On est encore là... Récit de la journée du jeudi 15 septembre

Des manifs sauvages avant la grosse manif « unitaire », et encore une autre manif sauvage après. Enfin on est encore là, prêts à foutre le souk et tout le monde est corda...

AVANT

Dès 6h30 du mat’, ça a bougé du côté de plusieurs lycéens parisiens. Des bouts de récits sont à lire ici.

À 11h, un RDV était fixé plus ou moins en scrèd’ à Nation avec des lycéen-ne-s, mais les flics étaient au courant aussi : des tonnes et des tonnes de condés quadrillent la place, et alors que certain-e-s manifestant-e-s sont nassé-e-s, nous sommes environ 200 (surtout des lycéen-ne-s, ou des « jeunes », disons) à nous retrouver devant le lycée Hélène Boucher sur le cours de Vincennes et nous décidons de partir en métro jusqu’à Gare de Lyon.

Là-bas, un RDV avait été fixé à 12h par l’assemblée générale interpro/interluttes pour refuser les fouilles et les contrôles avant la manif intersyndicale et y aller en grand groupe. Mais on est sorti-e-s du métro sans pouvoir rejoindre le RDV qui était fixé dans le hall 1 de la gare : trop de flics partout qui filtraient les accès.

On a donc quitté la Gare de Lyon en mode manif sauvage, pour rejoindre la grosse manif intersyndicale prévue à 14h à Bastille (depuis le début du mouvement, c’était la 14e grosse journée de manif contre la loi Travail à l’appel de l’intersyndicale). Assez rapidement, des dizaines de CRS chargent et essayent de nous disperser. Ça court, ça sprinte, jusqu’au pont d’Austerlitz. Là, après quelques minutes de répit, le temps de faire le point (quelques interpellations ont eu lieu pendant la charge policière), on repart en manif sauvage dans les petites rues du IVe arrondissement.

Au bout du boulevard Henri IV, à l’entrée de la place de la Bastille, les CRS et des grilles empêchent les gens de passer et de rejoindre la manifestation tranquillement, comme à chaque entrée de la place. Manifester en cage en passant par la case « fouille », non merci.

Après quelques tentatives sans grande conviction, et infructueuses, de passer en groupe sans contrôle, on fait quelques repérages aux alentours et on remarque qu’un autre point d’accès semble moins blindé de keufs. On se met alors à courir dans la rue Jacques Coeur en direction de l’entrée située au bout de la rue Saint-Antoine (théoriquement, il y en avait pour trente secondes, à peine). Mais ça tergiverse, et puis trois flics se pointent au bout de la rue... Mais on est plus d’une centaine ! Malgré un rapport de force pour une fois à notre avantage, presque tout le monde fait demi-tour. Puis ça discute, on se dit qu’il y a moyen de passer. Sauf que plus le temps passe, plus les flics se préparent, et moins il y a de chances que ça marche. Et au moment où on décide de retenter le coup, les flics nous canardent de grenades de désencerclement et de grenades lacrymogènes. Cette fois, c’est clairement eux qui ont lancé les hostilités ! Après la charge du côté de la Gare de Lyon, les voilà qui font usage de leurs armes alors qu’il ne s’est encore rien passé.

Si notre nombre a quelque peu baissé au fil de ces agressions policières, on repart en manif sauvage à travers le IVe arrondissement, jusqu’à la limite du IIIe. Aux slogans type « Ni loi ni travail, retrait des deux » succèdent sans surprise de nombreux slogans anti-flics (« Flic suicidé, à moitié pardonné », « Un flic = une balle, justice sociale », etc.). Dans les rues bourgeoises du quartier, quelques tags sont inscrits sur les murs, des slogans anticapitalistes et anti-bourgeois sont entonnés, et une meuf réussit en solo une petite autoréduc’ dans un magasin de vêtements de luxe (mdr, big up à elle !).

Ça fait déjà un moment qu’on est en manif sauvage depuis la Gare de Lyon, et on finit par reprendre la rue Saint-Antoine en direction de Bastille. Au bout de la rue, pas mal de flics nous attendent... Des flics en civil pointent du doigt deux manifestants en les menaçant, jouant de leur potentiel autoritaire pour soulager leurs frustrations de voir s’amuser des manifestant-e-s plein-e-s de rage et de joie depuis près de deux heures. Si l’un se fait attraper par les flics anti-émeute, l’autre réussit à se natchav’ au bon moment (big up à toi aussi). Tout un groupe est alors nassé et contrôlé de force par les flics, des interpellations ont lieu et les réactions de la foule ont beau être véhémentes, le rapport de force est alors clairement en faveur des flics.

Les flics anti-émeute finissent d’ailleurs par « nettoyer » ce point de tension (où les « Flics, porcs, assassins » et « Tout le monde déteste la police » s’enchaînent comme il se doit) et on se retrouve à devoir se disperser pour de bon, chacun-e passant par ses propres moyens à travers les barrages filtrants des keufs. À noter toutefois quelques autres tentatives de passages en groupes, dont certaines auront réussi à force de détermination, et surtout, de patience...

Il y a des grilles et des flics anti-émeute partout, plusieurs stations de métro sont fermées préventivement, en fait tout est fait pour dissuader tout le monde d’aller à la manif. Haaaa, la démocratie !

La « protection » de tout le périmètre englobant le parcours de la manif est hallucinante, comme on s’en était déjà aperçu entre le 23 juin et le 5 juillet derniers, mais on ne s’habitue pas : c’est horrible, un véritable état de siège mis en place pour une manif de prolétaires contre une loi qui favorise le patronat, ça fait quand même bizarre. On n’ose même pas imaginer à quoi ça ressemblera quand la situation sera réellement insurrectionnelle et que la bourgeoisie tremblera pour de bon...

