Monsieur Ozon, que savez-vous de mon désir ?

En salles depuis mercredi, « L’amant-Double », dernier film de François Ozon, est caractéristique du cinéma qui prétend s’intéresser à la libido féminine : profondément ancré dans le machisme ordinaire.

« L’amant-Double », dernier long-métrage de François Ozon, fait beaucoup parler les cinéphiles, et très peu les militant.es. Il faut dire que le thriller psychologique est toujours projeté au Festival de Cannes jusqu’à la fin de la semaine, et encore en lice pour la Palme d’Or. Le réalisateur Français n’en est pas à sa première excursion sur la côte d’Azur ; La dernière, par ailleurs, pour le film Jeune et Jolie, avait laissé dans son sillage une polémique, alimentée par les propos d’Ozon lui-même, qui avouait être convaincu que pour toute femme, la prostitution est un fantasme. Loin d’être anodines, ces déclarations sont symptomatiques de la vision que « l’artiste » nourrit de la femme : sur-érotisée ou archétypale, maternelle ou dévergondée, elle n’est que le miroir de son désir masculin.

Dans « L’Amant-Double », Marine Vacht joue Chloé, une jeune femme dépressive qui tombe amoureuse de son ancien psychothérapeute avant de déchanter en découvrant qu’il cache de lourds secrets. Synopsis somme toute prévisible, qui bascule dans une débâcle érotico-sadique qui ne prendra fin qu’au bout de deux heures. Deux heures très longues, et surtout laborieuses, sans trigger warning, ponctuées de violences sexuelles, de coups, d’injures sexistes et de conceptions prémâchées sur les femmes, ces créatures mystérieuses aux esprits si tordus. Deux heures, oui, c’est long. C’est long quand on assiste à la détresse d’un personnage féminin qui ploie sous l’emprise de la force patriarcale sans aucune remise en question. C’est long quand ladite violence est justifiée au sein même du film par la prétendue excitation que lui procure cette force. Et puis, même après, quand la lumière s’allume dans le cinéma, que la salle comble se lève pour ovationner Ozon, c’est long, et puis on se sent seule aussi. Seule dans sa frustration, seule dans son incompréhension. Seule encore quand on épluche les critiques dans la presse, et que des mots nous frappent au visage, comme autant d’insultes :

Le dernier-né du réalisateur français veut savoir ce qui se passe dans le corps d’une femme, et peut-être aussi dans sa tête […] » (LePoint)

« […] François Ozon s’invite dans l’inconscient et la libido de son personnage féminin. […] » (LeMonde)

Non.

Non, chers messieurs du Point, un film construit de bout en bout par des scènes de viols, par des scènes de violences domestiques, ce n’est pas un film sur « l’exploration du désir féminin ».
Et non, messieurs du Monde, mon inconscient n’est pas « un paysage mouvant et insaisissable », de même que ma personne il est un espace autonome et sans entraves pourvu de complexité, qui se passe de raccourcis grossiers et machistes.

Et enfin, vous, François Ozon, vous qui écrivez des femmes aux allures de mauvais rêves, vous qui dites, lors de votre conférence de presse, que derrière les fantasmes que vous arborez dans votre dernier film existe une part de vérité, que connaissez-vous de mon désir, qu’y voyez-vous à part l’exploitation et la domination que votre sexe tente d’imposer au mien ? Non, la violence physique et symbolique des Vôtres ne fait pas la chair de tous nos fantasmes, non, ce n’est pas à vous de parler de la peur qu’inspirent les hommes aux femmes et qui parfois, se mue en désir contrit. A aucun moment votre film ne se fait la voix d’une femme, et surtout pas de celle-là, pas cette femme frêle à la voix tremblante, que vous voulez consentante quand elle est victime, qui est victime quand elle devrait être une survivante, et que vous vous plaisez à filmer toujours vulnérable, toujours meurtrie, esthétisée et sexualisée dans sa détresse.

Nous ne sommes ni de la chair à hommes ni de la chair à gosses, nous ne sommes pas faits du matériel Freudien qui semble tant vous plaire. Nous ne sommes pas ces entités abstraites, ces métaphores vagues dont vous nous prêtez le visage dans les films que vous réalisez, les livres que vous écrivez. Nous sommes, et vous ne jouirez plus des blessures dont vous nous martelez.

Quand Ozon prétend s’inviter dans l’esprit d’une femme, il ne fait que nous guider dans le sien ; dans celui d’un homme misogyne qui, comme tant d’autres, voile sa haine dans de l’art médiocre.

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