absence de structures matérielles et d’espaces de coordination extra-affinitaires. Ce que révèle l’insurrection de l’hiver 2018-2019, c’est un gouffre entre le mouvement réel et les formes d’organisation existantes – ou plutôt le retard et l’inadéquation de ces dernières vis-à-vis du premier. Nous devons avoir plus à mettre dans la bataille que nos seules analyses théoriques et notre expérience de l’offensivité de rue : c’est à une recomposition politique que nous appelle la séquence qui s’ouvre.

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