PENDANT

Alors faites vos jeux, rien ne va plus, on était 13 000 selon la police, et 40 000 selon la CGT.

Sur le boulevard Beaumarchais, le cortège de tête se met en place peu à peu. Ça fait plaisir de voir qu’on est super nombreux-nombreuses, quelques centaines au départ, puis quelques milliers au fil du défilé (certain-e-s disent qu’on constituait numériquement le tiers voire la moitié de toute la manifestation). Toujours aussi hétéroclite, entre les groupes de manifestant-e-s tout en noir et d’autres plus bigarré-e-s, les sans-parti-ni-syndicat et les avec-drapeau-syndical, le cortège de tête, autonome et déterminé, est celui qui porte l’esprit et la dynamique des manifestations contre la loi Travail depuis le 24 mars dernier ! Cette fois encore, il y avait beaucoup de banderoles, de pancartes, et dès le début des tags ont décoré le mobilier urbain. Une banque Société Générale a vu ses vitres brisées sous les clameurs de la foule et les slogans anticapitalistes, ce qui semblait annoncer une série d’attaques le long de la manif, mais l’omniprésence policière - notamment sur les côtés - a passablement niqué l’ambiance au niveau de l’offensive matérielle contre les représentations du capital. Si des panneaux de pub ont été attaqués (leurs protections en bois arrachées, leurs vitres brisées et/ou taguées), peu d’autres cibles commerciales ont trouvé les casseur-euse-s qu’elles méritaient pourtant. Au lieu de ça, les flics anti-émeute se sont fait remarquer par leurs nombreuses incursions et tentatives répétées de fragmenter le cortège de tête et/ou de le couper du reste de la manif. Des tentatives d’arrestation ont été mises en échec à plusieurs reprises, avec des combats au corps à corps parfois flippants mais une solidarité qui a permis d’éviter un paquet d’interpellations au fil du défilé. De nombreux affrontements ont donc eu lieu tout au long de la manif : caillasses, bouteilles et bombinettes incendiaires contre lacrymos, grenades de désencerclement et coups de flashballs et de matraques. Avec parfois l’impression que pour toute une partie du cortège de tête, l’habitude s’était perdue de venir avec masques efficaces et lunettes de piscine ou de ski pour se protéger des gaz lacrymogènes (peut-être était-ce par peur des contrôles/fouilles ? ou simplement par de nombreuses saisies pendant les fouilles ?). Le sérum phy’ a donc pas mal tourné, l’entraide étant palpable pour une grande partie des manifestant-e-s au sein du cortège de tête malgré la terreur policière.

Le nombre de blessé-e-s a semblé assez élevé à nouveau, les medic-teams ont été pas mal sollicitées...

La manif, trop courte, entre Bastille et République, du boulevard Beaumarchais au boulevard du Temple, a d’une certaine manière continué encore longtemps sur la place de la République, où des panneaux de pub ont été brisés et/ou tagués, et où les flics ont dans un premier temps pris cher à coups de projectiles divers et de bombinettes incendiaires assez impressionnantes. Mais la flicaille quadrillait évidemment toute la place, donc ça sentait pas mal le traquenard, il fallait regarder autour de nous en mode panoramique pour s’assurer de la situation... Plusieurs charges de flics se sont cette fois terminées par des arrestations, malgré l’autodéfense collective et les renvois à répétition des palets de lacrymo. La place a été noyée sous les gaz lacrymogènes à plusieurs reprises, divisant de fait la foule en plusieurs groupes.

Pendant ce temps, le reste de la manif arrivait, ou pas, jusqu’à République, parfois en quittant la place immédiatement par le boulevard Voltaire sous le regard dégueu des services d’ordre syndicaux et des flics anti-émeute (ces derniers étaient vraiment partout).

APRÈS

La place de la République se vidant progressivement, une manif sauvage a réussi à partir au nord-est de la place. On devait être 300 personnes, avec les flics aux trousses, des poubelles ont été renversées tout au long du chemin, parfois enflammées, tandis que les flics attaquaient sporadiquement à coups de matraques... Ça a duré comme ça jusqu’à Gare du Nord, où une dizaine de personnes ont été interpellées en groupe - avant d’être embarquée, une meuf a réussi à se libérer des menottes serflex et s’est évadée en beauté (big up à elle aussi, bah oui).

Au même moment, une AG étudiante était annulée avec les gros moyens du côté de Tolbiac (Paris I) : fac fermée de tous côtés, une quinzaine de fourgons de CRS protégant l’entrée principale de l’Université de toute intrusion éventuelle (avec certains CRS le fusil aux mains), dans l’indifférence générale des passant-e-s. Une AG interpro/interluttes s’est tenue, elle, à la Bourse du travail de la rue du Château d’Eau.

Peut-être plus que jamais depuis le début du mouvement, il va falloir se pencher sur la question de comment continuer sans les syndicats. Et plus largement, comment réussir à accroître la poussée révolutionnaire qui s’exprime dans ce mouvement sans créer de nouveaux suivismes, de nouveaux partis (même imaginaires), de nouveaux chefs et autres leaders charismatiques. Comment faire grandir l’auto-organisation et l’horizontalité recherchées. Et comment réussir à communiquer nos pratiques et perspectives révolutionnaires au-delà du cortège de tête et des luttes existantes...

Rien n’a changé mais tout commence...

Localisation : Paris

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